BARACK OBAMA ET L’AFRIQUE : La fin du désamour ?

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Ahmed Cissé

Du 26 juin au 3 juillet 2013, le président américain, Barack Obama, a entrepris sa deuxième tournée en Afrique noire, le continent de son père, soit 4 ans, presque jour pour jour, après sa visite météorique, à Accra, où, en vingt-quatre heures, il avait mis l’accent, non pas sur les « hommes forts », inamovibles dictateurs installés un peu partout à la tête des pays, pendant des décennies, comme des roitelets, mais plutôt, sur des « institutions fortes et solides ». Conduite de façon habile, pendant tout son premier mandat à la Maison Blanche, par la secrétaire d’Etat Hillary Clinton, la politique africaine des Etats-Unis met l’accent sur ce qui n’est pas pour plaire à tous les dirigeants africains qui se savent mal élus.

« Bienvenue à l’éminent fils de l’Afrique ! » ; « Bienvenue à la maison ! ». Voilà ce qu’on lisait sur les pancartes que montraient les télévisions ghanéennes, le 11 juillet 2009, quand Barack Obama avait décidé de faire une visite de 24 heures, à peine, au président du Ghana, John Atta-Mills, l’un des chefs d’Etat africains les mieux élus, à cette époque. Obama (qui est un nom typiquement bantou qu’on retrouve, certes, chez des ressortissants du Kenya, mais aussi, des deux Congo, du Cameroun, et dans une moindre mesure, du Gabon et de la Guinée équatoriale) fut accueilli avec tellement une immense ferveur que le Ghana n’a pas trahi à sa réputation de terreau du panafricanisme ambiant. Seulement, les Africains ont vite fait de déchanter chez cet homme sur qui ils fondaient beaucoup d’espoir et qui ne s’est nullement manifesté à leur endroit d’aucune manière. Ils ont finalement compris qu’ils avaient tort de trop miser sur le président d’un pays d’autrui, les Etats-Unis, qui en réalité n’est pas un des leurs, sinon, de par le lointain rappel qu’il est le fils d’un Kenyan, ce que du reste montre la couleur de sa peau. Pour le reste, Barack Obama s’est appliqué à montrer, pendant tout son premier mandat, aux Africains qu’il n’était pas un Africain-Américain même lointain comme on le croyait, et que le continent ne devait pas compter sur lui. Hillary Clinton, chef de la Maison Blanche, aurait nettement mieux soutenu et aidé l’Afrique, comme le fut déjà très bien Bill Clinton et même George W. Bush,quand ils étaient locataires de la Maison Blanche. Au département d’Etat, Hillary a parcouru toute l’Afrique « utile » aux yeux de l’Amérique, faisant réellement penser qu’elle aurait mieux fait à la place de l’actuel président des Etats-Unis.

Barack Obama n’a rien fait pour l’Afrique. Mais plus grave, sa politique aura été catastrophique pour le continent noir : il a, ainsi, adhéré, sans tenir compte de l’avis de l’Union africaine, à l’éviction du colonel libyen Mu’ammar al Kadhafi, avec des conséquences gravissimes que rencontre, aujourd’hui, toute la région du Sahel : regain du terrorisme, prolifération des armes lourdes et légères piochées dans des entrepôts du guide libyen, montée en flèche du djihadisme, risque de déstabilisation des pays du Sahel,etc. Quand on demande aujourd’hui aux Africains de mettre sur une balance les avantages et les inconvénients de l’éviction de Kadhafi par l’OTAN, ils avancent sans nuancer que les inconvénients sont plus importants que les avantages et que le projet de chasser Kadhafi du pouvoir, n’a pas été pensé pour aider les Libyens et les Africains. Après un tel constat, les Africains devraient-ils être fiers de Barack Obama ? En quoi ce dernier serait-il fondamentalement différent de George W. Bush dont la politique étrangère était tout aussi interventionniste ?

