COTE D’IVOIRE : Le port de la chasuble fait-il le moine ?

Date

Il y a quelques jours,  le Conseil de discipline de la Commission nationale des présidents de Fédérations et églises protestantes de Côte d’Ivoire a vertement repris le soi-disant général, Camille Makosso, le menaçant de destitution s’il ne change pas de comportement. Il était temps que ce Conseil monte au créneau pour mettre les points sur les i mais Makosso pourra-t-il ne plus intervenir dans les polémiques qui n’édifient ni la jeunesse ni le Corps du Christ, ne plus participer aux panels en direct sur TikTok, ne plus tenir des propos injurieux et dégradants à l’endroit de la gent féminine et ne plus défendre systématiquement le régime Ouattara ? Pendant combien de temps s’éloignera-t-il du chemin de la vulgarité, de l’indécence et de la grossièreté ?

Après cette correction fraternelle, Makosso a été réélu à la tête de la Commission, puis, revêtu d’une chasuble comme les prêtres catholiques en portent au cours de la messe (notre photo).

Antoine-Marie Koné, prêtre SMA, dénonça immédiatement une usurpation qui pourrait semer la confusion dans la tête de certains fidèles catholiques peu avertis. En effet, pourquoi Camille Makosso et ses collègues n’inventeraient-ils pas leur façon de s’habiller ? Sont-ils obligés d’utiliser les mêmes ornements que les catholiques qu’ils ne se privent pas de railler et de dénigrer par ailleurs ?

Je souhaiterais aller plus loin dans le débat en posant la question suivante : Jésus utilisa-t-il chasuble, soutane, aube, mitre, calotte et crosse ? Non. Il s’habillait comme Aaron, le premier souverain sacrificateur. Et l’habillement de ce dernier était composé, entre autres, d’un caleçon,  d’une tunique et d’une robe. Vêtements qui avaient été prescrits par Dieu à Moïse (Exode 28, 4-5; 42-43).

Je suis d’accord que le clergé du 21e siècle n’est pas obligé de se vêtir forcément comme le Nazaréen mais y a-t-il de la simplicité dans ce que nous voyons aujourd’hui ? Mitres, crosses, paliums, anneaux, croix pectorales, chasubles et autres dalmatiques ne disent-ils pas quelque chose de ce cléricalisme que le pape, François, ne cesse de fustiger et qui refuse de mourir ? Au moment où le concept de synodalité nous rappelle opportunément que laïcs et clers sont égaux devant Dieu et corresponsables de la vie et de la mission de l’église bien qu’exerçant des fonctions différentes dans cette église, y a-t-il un sens à s’accrocher à cette parure qui est un vestige du Xe siècle ? Au lieu de mettre du zèle à se distinguer des fidèles laïcs, au lieu de vouloir montrer qu’ils sont supérieurs à ceux qui n’ont pas reçu le sacrement de l’ordre, prêtres, évêques et cardinaux devraient, à mon avis, chercher à honorer le conseil de Pierre :

« Que votre parure ne soit pas une parure extérieure mais la parure intérieure et cachée dans le cœur, la pureté incorruptible d’un esprit doux et paisible qui est d’une grande valeur devant Dieu ! » (1P 3, 3-4)  Une église qui se veut pure et simple devrait abandonner certaines habitudes comme Paul VI abandonna la tiare papale, symbole de la suprématie universelle des papes, le 13 novembre 1964. C’était avant son voyage à Bombay (Inde) où il se rendit dans un appareil de ligne régulier. Il avait aussi demandé que l’on vende la Lyncoln blanche que des catholiques américains lui avaient offerte et que l’argent de la vente soit donné aux pauvres de l’Inde. Le successeur de Jean XXIII voulait une église plus attentive aux grands problèmes du monde moderne et plus proche des fidèles. Il estimait que l’on devrait reconnaître le clerc plus par son comportement que par sa tenue vestimentaire.

Les clercs africains sont-ils attentifs aux problèmes qui travaillent l’Afrique d’aujourd’hui ? Quelle est leur contribution au combat mené ici et là pour l’avènement d’une Afrique libre et souveraine ? A l’heure où certains en France comme le général, François Lecointre, préconisent ouvertement la recolonisation de l’Afrique, la priorité est-elle de construire à coup de milliards de belles églises et grottes mariales et de porter les chasubles les plus chères ?

L’autre image de Makosso : Un véritable playboy, un yéyé comme dans les années 60.

En Afrique de l’Ouest, depuis 2011, un individu viole la Constitution, endette le pays, arrête et emprisonne qui il veut, donne les terres et papiers des Ivoiriens à des gens qui n’y ont pas droit, casse les maisons des gens sans les reloger, réprime férocement toutes les manifestations des partis de l’opposition, refuse de discuter avec ses adversaires, protège les détourneurs de fonds publics, s’emploie à déstabiliser les pays voisins et aucun « homme de Dieu » ne lève le petit doigt. Est-ce normal ? La vie humaine n’est-elle pas plus importante que la chasuble ? Jésus, dont les évangiles montrent qu’il n’avait pas sa langue dans la  poche, garderait-il le silence s’il voyait le genou de l’Occident sur le cou de l’Afrique ?

Serait-il en train de saigner à blanc des laïcs déjà appauvris pour bâtir des lieux de culte où peut-être personne ne viendra prier dans 50 ou 100 ans ?

Jean-Claude Djéréké

est professeur de littérature africaine à l’Université de Temple (Etats-Unis)

Envie d’accéder aux contenus réservés aux abonnés ?

More
articles

×
×

Panier