CAMEROUN : UNE CROISSANCE GRACE AU PETROLE ET A LA BONNE GOUVERNANCE (?)

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Le développement d’un pays comme le Cameroun se mesure à la capacité de pouvoir améliorer la qualité de vie de tous les citoyens du pays. Il faut pour cela, entre autres :

  • augmenter le niveau de vie et le pouvoir d’achat de la population pris globalement, ce qui ne peut se faire que par une croissance continue de l’économie du pays couplée avec un système de répartition des fruits de cette croissance,
  • retrouver la confiance en soi et les conditions de fonctionnement des institutions permettant de promouvoir la dignité et le respect, et enfin,
  • assurer l’instauration des droits fondamentaux et de liberté sous toutes leurs formes.
Une croissance qui semble revenir si…

Avec la reprise des activités avec les principaux bailleurs de fonds (Fmi, Banque mondiale et les bilatéraux), le Cameroun aurait achevé l’année 2000 sur une note positive. En effet, l’approbation en décembre 2000 par le Fmi d’un programme triennal de réformes dites de deuxième génération a été considérée comme un « satisfecit » pour le gouvernement et a permis l’ouverture d’un crédit de 14,4 millions de droits de tirages spéciaux (1 Dts – monnaie de compte du Fmi équivalait en 1999 à 896,2 f cfa). Le Fmi a considéré que le Cameroun a réussi un premier programme de 3 ans portant sur une facilité pour la croissance et la réduction de la pauvreté. Les réformes structurelles et le programme de privatisation ont été initiés; les fondamentaux macroéconomiques ont été maintenus à un niveau acceptable. Avec une croissance de 4,2% du produit intérieur brut (Pib) entre 1999/2000 contre une moyenne de 2,8% de croissance de la population entre 1997 et 2010, avec une inflation contenue à 2% et un déficit budgétaire de moins de 3%, le gouvernement a rempli sa mission de maîtrise de comptes de l’Etat à court terme. Il a même été question pour le premier ministre, Peter Mafany Musonge, en poste depuis 1997, d’augmenter le budget des ministères en charge du social pour réduire les effets non souhaités des différentes politiques d’austérité. Avec 40% du total des exportations camerounaises vers l’Italie, le Cameroun a réussi la diversification de ses marchés. En effet, la part des exportations vers la France n’est plus que de 25,2%, suivie de près par l’Espagne avec 22,3%. En fait, l’objectif est clair, il faut passer de 4,5% de croissance du produit intérieur brut en 2000 à 6% en 2015. Pour cela, le gouvernement compte sur une amélioration des rentrées fiscales et douanières et un meilleur suivi des recettes pétrolières. Bref, il devient urgent de mettre en oeuvre volontairement la « fameuse » bonne gouvernance ainsi qu’une politique anti-corruption. Pour être éligible au programme des pays pauvres très endettés (Ppte) mis sur pied par le patron de la Banque mondiale, James Wolfensohn, et amendé à plusieurs reprises par les pays du G 7, le Cameroun a décidé de s’attaquer aux « criminels économiques » notamment dans l’administration, les services et les entreprises publiques. Le Fmi a été clair en précisant que les dépenses publiques devraient bénéficier aux populations cibles avec une priorités donnée aux secteurs sociaux, notamment, l’éducation, la santé et les infrastructures.

Remaniement du gouvernement en fonction des nouvelles priorités des bailleurs de fonds

Malgré une aide appréciable pour la réalisation de 240 km de route bitumée supplémentaire entre Garoua et Maroua au nord en direction de N’Djamena (Tchad), l’aide publique au développement est en chute libre. La France est passée de 308 millions (M) de $ EU en 1994 à 152,8 M $ EU en 1998. L’Union européenne a suivi le mouvement en passant pour les mêmes périodes de 114 M $ EU à 29,3 M $ EU. Alors pourquoi un nème réaménagement du gouvernement camerounais en avril 2001 ? Sept déprts et sept entrées et deux changements de portefeuilles. Sans aller dans le détail, il faut noter que le titulaire du ministère de la Santé publique, Laurent Esso, passe à la Défense. Son collègue de la Défense, Amadou Ali, est passé à la Justice, en qualité de ministre d’Etat. Les « satisfecit » du Fmi n’ont pas empêché le ministre de l’Economie et des Finances, Edouard Akamé Mfoumou, le contrôleur supérieur de l’Etat, Lucy Gwanmessia, le ministre des Transports, Joseph Tsanga Abanda, d’être remerciés… Le président Paul Biya ne devait donc pas être satisfait. Pour plaire aux conditions des bailleurs de fonds, la technique de la chaise tournante a été appliquée. Malgré les grandes déclarations, l’audit, la transformation, la Société nationale d’investissement (Sni), entité qui gère l’essentiel du portefeuille de l’Etat, n’a pas encore été privatisée et servira de test grandeur nature pour le nouveau gouvernement, notamment, pour le nouveau ministre de l’Economie et des Finances, Michel Meva’a Meboutou. Comment, entre autres, privatiser sans casse la Sni, la Snec (l’eau), le Camtainer (transport des containeurs), la Sodecton (coton), le complexe agro-industriel Cdc (Cameroon Development Coporation) ? Une gageure dans un pays où les interférences de l’Etat en économie sont le droit commun et non l’exception.

