COTE D’IVOIRE : La marche du 9 août 2025 à Yopougon, un tournant décisif pour l’opposition ?

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Le 9 août 2025, Yopougon, le plus grand quartier populaire d’Abidjan, a vibré au rythme d’une impressionnante mobilisation populaire. A l’appel d’une frange importante de l’opposition ivoirienne, des milliers de manifestants ont battu le pavé pour dire « non » au quatrième mandat du président, Alassane Ouattara, qu’ils qualifient d’anticonstitutionnel, et pour dénoncer la radiation de quatre grandes figures politiques : Laurent Gbagbo, Tidjane Thiam, Guillaume Soro et Charles Blé Goudé. Cette manifestation, au-delà de sa dimension symbolique, soulève de nombreuses questions sur l’avenir politique du pays et la capacité réelle de l’opposition à inverser le rapport de force.

Une démonstration de force qui rappelle les grandes heures de la contestation

L’ampleur de la marche du 9 août a marqué les esprits. Pour beaucoup d’observateurs, il s’agissait de la plus grande mobilisation de l’opposition depuis les gigantesques rassemblements d’octobre 2002 sur le Plateau d’Abidjan, menés à l’époque par Charles Blé Goudé. Comme en 2002, la foule nombreuse, déterminée et pacifique a rappelé que la rue pouvait encore peser dans les équilibres politiques ivoiriens.

Pascal Affi N’Guessan du FPI et Danièle Boni Claverie ont également marché à Yopougon.

En effet, cette marche n’était pas un simple défilé de protestation. Elle cristallisait des colères accumulées depuis plusieurs années : la frustration née de la confiscation du débat démocratique, l’exclusion de leaders politiques majeurs, l’absence de dialogue sincère entre pouvoir et opposition, mais aussi, la dégradation des conditions de vie des populations. Le gouvernement, en réponse, a tenté de minimiser la portée de l’événement. Mais, les images parlent d’elles-mêmes : une marée humaine a déferlé dans les rues de Yopougon, démontrant que la base populaire de l’opposition reste vivace.

Vers une rupture politique majeure ?

Mais, cette démonstration de force, aussi impressionnante soit-elle, suffit-elle à renverser le cours des choses ? Le président Ouattara, au pouvoir depuis 2011, semble déterminé à aller jusqu’au bout de son quatrième mandat malgré les critiques internes et internationales. Il a jusqu’à présent ignoré les appels au dialogue et les mises en garde sur les conséquences d’un entêtement autocratique. Son régime est accusé d’avoir profondément divisé le pays, notamment, à travers une gouvernance perçue comme clanique, ethno-centrée et autoritaire.

De nombreux Ivoiriens s’interrogent : que peut encore faire l’opposition si le pouvoir continue de faire la sourde oreille ? Le risque d’un durcissement de la contestation est réel. Plusieurs voix au sein de l’opposition évoquent déjà la nécessité de « passer à la vitesse supérieure » si leurs revendications ne sont pas entendues. Autrement dit, paralyser le pays, bloquer l’économie, frapper là où cela fait mal — au portefeuille de l’Etat et des grandes entreprises, notamment, françaises, qui tirent profit de la stabilité apparente du pays.

La logique serait alors celle d’un bras de fer frontal. Une situation que le pays a déjà connue avec ses conséquences désastreuses, mais que beaucoup jugent aujourd’hui inévitable, à moins que le régime ne revienne à la raison.

L’appel de la rue : Vers un scénario à la malienne ou à la burkinabé ?

L’exemple malien de 2020, où le peuple est descendu massivement dans la rue pour obtenir la chute d’Ibrahim Boubacar Keïta, ou celui du Burkina Faso en 2014, qui a vu la chute de Blaise Compaoré, alimente les espoirs de ceux qui pensent que seule la pression populaire pourra faire reculer Ouattara.

Le mot d’ordre de certains militants est clair : « Si Ouattara refuse le dialogue, c’est à la rue de parler. » Cette option, radicale mais soutenue en silence par une partie croissante de la population, gagne du terrain. L’exaspération est palpable. Entre une dette nationale qui dépasse les 44 000 milliards de F CFA, la restriction des libertés fondamentales et une gouvernance perçue comme opaque, le sentiment de ras-le-bol se généralise.

Mais, pour que cette stratégie ait une chance de succès, encore faut-il que l’opposition joue enfin collectif. Or, c’est bien là que réside le principal défi : l’unité. Trop souvent divisée, traversée par des ambitions personnelles et des calculs de positionnement, l’opposition peine à parler d’une seule voix. Or, face à un régime aussi solidement installé, seul un front uni, cohérent et discipliné pourrait faire vaciller le pouvoir.

Laurent Gbagbo était absent mais le PPA-CI était représenté à la marche.

Des marches, oui, mais après ?

La marche du 9 août restera dans l’histoire politique ivoirienne comme une démonstration spectaculaire de la vitalité de l’opposition. Mais, à elle seule, elle ne suffira pas à changer le cours des événements. Il faudra bien plus qu’un déferlement populaire d’un jour pour mettre fin à ce que certains appellent désormais la « dérive monarchique » du régime Ouattara.

L’opposition doit désormais transformer cette énergie populaire en stratégie politique. Elle devra s’organiser, construire un programme alternatif crédible, résister aux tentations de récupération ethnique ou violente, et surtout, maintenir la pression dans la durée. Car le temps joue pour le pouvoir : Chaque jour qui passe sans action concrète affaiblit la mobilisation.

Au final, la vraie bataille commence maintenant. Une bataille pour la démocratie, pour l’état de droit, pour la justice sociale. Une bataille que seule une opposition forte, unie et déterminée peut espérer remporter. Et le peuple, las de promesses non tenues, semble prêt, cette fois, à aller jusqu’au bout.

Jean-Claude DJEREKE

Est professeur de littérature à l’Université de Temple (Etats-Unis).

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