BAD : Akinwumi Adesina et les soupçons de favoratisme

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Le Nigérian, Akinwumi Adesina, président de la Banque africaine de développement (BAD), est visé par une enquête indépendante ouverte, jeudi, 4 juin. Seul candidat à sa réélection pour un nouveau mandat, sa position apparaît de plus en plus fragilisée. Parmi les pays qui assombrissent sa gestion, se compte le Congo-Brazzaville qui, malgré la mauvaise gestion avérée de ses autorités, n’a pas eu du mal à obtenir des financements de la BAD alors que du côté du FMI, le pays peine, toujours et encore, à signer un accord. Et ce depuis trois ans.

La BAD a annoncé le lancement d’une enquête indépendante sur les accusations de prévarication (de manquement à ses obligations) contre son président.

Après avoir temporisé deux semaines, l’institution panafricaine de développement, qui siège à Abidjan, a finalement cédé à l’exigence des Etats-Unis, insatisfaits de l’enquête interne qui avait totalement disculpé Akinwumi Adesina de graves accusations formulées par un groupe de «lanceurs d’alerte », telles que « comportement contraire à l’éthique, enrichissement personnel et favoritisme ».

« Le Bureau (du Conseil des gouverneurs de la BAD) convient d’autoriser une revue indépendante » sur les « allégations » des lanceurs d’alerte, qui devra être menée par une personne neutre, intègre, de haut calibre, ayant une expérience incontestable et une réputation internationale avérée, dans un délai de deux à quatre semaines maximum, en tenant compte du calendrier électoral » de la Banque, qui doit élire son président fin août, précise Nialé Kaba, président du Bureau du Conseil des gouverneurs et ministre du Plan de Côte d’Ivoire.

Akinwumi Adesina, élu en 2015 à la tête de la BAD, l’une des cinq principales banques multilatérales de développement au monde, fait l’objet depuis le début de l’année d’une série d’accusations embarrassantes, divulguées dans la presse en avril.

Dans un rapport détaillé, les lanceurs d’alerte lui reprochent son favoritisme dans de nombreuses nominations de hauts responsables, en particulier, de compatriotes nigérians, d’avoir nommé ou promu des personnes soupçonnées ou reconnues coupables de fraude ou de corruption, ou encore, de leur avoir accordé de confortables indemnités de départ sans les sanctionner.

Des accusations réfutées en bloc par M. Adesina, 60 ans, premier Nigérian à diriger la BAD depuis sa création en 1964, qui a clamé à plusieurs reprises son « innocence », et qui avait rapidement été disculpé par la Banque sur la foi d’un rapport de son comité d’éthique interne.

Mais les Etats-Unis, deuxième actionnaire de la BAD après le Nigeria, ont exigé fin mai le lancement d’une enquête indépendante, remettant en cause, dans une lettre cinglante du secrétaire américain au Trésor, Steven Mnuchin, le travail du comité d’éthique, et provoquant une sérieuse crise dans l’institution panafricaine.

« Considérant l’étendue, la gravité et la précision des allégations contre le seul candidat au leadership de la Banque pour les cinq prochaines années, nous pensons qu’une enquête plus approfondie est nécessaire pour que le président de la BAD bénéficie du soutien et de la confiance complets des actionnaires », écrivait M. Mnuchin.

La décision de lancer une enquête indépendante a été prise « dans le but de réconcilier les différents points de vue », précise Mme Kaba. En réalité, personne ne veut s’opposer aux Américains qui, visiblement, ne portent plus le Nigérian dans leur cœur.

Alors que sa réélection semblait assurée il y a six mois, avec le soutien de l’Union africaine (UA) et de la Communauté économique des Etats de l’Afrique de l’Ouest (CEDEAO), et à la suite d’une augmentation de capital géante de 115 milliards de dollars acceptée en octobre 2019, la position de M. Adesina apparaît désormais de plus en plus fragile.

Cet homme charismatique au style flamboyant se bat néanmoins comme un beau diable, vilipendant ses adversaires, vantant son bilan et cherchant tous les soutiens possibles.

Le président nigérian, Muhammadu Buhari, lui a, publiquement, fait part de son soutien, mardi, 2 juin, après l’avoir reçu à Abuja. Economiste spécialiste du développement, M. Adesina était ministre de l’Agriculture de son pays avant de présider la BAD.

Il a, aussi, reçu le soutien d’une douzaine d’anciens chefs d’Etat africains, qui ont signé une lettre commune. En revanche, les actionnaires non africains de la BAD semblent plus circonspects sur son action, selon des observateurs. Les actionnaires non africains savent que les accusations de favoritisme ne sont pas que des rumeurs. Adesina octroyait parfois des crédits qui n’auraient jamais dû l’être juste parce qu’il était complaisant. Le Congo-Brazzaville en est un exemple patent. Ce pays peine depuis bientôt trois ans à signer un accord avec le FMI à cause de l’opacité de son système de gestion et de l’utilisation des recettes pétrolières qui ne profitent qu’à un clan. Pourtant, le président de la BAD a, toujours, félicité les efforts de redressement des autorités congolaises et de leur président, Denis Sassou-Nguesso (sur notre photo dans les bras d’Akinwumi Adesina), et n’a jamais hésité à leur octroyer de substantiels crédits dont l’économie de ce pays a grand besoin.

La BAD compte 80 pays actionnaires (54 pays africains et 26 non africains, d’Europe, d’Amérique et d’Asie). Elle est la seule institution africaine cotée triple A par les agences de notation financière.

En interne, la gestion du personnel menée par M. Adesina a causé des remous depuis cinq ans, entraînant le départ de nombreux cadres.

Dans une lettre ouverte datée du 30 mai, un « groupe de membres du personnel africain de la BAD » a durement critiqué sa gestion, lui reprochant « mystification et enfumage », c’est-à-dire, de communiquer plus que d’agir, et d’avoir « affaibli » la Banque.

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