Sans le pétrole, le Cameroun serait un pays moins avancé

L’actualité a ceci de particulier qu’elle cache parfois les grandes tendances. Il devient urgent alors de se demander si la « bonne note » du Cameroun sur le plan économique est justifiée ? Pour cela, il importe de rappeler que la croissance moyenne du Pib, selon les données de la Banque mondiale, a baissé passant de 5% en 1998 à 4,4% en 1999. Il est prévu une croissance entre 4,9% et 5,4% pour 2000/2001 s’il n’y a pas de retard dans la mise en route du pipeline Tchad-Cameroun. Le stock de la dette quasi-inexistant en 1970 est passé de 100 M $ EU à 9.900 M $ EU en 1999 et 10.500 M $ EU en 2001, l’essentiel provenant de la dette publique garantie. Le montant négligeable de la dette privée non garantie tend à monter que très peu d’investisseurs étrangers s’aventurent au Cameroun sans se couvrir auprès des structures publiques. La dette à court terme inexistante en 1970 est passée à 1.200 M $ EU en 1999. Les transferts nets de ressources ont fondu passant de 610 M $ EU en 1970 à 4 M $ EU en 1999 avec un plafond de 450 M $ EU en 1990. Même le solde commercial (exportations moins les importations) n’est pas positif. Entre 1970 et 1999, la dépendance vis-à-vis des bailleurs de fonds s’est accentuée. La dette à long terme est passée de 140 à 7.900 M $ EU et le service de la dette est en constante augmentation passant de 11 M $ EU en 1970 à 550 M $ EU en 1999 (voir graphique).

Mettre graphique
  1. la difficulté à engranger des bénéfices dans les secteurs hors pétrole et surtout,
  2. une grande capacité à laisser la dette augmenter sans que cela profite réellement à tous les camerounais. Sans le secteur pétrolier, le Cameroun serait classé parmi les 49 pays les moins avancés dont 34 se comptent en Afrique. En effet, c’est le prix du baril de pétrole à 28 $ EU en 2000/2001 contre 21 $ EU le baril dans les projections du gouvernement qui a facilité la bonne tenue du budget de l’Etat. Mais le prix risque à moyen terme de tomber en-dessous de 24 $ EU le baril et limiterait d’autant la marge de manoeuvre de l’Etat.
Les fonds secret vont permettre de gagner les élections locales et législatives

Au-delà de la bonne gestion à court terme du budget de l’Etat au cours des 3 dernières années, le « satisfecit » des bailleurs tient à la « bonne » gestion des facilités additionnelles provenant de la gestion patrimoniale et secrète des fonds dérivés du pétrole. Ces fonds permettent de rétablir les grands équilibres macro-économiques sans toutefois avoir un impact direct sur la population. La balance commerciale hors pétrole est en constate baisse depuis 1996, notamment, les exportations hors pétrole. perte de compétitivité dans la zone de la Communauté économique et monétaire de l’Afrique centrale (Cemac) de certains opérateurs camerounais, détérioration des termes de l’échange pour les matières premières notamment agricoles, absence de soutien aux Pme et Pmi camerounaises, etc. Les raisons ne manquent pas. Pourtant c’est bien la modernisation et la mise à niveau des capacités productives du pays qui font cruellement défaut. Lorsque les capacités humaines et managériales sont couplées avec une non-intervention de l’Etat, les résultats ne sont se font pas attendre comme le démontre le Chantier naval industriel du Cameroun basé à Douala qui, restant pour l’heure encore dans le giron de l’Etat, fait des bénéfices, paie régulièrement des impôts et crée des emplois. On ne peut en dire autant de Cameroon Airlines, la compagnie aérienne qui doit en principe être privatisée en juin 2002. Il faut rappeler que Camair a fait cavalier seul en n’apportant pas son soutien à Air Afrique. Sur un autre plan, le choix de Christopher Nsalai, comme ministre des Transpsort, a pour objet premier d’affaiblir les oppositions des provinces du nord-ouest. Mais John Fru Ndi, le patron du principal parti d’opposition, le Social Democratic Front (Sdf) est en train de s’organiser pour les élections locales et législatives prévues respectivement pour janvier et mars 2002. Sans une union de l’opposition sur des bases écrites avec des primaires démocratiques, les chances demeurent faibles d’assurer une véritable alternance au Cameroun.