Mais laissons les sujets qui fâchent car il y en a beaucoup d’autres, certes, moins gravissimes que l’assassinat d’un chef d’Etat qui ne demandait rien aux Américains. Regardons l’avenir, en confiance (?), maintenant que Barack Obama va bientôt commencer le compte à rebours de son départ de la Maison Blanche. Quelle empreinte va-t-il laisser en Afrique en dehors des mots ? Le problème n’est pas de croire que les Africains considéraient Barack Obama comme leur sauveur ou une sorte de président africain qui ne dit pas son nom. Loin là. A la tête du pays le plus puissant du monde, il détient une responsabilité particulière au regard de la dramatique situation qui prévaut en Afrique dans tous les domaines, et étant donné ses propres origines. Il n’est pas partial de constater que son bilan africain, en dehors de l’éviction du dictateur Kadhafi, ne pèse guère lourd, quand on l’évalue sur le plan de son apport au développement et au bien-être des Africains, par rapport à celui de chacun de ses deux derniers prédécesseurs. S’il continue à ce rythme, avant de quitter son poste dans trois ans, il en aura honte, jusqu’à la fin de ses jours. Le supportera-t-il ? Ou bien alors, attendra-t-il la fin de son mandat pour revêtir le costume de grand humaniste porteur de sacs de farine ou de riz à destination du Darfour, de la Somalie ou de l’Est de la République démocratique du Congo ? Ce n’est pas ce qui est demandé au président des Etats-Unis : les Africains souhaitent que ce dernier dynamise les investissements publics et privés américains sur le continent dans un cadre partenarial gagnant-gagnant. Cette vision englobe l’ensemble de la relation entre l’Afrique et l’Amérique en ce sens qu’elle va de la promotion de la démocratie véritable (celle qui encourage l’alternance à la tête des Etats) à la réalisation des infrastructures permettant la transformation sur place des matières premières locales.

La Maison Blanche reconnaît elle-même ce qu’il y a lieu d’appeler aujourd’hui « faillite » de la politique africaine de Barack Obama. Le 14 juin, le Conseiller adjoint à la Sécurité nationale, Ben Rhodes, affirmait que l’absence du président Obama en Afrique avait « beaucoup déçu » et qu’il était « grand temps » de proposer quelque chose dans un intérêt gagnant-gagnant, comme aiment dire les Chinois. Justement, même la Chine malgré sa lourde offensive sur le continent noir n’a pas réussi à sortir le locataire de la Maison Blanche de sa torpeur, contrairement, à ce que pensent certains analystes. On ne sait plus quoi dire !

Selon une étude publiée en avril par le groupe de réflexion Center for Global Development, la Chine a investi 75,4 milliards de dollars en Afrique au cours de la période 2000-2011, ce qui représente environ un cinquième du total des investissements sur le continent, s’approchant des montants dépensés par les Etats-Unis, qui y ont investi 90 milliards de dollars, pendant la même période. En réalité, cette statistique relativement avantageuse pour les Etats-Unis, cache mal le fait que Oncle Sam est en totale perte de vitesse car il y a seulement dix ans, personne ne parlait de la Chine en Afrique comme d’une menace potentielle. Aujourd’hui, les Africains ne jurent que par le chinois, ce qui a le mérite de fortement irriter les Occidentaux. Pour preuve, Washington et ses alliés européens reprochent aux Chinois tout et son contraire. Maintenant, même les propres turpitudes des Africains sont, pour les Occidentaux, le fait des Chinois.

La raison à cela ? La Chine est avide – et c’est peu de le dire – des matières premières africaines. Sa position de pays à la fois industrialisée et en voie de développement convient à l’Afrique. Son régime dictatorial avec son parti unique est une situation de rêve pour les petits potentats africains. Son marché de 1,3 milliard de personnes avec des ressources financières autonomes qui font que la Chine est capable d’investir, sans recourir aux institutions de Bretton Woods, sur toutes sortes d’infrastructures en Afrique, et sans se soucier des contours démocratiques des régimes africains, plaît énormément en Afrique. C’est une situation de rêve pour tout dictateur africain avide de capitaux étrangers pour promouvoir un semblant de développement dans son pays. C’est donc dire que la mafia d’Etat qui a cours à Pékin trouve un bon relai dans les capitales africaines où les pratiques d’enrichissement sans cause et anti-démocratiques, ont pignon sur rue. Rien à faire même si les produits finis Chinois ne sont pas de très bonne qualité et commencent à « lâcher » à la première utilisation. Pour les Africains, la Chine est d’abord l’alternative au monde occidental piloté par Washington, dont les leçons de morale et de démocratie précédant toute signature de contrat d’aide ou d’investissement, sont loin de contenter les Africains qui n’aiment plus que les Occidentaux viennent fourrer leur nez dans leurs affaires. Voilà comment, malgré une technologie où il y a beaucoup à redire, les Chinois sont devenus, en 2009, les premiers par tenaires de l’Afrique, d’après l’OCDE (Organisation de coopération et de développement économiques). Et leur rythme d’investissement soutenu fait qu’ils vont rester en pôle position pendant de très longues années.

