COTE D’IVOIRE : Le PPA-CI face à la fronde des “insoumis”

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Vingt-deux cadres du Parti des peuples africains–Côte d’Ivoire (PPA-CI) ont choisi de participer aux législatives du 27 décembre, bravant ouvertement la consigne de boycott émise par le comité central du parti. Une décision qui a aussitôt poussé Laurent Gbagbo à prendre des sanctions.

Cette réaction, jugée par certains excessive, répond pourtant à une logique interne : Pour le comité central, il est impensable de participer à des élections alors que la Commission électorale n’a toujours pas été réformée et, surtout, après les blessures et les morts provoqués par le boycott de la présidentielle du 25 octobre 2025. Le geste se voulait donc à la fois politique et mémoriel : Sanctionner les frondeurs pour honorer ceux qui ont payé de leur vie un combat que le parti estimait juste.

Mais, si la fermeté du parti s’explique, elle n’en pose pas moins une série de questions fondamentales : Les “insoumis” reviendront-ils au bercail, une fois élus ? Chercheront-ils à créer une nouvelle formation politique ? Et si ces cadres, nombreux et influents, choisissaient de ne pas revenir, que deviendrait alors le PPA-CI ?

Au-delà de ces interrogations immédiates, un constat plus grave apparaît : Laurent Gbagbo semble ne plus faire peur dans son propre parti.

La scène politique ivoirienne a connu des rapports de force plus abrupts, mais rarement, une situation où la figure tutélaire de la gauche, l’homme qui incarnait autrefois la résistance, apparaît soudain aussi isolé. Laurent Gbagbo ressemble aujourd’hui à un général à qui les soldats refusent d’obéir. Cette situation, pour lui, n’est pas seulement une crise politique. C’est une humiliation personnelle, d’autant plus violente qu’elle survient après d’autres affronts subis ces dernières années.

A protester holds a placard reading « Gbagbo is arriving, reconciliation and peace also » during a demonstration called by the Ivorian Popular Front (FPI) party of former Ivorian president Laurent Gbagbo, on February 1, 2020 in Yopougon district of the city of Abidjan. (Photo by SIA KAMBOU / AFP)

L’humiliation la plus récente fut celle infligée par Alassane Ouattara, lorsqu’il l’accusa d’avoir braqué la BCEAO et bloqua sa candidature à l’élection présidentielle — alors même que Laurent Gbagbo, dans les années 2000, avait permis à Alassane Ouattara de briguer la magistrature suprême.

Que cette spirale d’humiliations culmine aujourd’hui dans la contestation interne de son propre parti est un symbole inquiétant : le commandement moral de Laurent Gbagbo n’a plus l’autorité d’antan. Et pourtant, cette situation aurait pu être évitée.

Le rendez-vous manqué avec l’Histoire

En 2021, au moment de son retour triomphal après son acquittement à La Haye, Laurent Gbagbo avait le monde à ses pieds. Son acquittement constituait une gifle retentissante à l’impérialisme occidental qui avait facilité sa déportation. Sur le continent, il revenait auréolé d’une victoire morale immense. Beaucoup d’Africains ne l’imaginaient plus dans les méandres brutaux de la politique ivoirienne, mais, dans un rôle de sage continental, à l’image de Nelson Mandela après Robben Island.

Beaucoup le voyaient déjà comme :

*un conseiller consulté par les jeunes leaders comme Assimi Goïta ou Ibrahim Traoré,

*un témoin privilégié de l’histoire politique africaine,

*un conférencier parcourant les universités pour transmettre son expérience,

*un homme dont la parole aurait contribué à former une nouvelle génération d’élites politiques.

Le destin lui offrait la possibilité d’une sortie majestueuse : Devenir un repère moral, une figure d’inspiration. Mais, Laurent Gbagbo refusa ce chemin. Il choisit de revenir dans l’arène ivoirienne où tous les coups semblent permis et où l’on ne pardonne ni l’âge, ni l’usure, ni l’hésitation.

L’arrivée triomphale de Laurent Gbagbo de la Cour pénale internationale.

S’il avait annoncé en 2021 qu’il ne briguerait plus la présidence, non seulement, il aurait préservé son aura, mais, il aurait également évité d’exposer le PPA-CI à une bataille de succession précipitée. En politique, il faut, comme Jerry Rawlings l’avait compris, quitter les choses avant qu’elles ne vous quittent. Le temps ne fait pas de cadeaux. Et l’Histoire, encore moins.

