ALFRED S. TRAORE ET LA REFONDATION DE L’UNIVERSITE DE OUAGADOUGOU

Date

Le chancelier de l’Université de Ouagadougou , le professeur Alfred S. Traoré, nous parle du séjour de deux semaines (du 17 au 29 juin 2001) qu’il vient d’effectuer auprès de plusieurs universités françaises, ainsi que de la refondation de l’Université de Ouagadougou dont il est le maître d’oeuvre.

Afrique Education : Monsieur le Chancelier, vous venez d’effectuer un voyage d’information sur la refondation de l’Université de Ouagadougou auprès de vos partenaires français dans le but de les rassurer de la reprise normale des activités académiques après plusieurs années de crise qui se sont soldées par l’invalidation de l’année universitaire 1999-2000. Quel bilan faites-vous de ce voyage ?

Alfred S. Traoré, Chancelier (A.S.T., C.) :

Merci Afrique Education, pour l’occasion que vous me donnez de faire connaître les résultats de mon voyage d’information en France. Ce premier voyage en France en qualité de chancelier de l’Université de Ouagadougou m’a permis d’engager trois types d’actions avec nos partenaires français.

  1. Après les réformes profondes intervenues à l’Université de Ouagadougou, il était normal d’expliquer celles-ci à nos partenaires politiques et académiques français, afin de les éclairer sur les véritables fondements de la refondation. Ceux-ci ont pour noms : a) des reformes institutionnelles pour une meilleure opérationnalité (l’université devient maintenant un établissement public à caractère scientifique, culturel et technique; création du Conseil de la formation et de la vie universitaire; création des postes de président et vice-présidents en lieu et place de recteur et vices-recteurs; restructuration de l’université en 7 unités de formation et de recherche et un Institut burkinabè des arts et métiers); b) des mesures pédagogiques efficientes pour garantir la qualité des formations et faciliter ainsi aux étudiants la recherche d’emploi à l’issue de leurs études (adoption d’un enseignement de type modulaire basé sur les systèmes de crédits académiques ; restructuration des formations de premier cycle pour donner aux étudiants plus de possibilités de choix au moment des spécialisations; forte orientation vers la professionnalisation des filières de formation; proposition de création d’un centre de pédagogie universitaire et l’institution de séminaires pédagogiques pour une amélioration des performances professionnelles des enseignants); c) la recherche d’une plus grande ouverture de l’université sur son environnement national, régional et international en vue de l’impliquer davantage dans les défis du développement qu’affronte quotidiennement l’humanité tout en entière, à commencer par le Burkina Faso.
  2. Deuxièmement, la mission a permis d’échanger avec plusieurs universitaires sur la reprise et/ou le renforcement de notre coopération qui a vécu des moments de flottements, résultant de la crise ayant paralysé notre université. Ces échanges ont surtout été des moments de comparaison de nos propositions avec ce qui est aujourd’hui en vigueur dans les universités françaises en termes d’innovations pédagogiques.
  3. Enfin, la mission a permis la collecte d’une abondante documentation relative aux programmes de formation dont nos propres structures pédagogiques pourront s’inspirer dans le processus de leur adaptation au regard des nécessités imposées par l’environnement global. En conclusion, je peux raisonnablement affirmer que le bilan de mon voyage a été très positif à plus d’un titre :
    • le principe de la signature des accords cadres a été arrêté avec plusieurs partenaires;
    • les informations reçues indiquent que l’application de la refondation telle que conçue mettra notre université dans une dynamique nouvelle qui lui évitera certaines crises résultant des dérives organisationnelles et d’une mauvaise conception des rapports sociaux sur le campus;
    • l’essentiel des mesures recommandées par la refondation reste tout à fait dans les normes de ce qui doit être;
    • les partenaires ont été heureux de savoir la reprise des activités dans notre université.

Qu’est-ce-qui a motivé véritablement votre retour à la tête de l’université dans les fonctions que vous aviez déjà occupées de septembre 1990 à août 1995 ?

Mon retour à la tête de l’université ne constitue pas une originalité du Burkina Faso. Pendant la crise à l’Université du Bénin, il a aussi été fait appel à l’ancien recteur pour exercer les fonctions de chancelier. Il s’est agi pour lui d’apporter sa contribution dans la remise en ordre des choses à partir de l’expérience acquise. En effet, la période où j’ai exercé les fonctions de recteur fut une période très agitée pour toutes les universités de notre sous-région. Grâce alors aux efforts et au soutien des collègues enseignants, notre université sous ma direction, avait su éviter les situations extrêmes d’années blanches ou invalidées. Le souvenir de cette période, à tort ou à raison, a dû jouer sans doute dans mon rappel à la tête de l’université. Mais vous devez savoir que 1993 n’est plus 2001 pour ne pas déçu dans l’évaluation des résultats, le moment venu.

Que propose la refondation de l’Université de Ouagadougou ??

Comme je l’ai expliqué plus haut, la refondation profile une université moderne, à l’écoute des populations; plus performante, plus ouverte sur son environnement et plus démocratique. Elle recommande l’usage de la force des idées, basée sur l’argumentation scientifique et non de la coercition ou de l’intolérance comme moyen de persuasion. Elle se penche sur les conditions matérielles des enseignants dont l’amélioration constitue un des paramètres majeurs influençant la qualité de la formation. En bref, la refondation organise la vie sur le campus, l’humanise de sorte que la conjugaison des efforts de tous ceux qui y vivent permettent à l’université de remplir sa mission fondamentale, celle d’éclaireuse de la société. En définitive, la refondation veut que l’Université de Ouagadougou devienne une université plus utile et plus rentable à la nation.

