AGREGATION DU CAMES 2025 : 0/20 pour le Gabon (Réaction de l’ancien recteur de l’UOB)

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Les réactions suscitées par l’article relatif aux résultats du dernier concours d’agrégation SJPEG (Sciences juridiques, politiques, économiques et de gestion) du CAMES (Conseil africain et malgache de l’enseignement supérieur) témoignent d’une chose essentielle : La question posée n’est pas seulement académique, elle est profondément institutionnelle, générationnelle et politique au sens noble du terme. Car sur 86 maîtres de conférence agrégés à l’issue de ce 22e concours, 22 viennent des universités camerounaises (25,58% du total). Ensuite, vient le Burkina Faso avec 16. Au niveau de la sous-région, le Tchad a aligné 3 agrégés et le Congo-Brazzaville, un seul. Le Gabon est totalement absent de ce classement. D’où l’utilité des conseils de l’ancien recteur de l’UOB ci-dessous.

La réaction du professeur Bonaventure Mvé Ondo

Je remercie tout d’abord Serge Maurice pour la qualité de son interpellation à l’ancien recteur de cette université que je suis (1991-1993), nourrie par une mémoire longue de l’université gabonaise, par une expérience vécue de ses moments d’excellence, mais aussi, par une lucidité sans complaisance sur ses dérives récentes. Les rappels qu’il opère — autour des figures fondatrices comme Fidèle Mengue M’Engouang, Ondo Ossa, Ropivia — ne relèvent ni de la nostalgie, ni de l’hagiographie. Ils rappellent une évidence souvent oubliée : L’excellence n’est jamais spontanée, elle est construite, transmise, protégée et valorisée (sur notre photo, les étudiants en master 2 et en doctorat barricadent début février 2024, l’entrée principale de l’UOB pour bourses non payées depuis deux ans).

Il est vrai, comme l’ont souligné Steeve Ella et d’autres, qu’un échec, même collectif, n’est pas en soi la fin d’un monde universitaire. Le CAMES est une institution exigeante, ses critères évoluent, et tout concours suppose des ajournements. A ce titre, relativiser l’événement et refuser l’alarmisme excessif est une posture saine. L’échec peut être un déclic, un tremplin, comme l’a justement noté Honorine Ngou, dont le témoignage personnel rappelle que le travail intensif, méthodique et encadré reste la clé de toute réussite académique.

Mais, relativiser ne doit pas conduire à banaliser.

Ce qui interpelle ici, ce n’est pas l’échec individuel de quelques candidats, ni même l’absence ponctuelle d’admis. C’est le signal structurel envoyé par un classement où le Gabon, ancien pôle de préparation et de rayonnement régional, se retrouve éliminé dès l’épreuve des titres et travaux, là où se mesure la solidité des trajectoires scientifiques, la continuité de la recherche et la maturité intellectuelle. Ce point précis mérite que l’on s’y arrête, sans passion mais sans esquive.

Serge Maurice pose, à juste titre, les bonnes questions :

  1. Qu’avons-nous fait de la massification de l’enseignement supérieur ?
  2. Qu’avons-nous fait de l’héritage intellectuel de nos aînés ?
  3. Combien d’universitaires sont aujourd’hui reconnus, au-delà de nos frontières, pour la qualité et la régularité de leurs travaux ? et surtout,
  4. Quelle conception avons-nous de la spécialisation, de l’encadrement doctoral et de la transmission scientifique ?

Le phénomène qu’il décrit — celui de l’ultracrépidarianisme académique, des centres de recherche sans production réelle, de la confusion entre notoriété administrative et reconnaissance scientifique — n’est malheureusement pas propre au Gabon. Mais, il y prend une acuité particulière dans un contexte où les mécanismes d’évaluation externe, comme ceux du CAMES, jouent le rôle de miroir sans indulgence.

Dès lors, la vraie question n’est pas de savoir qui blâmer, mais, quoi corriger.

Cela suppose d’abord de reconnaître que l’université ne peut durablement produire de l’excellence sans un encadrement doctoral exigeant et disponible ; sans une politique claire de soutien à la recherche et à la publication (qui s’est posé la question du volume de publications annuelles produites par nos enseignants-chercheurs ? Je vous renvoie à mon petit livre publié en 2005 : Afrique, la fracture scientifique) ; sans une mobilité scientifique réelle pour se confronter à d’autres et non pour faire du tourisme universitaire ; sans une préparation méthodique et sérieuse aux concours d’agrégation et aux inscriptions sur les listes d’aptitude pour une sélection rigoureuse des candidats ; et enfin, sans une culture institutionnelle qui valorise la profondeur du travail plus que l’accumulation des titres ou des positions.

Avec une telle contreperformance (0/20), c’est comme si les enseignants gabonais et leurs responsables académiques voulaient que le patriarche qui avait donné son nom à l’UOB retourne dans sa tombe.

Cela suppose ensuite d’accepter une vérité inconfortable : Le prestige académique ne se décrète pas, il se mérite et s’entretient. Vivre sur le souvenir d’un âge d’or, sans en recréer les conditions matérielles, humaines et intellectuelles, conduit inévitablement à ce type de décrochage.

Enfin, cela suppose un débat adulte, débarrassé à la fois du déni rassurant et de la dénonciation spectaculaire. Comme l’a dit Honorine Ngou avec une sagesse teintée d’humour : Le travail, le travail, le travail. Mais, encore faut-il que ce travail soit possible, reconnu, accompagné et évalué selon des standards clairs.

En ce sens, la réunion annoncée par le rectorat ne devrait pas être une simple réunion de crise, mais, le point de départ d’une réflexion stratégique de fond sur l’avenir de l’université gabonaise dans l’espace CAMES et au-delà.

L’échec n’est pas une honte en soi. C’est l’habitude de l’échec, son acceptation molle ou sa rationalisation excessive, qui est la vraie honte.

C’est entre ces deux écueils — la stigmatisation et la banalisation — que nous avons collectivement le devoir de penser, d’agir et de reconstruire. Et ici, je crois qu’il est important de distinguer ceux qui ont fait leur métier d’enseignant-chercheur leur objectif premier et qui, même à la retraite, continuent de lire, d’enseigner et de publier, et ceux qui en ont fait un objectif secondaire, guidés par la recherche de promotions ou de fonctions.

Avec respect pour nos aînés qui nous ont quittés, exigence pour nos jeunes collègues, et responsabilité envers les générations à venir.

Professeur Bonaventure Mvé Ondo

Docteur d’Etat en philosophie

Ancien recteur de l’Université Omar Bongo de Libreville

Ancien directeur du Bureau ouest-africain de l’AUPELF/UREF au Sénégal

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