Le combat de trop : La présidentielle de 2025

La volonté de Laurent Gbagbo de participer à la présidentielle d’octobre 2025 fut, pour beaucoup d’observateurs, le combat de trop. Il avait déjà tant donné à la nation, tant souffert pour les Ivoiriens. Son acquittement à la CPI (Cour pénale internationale) lui avait ouvert une place définitive dans le panthéon des leaders africains, celle des Patrice Lumumba, Kwame Nkrumah, Samora Machel, Nelson Mandela, Thomas Sankara, et autres figures qui ont payé leur liberté de penser au prix fort.

Avec cette victoire morale, il n’avait plus besoin de retourner dans la mêlée. Mais, son choix de revenir dans la politique active l’a exposé à un revers inattendu : La contestation interne, celle qui vient du cœur du parti, de ceux qui, hier encore, le portaient en triomphe. Le pays a changé, les mentalités ont évolué, le PPA-CI n’est plus le FPI des années 1990 ou 2000. Et Laurent Gbagbo, lui-même, n’est plus l’homme qui galvanisait les foules malgré les épreuves.

Le dilemme du PPA-CI : Fracture ou renaissance ?

L’avenir immédiat du PPA-CI dépend désormais de la décision des “insoumis”.

Trois scénarios se dessinent :

1. Ils reviennent au parti après leur élection

Ce serait la solution la plus simple, mais aussi, la moins probable. En défiant Laurent Gbagbo, ils ont déjà franchi une ligne rouge symbolique. Revenir signifierait accepter une forme d’humiliation et une marginalisation future.

2. Ils créent un nouveau parti

Ce scénario semble le plus plausible. Une formation dissidente — plus jeune, plus ambitieuse, plus décomplexée — pourrait attirer les militants qui estiment que Gbagbo ne représente plus l’avenir.

3. Ils restent indépendants et redéfinissent la gauche ivoirienne

Cela affaiblirait durablement le PPA-CI, qui pourrait devenir un parti résiduel, réduit au cercle des fidèles historiques.

Dans tous les cas, le parti sort profondément fragilisé de la crise actuelle.

Laurent Gbagbo, l’historien face à sa propre histoire

Ironie du destin : Laurent Gbagbo, historien de formation, semble aujourd’hui oublier une règle fondamentale des trajectoires politiques africaines. Il connaît pourtant les fins opposées de Jerry Rawlings et Mobutu Sese Seko.

Le premier a quitté le pouvoir avec discipline, a préparé sa succession et est devenu une figure respectée jusqu’à sa mort. Le second, incapable de lire les signes du temps, s’est accroché jusqu’à la chute totale, dans l’humiliation et l’exil.

Laurent Gbagbo devrait savoir que l’histoire ne pardonne pas à ceux qui regardent en arrière. Elle exige que l’on avance, que l’on transmette, que l’on témoigne. Ce rôle de témoin, il l’aurait incarné magnifiquement : Celui qui raconte, qui met en garde, qui révèle les erreurs à ne pas commettre.

Au lieu de cela, il se retrouve aujourd’hui au cœur d’un conflit interne qui réduit l’immense stature qu’il avait acquise.

Une sortie par la petite porte ?

Il est triste de constater que celui qui a tant apporté à la vie politique ivoirienne risque de quitter la scène par la petite porte, non pas, à cause de ses adversaires traditionnels, mais, à cause de son propre camp et de ses propres choix.

Gbagbo méritait mieux.

L’homme qui a marqué plusieurs générations, qui a résisté à la prison, aux pressions internationales, aux accusations infondées, qui est sorti grandi d’une déportation injuste, méritait un dernier chapitre à la hauteur de son parcours. Mais, la politique est une arène sans sentiment. Et souvent, ce ne sont pas les adversaires qui affaiblissent un leader mais ses propres décisions.

Les « insoumis » ont décidé de ne pas écouter Laurent Gbagbo qui les a suspendus du parti.

Le PPA-CI entre dans une zone de turbulences dont personne ne peut prévoir l’issue. La rébellion interne révèle une fracture profonde, un changement de génération, une perte d’autorité, mais aussi, un désir d’avenir que le parti n’arrive plus à canaliser.

Quant à Laurent Gbagbo, il reste une figure immense, mais, une figure qui aurait gagné à s’élever au-dessus des querelles nationales pour devenir ce que l’histoire lui offrait comme destin : Un sage, un mentor, un témoin. Son retour dans la lutte politique active l’a ramené dans un champ où il n’a plus la même force, ni la même emprise.

Jean-Claude DJEREKE

est professeur de littérature à l’Université de Temple (Etats-Unis)

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