Le Front Commun, coalition regroupant le PDCI et le PPA-CI, a tenu une conférence de presse, ce mercredi, 29 octobre 2025, dans un climat politique de plus en plus tendu. L’objectif principal de cette rencontre était de dénoncer la répression grandissante dont sont victimes les deux formations politiques majeures de l’opposition.
Les responsables de ces partis ont alerté l’opinion nationale et internationale sur les arrestations arbitraires, les intimidations, les menaces et les restrictions imposées à leurs militants et cadres. Selon eux, ces pratiques autoritaires visent à affaiblir l’opposition et à préparer une nouvelle mascarade électorale, semblable à celle du 25 octobre dernier. Le Front Commun estime que, si cette persécution ne cesse pas, la participation de l’opposition aux prochaines élections législatives sera sérieusement compromise.
Mais peut-on parler d’élections législatives tant que des centaines d’Ivoiriens restent détenus pour leurs opinions politiques et que la Commission électorale indépendante (CEI) demeure inféodée au pouvoir en place ?
L’urgence n’est pas électorale, mais politique et morale
Certes, le salaire mensuel d’un député — 3 millions de F CFA — est, dans le contexte ivoirien, une somme considérable. Dans un pays où la majorité des citoyens peinent à joindre les deux bouts, où le chômage et la pauvreté gangrènent les foyers, cette rémunération peut susciter des convoitises et des ambitions. Cependant, la priorité n’est pas là.
A notre avis, l’heure n’est pas à la recherche de sièges à l’Assemblée nationale, mais, à la libération du peuple ivoirien. Des centaines d’Ivoiriens sont encore injustement incarcérés pour leurs opinions politiques, pour avoir manifesté ou simplement exprimé leur désaccord avec le pouvoir. Avant de penser à briguer un mandat de député, il faut redonner la liberté à ces prisonniers politiques, symboles de la dérive autoritaire que connaît la Côte d’Ivoire.
Il faut le dire sans détour : Alassane Dramane Ouattara ne peut être considéré comme un président élu car il n’y a pas eu d’élection véritable le 25 octobre. Le scrutin, boycotté par une large partie de la population et entaché de fraudes massives, n’a été qu’une parodie de démocratie, un simulacre destiné à légitimer un pouvoir déjà confisqué.

Dans ces conditions, la priorité pour l’opposition ne doit pas être de participer à de nouvelles élections organisées par les mêmes institutions discréditées, mais plutôt, de rendre le pays ingouvernable par des actions coordonnées et pacifiques de désobéissance civile. Il s’agit de bloquer le système, de paralyser les structures de domination, et d’amener le régime à céder sous la pression populaire et politique.
Pour atteindre cet objectif, une condition est indispensable : L’unité sincère de l’opposition.
Les opposants doivent cesser de se regarder en chiens de faïence, de se méfier les uns des autres ou de ressasser les querelles du passé. Les candidats retenus et les candidats recalés lors du dernier scrutin doivent se retrouver autour d’une même table, dans un sincère examen de conscience.
Il ne s’agit plus de se reprocher mutuellement les erreurs du passé, mais, de tirer les leçons de l’échec collectif. La rancune doit être jetée à la rivière. Le peuple ivoirien, fatigué des divisions et des trahisons, attend de ses leaders du courage, de la lucidité et du patriotisme.
Une opposition unie, cohérente et disciplinée peut encore faire tomber ce régime autoritaire. Mais, cette chute ne viendra pas d’un miracle. Elle dépendra de la capacité des forces démocratiques à s’organiser, à élaborer des stratégies efficaces de mobilisation et à maintenir la pression constante sur le pouvoir. La désobéissance civile, les manifestations pacifiques, le boycott des produits français et la résistance citoyenne sont autant d’armes politiques légitimes lorsque toutes les voies institutionnelles ont été confisquées.
Penser déjà aux législatives est une faute morale et politique
Commencer dès maintenant à penser aux prochaines élections législatives serait une erreur stratégique et une faute morale.
D’une part, ce serait une incohérence totale, puisque la CEI, qui a été dénoncée à juste titre pour sa partialité et son manque de transparence, n’a pas encore été réformée. Comment prétendre aller à de nouvelles élections avec les mêmes règles du jeu biaisées ?
D’autre part, cette attitude reviendrait à oublier les victimes des violences politiques récentes : Les morts, les blessés et les prisonniers de la crise préélectorale et électorale. Participer à des législatives dans ces conditions, c’est banaliser la souffrance du peuple ivoirien et fermer les yeux sur l’injustice. C’est aussi donner au pouvoir une légitimité qu’il ne mérite pas.
Le peuple n’est pas dupe. Les Ivoiriens étaient convaincus que, si tous les opposants s’étaient unis derrière un seul candidat, ils auraient voté massivement pour lui. Ce rêve d’unité, une fois encore, a été brisé par les ambitions personnelles, les calculs partisans et les ego démesurés. Le résultat, nous le voyons aujourd’hui : Un régime conforté dans sa domination, une opposition affaiblie et un peuple désillusionné.
L’heure de la responsabilité et du courage
Il est temps, plus que jamais, que les leaders de l’opposition mettent l’intérêt général au-dessus de leurs ambitions personnelles.
La Côte d’Ivoire traverse une période sombre, où les institutions sont capturées, la justice instrumentalisée et les libertés restreintes. Dans ce contexte, chaque décision politique doit être guidée non par le calcul électoral, mais, par la recherche du bien commun.
L’opposition doit se rappeler qu’elle incarne l’espérance du peuple, et qu’à ce titre, elle n’a pas le droit de trahir cette confiance. Les Ivoiriens n’attendent pas des promesses, mais, des actes concrets : Une véritable alliance, une parole claire, et un plan de lutte cohérent pour mettre fin à la dictature politique et économique qui asphyxie le pays.
L’histoire ne pardonnera pas aux dirigeants qui, par égoïsme ou par faiblesse, auront laissé passer l’occasion de redonner à la Côte d’Ivoire sa dignité et sa souveraineté. Le temps des demi-mesures est révolu. Le pays ne pourra renaître que si ses enfants les plus courageux osent dire non à la peur, non à la résignation, et oui à la résistance.

Pour une opposition à la hauteur de l’histoire
La conférence de presse du Front Commun est le signe d’un tournant possible, le point de départ d’une prise de conscience collective. La répression qui s’abat sur le PDCI et le PPA-CI n’est pas seulement une attaque contre des partis, mais, une attaque contre la démocratie ivoirienne elle-même.
Face à cela, deux choix s’offrent à l’opposition : se résigner et participer à des élections truquées pour sauver des sièges ou bien s’unir et lutter pour sauver le pays. L’histoire récente nous a montré que la division ne mène qu’à la défaite et à l’humiliation. L’unité, au contraire, peut devenir la force irrésistible qui fera tomber les murs de la peur et de l’injustice.
Il est temps que la classe politique ivoirienne prouve qu’elle a mûri, qu’elle a compris que le destin d’une nation vaut plus que les privilèges d’un poste.
La Côte d’Ivoire est fatiguée des discours, des communiqués et des slogans creux. Ce qu’elle attend, c’est un sursaut patriotique.
Jean-Claude Djéréké
est professeur de littérature à l’Université de Temple (Etats-Unis)




