COLONISATION FRANCAISE ET REPARATIONS : L’Algérie va s’inspirer de ce que la France a obtenu de l’Allemagne après la première guerre mondiale

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Il y a des moments dans l’Histoire où un peuple décide de ne plus plier l’échine. Des instants où la mémoire cesse d’être un fardeau silencieux pour devenir une parole qui se dresse. La décision du Parlement algérien, le 24 décembre 2025, d’adopter à l’unanimité une loi criminalisant la colonisation et réclamant des réparations à la France appartient à cette catégorie d’actes forts, lourds de sens et porteurs de conséquences. L’Algérie, une fois de plus, a refusé l’oubli, le déni et l’amnésie confortable.

Cette décision survient dans un contexte où certains responsables politiques français, à l’image de Bruno Retailleau, avaient multiplié les gesticulations, les injonctions et les menaces à peine voilées à l’égard d’Alger. Il fallait, disait-on, que l’Algérie se montre « raisonnable », qu’elle cesse de remuer le passé. Mais, le peuple algérien n’a ni cédé aux pressions ni fléchi devant l’arrogance (sur notre photo, le président Abdelmadjid Tebboune le 24 décembre 2025 à la tribune de l’Assemblée nationale populaire pour valider la loi sur la colonisation). Il a répondu par un acte politique fort, souverain, assumé : Inscrire dans la loi que la colonisation fut un crime et que ce crime appelle réparation.

Ce geste n’est ni une provocation ni une posture idéologique. Il s’inscrit dans une longue histoire de luttes mémorielles, de blessures ouvertes et de refus de l’amnésie. Car la question coloniale n’est pas une affaire du passé clos. Elle continue de structurer les rapports entre la France et l’Algérie, entre l’Europe et l’Afrique. En ce sens, la décision algérienne ne tombe pas du ciel. Elle s’inscrit dans une continuité historique, intellectuelle et morale.

Abdelmadjid Tebboune main dans la main avec Emmanuel Macron échangent (comme deux vieux amis qu’ils ne sont pas) le 13 juin 2024, en marge du G7, à Savalletri, en Italie. Après avoir très bien commencé avec les Algériens en 2016, le président français finit très mal avec eux. Le dégel (véritable) des relations entre les deux pays attend sans doute son successeur.

Il y a vingt ans, la France votait une loi qui allait provoquer un scandale durable : La loi du 23 février 2005 portant reconnaissance du rôle positif de la colonisation française. Son article 4 demandait explicitement aux enseignants de reconnaître et d’enseigner les aspects positifs de la colonisation. Rarement une loi aura suscité une telle indignation dans le monde intellectuel. Des historiens français de premier plan – Gérard Noiriel, Gilbert Meynier, Lucette Valensi, Frédéric Régent – eurent le courage de s’y opposer publiquement, dénonçant un texte qui imposait « un mensonge officiel sur des crimes et sur des massacres allant parfois jusqu’au génocide, sur l’esclavage, sur le racisme hérité de ce passé ».

La Martinique fut l’un des foyers les plus ardents de cette contestation. Aimé Césaire, immense poète et penseur, refusa de recevoir Nicolas Sarkozy, alors ministre de l’Intérieur, tant que cette loi ne serait pas abrogée. Pour lui, il ne s’agissait pas d’un simple désaccord politique, mais, d’une question de dignité. Césaire savait, et il l’avait écrit avec une lucidité implacable, que le colonialisme n’était pas une erreur de parcours, mais, une matrice idéologique. Dans son « Discours sur le colonialisme », il affirmait que le drame de l’Europe était d’avoir toléré chez elle ce qu’elle condamnait ailleurs : « Le très humaniste, le très chrétien bourgeois du XXe siècle porte en lui un Hitler qui s’ignore. Ce que l’Europe n’a jamais pardonné à Hitler, ce n’est pas le crime en soi, mais, le fait de l’avoir commis contre des Européens. »

Aimé Césaire dans son chef-d’ouvre « Discours sur le colonialisme » a beaucoup aidé à la prise de conscience dans les pays colonisés d’Afrique (et des Antilles dont la Martinique son propre pays).

Cette lucidité explique pourquoi Césaire refusa toute complaisance. Et, lorsque la loi fut finalement abrogée en 2006, ce ne fut pas un cadeau gracieux de la République, mais, le résultat d’un rapport de force moral et intellectuel.

La décision du Parlement algérien s’inscrit dans cette même filiation. Elle affirme que l’histoire ne se négocie pas à coups d’euphémismes. Elle rappelle que la colonisation fut un système de violence, de dépossession, de spoliation et de destruction humaine. Elle affirme aussi que la mémoire n’est pas un luxe, mais, un droit. En réclamant des réparations matérielles, l’Algérie ne fait que reprendre une logique déjà admise ailleurs. Le Traité de Versailles, en 1919, imposa à l’Allemagne des réparations colossales après la Première Guerre Mondiale. Après la Shoah, l’Allemagne a versé des indemnisations considérables à l’Etat d’Israël et aux victimes juives, pour les biens confisqués, le travail forcé, les persécutions subies. Personne ne conteste aujourd’hui la légitimité de ces réparations.

Pourquoi ce qui est admis pour l’Europe deviendrait-il scandaleux lorsqu’il s’agit de l’Afrique ? Pourquoi la demande algérienne serait-elle perçue comme excessive, idéologique ou revancharde ? Frantz Fanon répondait déjà à cette question lorsqu’il écrivait que « la richesse des pays impérialistes est aussi notre richesse », car elle s’est bâtie sur l’exploitation et le pillage des territoires colonisés. Demander réparation n’est pas mendier ; c’est réclamer justice (cf. « Les Damnés de la terre », Maspero, 1961).

L’Algérie, en refusant de se taire, rappelle au monde que la dignité ne se négocie pas. Elle montre que l’histoire n’est pas une page tournée tant que ses conséquences structurent encore le présent. Elle nous rappelle aussi que la mémoire n’est pas un luxe d’intellectuels, mais, une arme politique pour les peuples qui refusent l’oubli.

Aucune prise de conscience à attendre d’un pays comme la Côte d’Ivoire totalement cadenassée par la pensée unique de son pouvoir : Président de la République (musulman du Nord), Présidente du Sénat (musulmane du Nord), Président de l’Assemblée nationale (musulman du Nord) alors qu’en théorie, le pays est multiculturel et multi-religieux.

Qu’en est-il des autres pays africains, notamment, ceux d’Afrique subsaharienne ? Les Ivoiriens, par exemple, qui aspirent à siéger à l’Assemblée nationale, auront-ils le courage de porter un jour une loi criminalisant la colonisation française et réclamant des réparations matérielles ? Y pensent-ils seulement ? Ou bien continueront-ils à considérer ce débat comme tabou, par peur de déplaire, par calcul politique, ou par résignation ?

L’Algérie a montré qu’il est possible de dire non. Non à l’oubli. Non à l’humiliation. Non à l’histoire racontée par les vainqueurs. Elle a montré qu’un peuple qui se respecte ne quémande pas la reconnaissance de sa souffrance : Il l’affirme. Et c’est peut-être là la leçon la plus forte que l’Afrique entière devrait méditer.

Jean-Claude DJEREKE 

est professeur de littérature à l’Université de Temple (Etats-Unis)

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