Quelle appréciation faites-vous de cette première année de la refondation qui s’achève, par rapport à l’activité académique et à l’attitude des syndicats d’enseignants vis-à-vis de la refondation ??

La première année de refondation a été une année assez délicate à conduire car les mesures prises pour résoudre la crise universitaire sans précédent dans l’histoire de notre pays ont créé une certaine frustration chez bon nombre d’enseignants. Il a fallu beaucoup expliquer pour que les uns et les autres se départissent progressivement de leurs humeurs des premiers moments, en faisant appel à leur bon sens d’intellectuels conscients, soucieux de l’avenir de la jeunesse.

Du point de vue de l’activité académique, mon appréciation est excellente dans la mesure où les taux d’exécution des enseignements atteignaient plus de 80% dans la plupart des unités de formation et de recherche (Ufr), à en croire les rapports qui ont été portés à ma connaissance par les différents directeurs juste avant mon départ pour la présente mission. Les contrôles et examens partiels se déroulent normalement. Bien que nous ayons commencé avec du retard, la durée académique réglementaire sera respectée puisque la fin de l’année universitaire a été repoussée jusqu’au 31 août 2001 avec possibilité de prolongation sur demande spécifique de telle ou telle Ufr ou Institut.

En ce qui concerne mon appréciation de l’attitude des bureaux des syndicats d’enseignants, elle est assez nuancée. Pendant longtemps, j’ai eu le sentiment que ces bureaux ne souhaitaient pas la fin de la crise en ce sens que des propositions qui auraient pu créer une base de négociation étaient systématiquement rejetées par eux. Il y a eu ainsi des mots d’ordre de blocage du fonctionnement des Conseils de gestion des Ufr, lancés par ces bureaux : on a aussi noté de la part des syndicats un refus de débattre des textes soumis aux Ufr et Institut depuis le mois de mars 2001 et rejet de plusieurs propositions qui tendaient à apaiser la situation. Mais il faut reconnaître qu’il y a eu tout au long une volonté de la majorité des enseignants qui a permis d’avoir une activité quasiment continue depuis le mois de janvier même si elle était modulée suivant les établissements. A un mois de la fin des cours, nous avons trouvé des compromis solides avec ces bureaux qui augurent donc d’un avenir plus serein sur le campus. Avec l’installation prochaine du Conseil de la formation et de la vie universitaire, le cadre des débats d’ordre institutionnel et académique sera renforcé, toute chose revendiquée par les syndicats. C’est pourquoi je félicite les syndicats pour ce changement d’attitude qui rassure nos partenaires de coopération dans la poursuite et le renforcement de leur soutien au système d’enseignement supérieur dans notre pays.

Du fait de la refondation, vous avez démarré les cours le 4 janvier 2001 et vous voulez les arrêter le 7 juillet 2001. Pensez-vous que l’enseignement a été conforme aux règles du Conseil africain et malgache pour l’enseignement supérieur (Cames) ??

Tout à fait car ce qui est recherché par le Cames, c’est un volume de travail qui doit être accompli durant une année universitaire en 25 à 30 semaines pour permettre la signature d’un diplôme. L’enseignement tel que dispensé cette année dans notre université, selon un emploi de temps de type missionnaire, du lundi au samedi, avec réduction du nombre de jours fériés, nous permettra de surmonter le handicap du retard et de respecter ainsi les normes du Cames. L’analyse du taux de réalisation des enseignements tel que précédemment annoncé l’atteste amplement.

Le mot de la fin ? Bien que nous n’ayons pas encore tout à fait terminé l’année universitaire 2000-2001, je remercie l’ensemble du corps professoral et des étudiants pour la part active jouée par les uns et les autres en vue de la réussite de la présente année. Elle était un défi pour le peuple burkinabè. Et l’intérêt de la jeunesse a prévalu, ce qui augure d’ores et déjà notre succès commun.?

A un niveau plus général, j’ai noté au cours de ma mission qu’un fossé se creusait de plus en plus entre les universités du nord que sont celles de la France et les universités du sud comme celle de Ouagadougou en termes d’organisation et du contenu des programmes. Une telle situation relève des moyens mis en oeuvre de part et d’autre. Si des mesures de regroupement ne sont pas envisagées au sud pour pallier l’insuffisance des moyens disponibles pour nos universités nationales, ce fossé qui traduit un retard ne fera que s’agrandir. Il faut donc repenser le mode de formation au sud. Le recours aux formations dans un contexte régional est porteur de qualité et d’espoir. Suite à la crise économique qui secoue nos pays du sud depuis plus d’une dizaine d’années, nos universités montrent en ce moment leur limite pour une formation de qualité, susceptible de produire, pour nos économies, l’élite indispensable. La survie de nos universités, à brève échéance, dépendra donc de l’approche positive que nos gouvernants auront de cette question. Il est souhaitable que l’euphorie des souverainetés nationales, née avec l’avènement des indépendances, cède la place à une politique réaliste dans l’élaboration des plans de formation. C’est à ce prix qu’on peut envisager un avenir pour l’Université africaine, fondement premier de tout processus de développement et d’intégration régionale.

Propos recueillis par Idrissa Fofana

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