C’est vrai, certains dirigeants africains préfèrent le modèle chinois parce qu’il renforce leur pouvoir. Mais les démocrates et les défenseurs des droits de l’homme, ont une vision différente. Les Etats-Unis devraient se concentrer sur ce qu’ils font le mieux, à savoir, la démocratie, les droits humains, l’état de droit. N’est-ce pas cela qui va permettre à l’Afrique de sortir de son cycle de pauvreté durablement ?

Voilà donc Barack Obama qui a choisi d’aller au Sénégal, ensuite, en Tanzanie et de terminer, par l’Afrique du Sud,trois pays parfaitement démocratiques. On observe que lors de sa toute première visite en Afrique comme nouveau président chinois, en mai dernier, Xu Jinping avait, lui aussi, choisi de visiter la Tanzanie et l’Afrique du Sud. Cette coïncidence ne serait pas à relever si l’Afrique ne comptait pas 54 pays les uns plus riches que les autres. Pourquoi a-t-il contourné le Kenya, le pays de son père ? Est-ce pour éviter son nouveau président démocratiquement élu, Uhuru Kenyatta, qui doit comparaître à la CPI (Cour pénale internationale) à par tir de novembre prochain ?

Le président des Etats-Unis devrait, également, revoir la question de l’Afrique centrale, cette région qu’il a une fois de plus évitée pour son deuxième voyage, ne se contentant que de sur voler son espace aérien. En 2009, c’est au Ghana, pays de l’Afrique de l’Ouest, où il avait jeté son dévolu. Par la suite, il avait aimablement reçu au Bureau ovale, le Nigérien Mahamadou Issoufou, le Guinéen Alpha Condé, le Béninois Yayi Boni et l’Ivoirien Alassane Ouattara, pour saluer leur élection à la tête de leur pays, et tracer les lignes du partenariat entre les Etats-Unis et leurs pays. Aucun pays d’Afrique centrale n’a reçu cet ultime honneur. On compte même au moins deux chefs d’Etat de cette sous-région que Washington a refusé de féliciter après leur victoire à l’élection présidentielle. Pour tant, les ambassadeurs américains en fonction en Afrique centrale, ne sont pas très impliqués dans les combats que mènent les oppositions et les sociétés civiles locales, par fois au péril de leur existence. Le comportement des ambassadeurs américains officiant en Afrique de l’Ouest, au niveau de la SADC et de ce qui reste du Maghreb arabe, est totalement différent de la somnolence de leurs homologues de l’Afrique centrale. Pour tant, c’est en Afrique centrale qu’on suspend les journaux (Congo-Brazzaville), on emprisonne les journalistes (Tchad), on fait les coups d’état (Centrafrique), et on truque scandaleusement les élections (RDC). C’est en Afrique centrale qu’un Etat, au vu et au su de tout le monde et qui s’appelle le Rwanda pour ne pas le nommer, peut se permettre de narguer les Nations-Unies et toute la communauté internationale, en s’obstinant à financer une rébellion, le M23, qui cause la terreur et la désolation dans une partie de l’Est de la RDC. Allié des Etats-Unis, le Rwanda montre à qui veut voir et dit à qui veut l’entendre, que seule la loi du plus for t, en l’occurrence la sienne, est la meilleure, sans risque d’être contredit.

Pour son deuxième voyage en Afrique noire, le président américain a choisi de visiter les pays qui pratiquent la bonne gouvernance, le respect des droits de l’homme et, sur tout, les principes élémentaires de démocratie. On souhaiterait qu’il sorte de la frilosité qui caractérise sa politique africaine actuelle, afin que l’Amérique reprenne sa place, toute sa place, en Afrique qui est un continent d’avenir et donc, le futur moteur de croissance de l’économie mondiale dans un avenir non lointain.

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