Accès au pétrole contre crédit des bailleurs de fonds

Lorsque le pétrole rentre en jeu avec le projet Tchad-Cameroun d’acheminement du pétrole jusqu’à Kribi, en espérant que les délicieuses crevettes noires (rose au cours de la cuisson) de la région ne disparaissent pas avec les risques énormes de pollution, ceux qui prônent la bonne gouvernance ne s’interrogent plus sur les inégalités et les disparités entre les différent secteurs contribuant à la création de la valeur ajoutée et du produit intérieur brut. Même s’il et prévu que l’essentiel des revenus de ce pipeline, qui va coûter autour de 3,7 milliards de $ EU, permettra de soutenir le secteur de la santé, de l’éducation, de l’agriculture et l’infrastructure, il faut attendre la fin des travaux en 2003 pour espérer des retombées financières. Avec une production d’environ 225.000 barils par jour, le Tchad voisin, avec Idriss Déby réélu dans les conditions que l’on sait sans que cela gêne ceux qui ont traité le dossier pétrole avec lui, pourra se constituer des rentrées substantielles de l’ordre de 2 milliards de $ EU par an pendant 25 ans. Les agences de garantie françaises Coface, et de financement américain tel qu’Eximbank, les pétroliers ExxonMobil, Chevron et Petronas de Malaisie sont en quête de marché et de « sous-sol ». Comment est mis à disposition ce sous-sol avec l’expropriation forcée des populations sans voix ne fait pas l’objet de publicité ? Bien sûr, la Banque mondiale ainsi que son secteur privé, la Société financière internationale, ne sont pas en reste. Pour rester en accord avec eux-mêmes (faire du profit, promouvoir le développement tout en réduisant la pauvreté), il devenait important de montrer que le Cameroun va mieux afin de justifier les octrois importants de crédit pour des projets dont les retombées directes sur la population ne sont pas évidentes.

Le Cameroun est en train d’oublier son secteur de production hors pétrole pour favoriser le secteur de l’hydrocarbure. Dans ces conditions, l’absence de création d’emplois peut se révéler dangereuse à terme. C’est donc tout le problème de l’éducation qui est posé. Le partenariat nouveau (avril 2001) entre le ministère de l’Education et le patronat notamment avec le patron du Groupement interpatronal du Cameroun (Gicam), André Siaka, sur les possibilités d’organiser et de financer la formation professionnelle, l’enseignement technique, les alternances écoles/universités et l’entreprise sont des pistes à soutenir. Mais le budget n’est pas encore disponible. Dans le domaine des nouvelles technologies de l’information, le pourcentage de la population camerounaise qui fait usage de l’Internet reste très marginal, soit 0,13%. Alors que ce pourcentage est de 4,66% pour Maurice, 4,19% pour l’Afrique du Sud, 1,16% pour la Tunisie, 0,76% pour le Botswana et 0,65% pour l’Egypte. Le Cameroun ne semble avoir pris conscience des conséquences que pourrait engendrer le retard dans sa capacité à s’adapter à l’économie de l’information. Un retard trop important dans ce secteur pourrait laminer rapidement tous les efforts passés dans le secteur de production hors pétrole. Restera le tourisme, mais là aussi, les recettes sont tombées de 62 M $ EU en 1980 à 40 M $ EU en 1998, soit moins de 1,7% des exportations.

Le Cameroun risque de voir l’inégalité augmenter, puis menacer sa stabilité

Le Cameroun, pays bilingue, gagnerait à jouer la carte de la transparence sur les réalités des données économiques et ne pas se laisser endormir par les « satisfecit » qui en disent long sur les notations à géométrie variable des bailleurs de fonds, attirés par la manne pétrolière, surtout si les comptes ne sont pas toujours des plus transparents. Il n’y a pas besoin de rappeler la véritable déforestation que constitue l’exploitation à très grande vitesse des billes de bois pour l’exportation. Là encore, on invoque la faiblesse de la technologie et de la qualité locale pour accélérer le mouvement. Les effets sur l’environnement ne devont plus tarder. Malheureusement, dans tous les pays où la manne pétrolière n’est pas régulée pour appuyer le mieux-être de la population, les inégalités augmentent, les velléités de sécession des provinces du sud et du nord ouest aussi. Le respect des droits de l’homme, de la femme et de l’enfant s’en ressent. Mais la sagesse du président Paul Biya, décidé à rentrer dans l’histoire, passe par un vrai bilan sur l’amélioration du pouvoir d’achat de ses concitoyens et une volonté de faire progresser le bien-être général de la population. Le revenu par tête d’habitant, de 650 $ EU en 1980, 970 $ EU en 1990, 664 $ EU en 1999, reste très inégalement réparti. L’intimidation des journalistes indépendants devrait graduellement se réduire avec la libéralisation des médias inscrite dans un décret présidentiel datant de l’an 2000 et peu diffusé. Alors la politique anti-corruption pourrait avoir des chances de réussir.

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