COTE D’IVOIRE : Une démocratie piétinée par …le menteur en chef

Date

Le processus électoral en Côte d’Ivoire vient de franchir un nouveau cap dans la falsification et la manipulation. Le premier faux — et non des moindres — réside dans la date même de la publication de la liste des candidats retenus et recalés. Annoncée initialement pour le 10 septembre, cette liste a été dévoilée plus tôt que prévu. Pourquoi une telle précipitation ? Si le Conseil constitutionnel n’avait rien à se reprocher, s’il agissait en toute indépendance, pourquoi ne pas respecter le calendrier annoncé ? Ce glissement en apparence anodin est en réalité un symptôme grave : Celui d’une institution aux ordres, incapable d’assumer la transparence et le respect de ses propres règles.

Le faux, c’est aussi cette tentative grossière de maquiller la vérité sur l’un des candidats emblématiques de notre histoire nationale. Peut-on honnêtement soutenir que Laurent Gbagbo (notre photo) est né le 1er janvier 1945 alors que tous les documents officiels, et même l’histoire, reconnaissent sa véritable date de naissance comme étant le 31 mai 1945 ? Pourquoi ce subterfuge ? Pour créer une faille juridique ? Pour appuyer une décision d’éviction déjà prise en coulisses ? C’est non seulement une falsification de l’état civil, mais, une insulte à l’intelligence collective du peuple ivoirien.

Autre élément troublant : Les parrainages. A qui peut-on faire croire que les signatures accordées à Ouattara dont le mandat est largement contesté sont authentiques ? Qui, dans le pays réel, a validé cette démarche dans un contexte aussi opaque ? Ce système de parrainage, censé garantir la légitimité démocratique des candidats, s’est transformé en instrument de sélection arbitraire, taillé sur mesure pour servir les intérêts d’un seul homme.

Le droit dévoyé, la justice trahie

Mais, le scandale le plus criant reste sans doute l’acceptation de la candidature d’Alassane Ouattara pour un quatrième mandat. C’est une insulte à notre intelligence, un mépris ouvert de la Constitution. Que dit notre loi fondamentale ? Qu’un président ne peut faire plus de deux mandats. Et pourtant, Ouattara, fidèle à ses pratiques de contournement, se présente à nouveau. Pourquoi ? Parce qu’il contrôle les institutions ? Parce qu’il sait que personne ne lui demandera des comptes ? Parce qu’il a fait de l’Etat son patrimoine privé ?

Face à ce tableau, l’irrecevabilité des candidatures de Tidjane Thiam et de Laurent Gbagbo ne peut être vue autrement que comme une injustice flagrante, un acte politique maquillé en décision juridique. Ce n’est pas la loi qui les écarte, c’est la peur. La peur d’une alternance réelle, d’une remise en cause du système. Car Thiam incarne une vision technocratique moderne, et Gbagbo demeure, pour beaucoup, le symbole de la résistance et de la souveraineté.

Depuis avril 2011, la Côte d’Ivoire vit sous un régime d’usurpation. Ceux qui ont pris le pouvoir dans le sang n’ont cessé depuis de tordre le droit, de falsifier la vérité, de diviser les citoyens. Il n’y a donc rien d’étonnant à ce qu’aujourd’hui encore, ils poursuivent cette logique d’exclusion et de confiscation du pouvoir.

Ahoua Don Mello a été exclu du parti de Laurent Gbagbo (PPA-CI) pour être candidat indépendant

Résister mais autrement

Alors, que faire ? Mettre le pays à feu et à sang ? Ce serait tomber dans leur piège. Eux n’hésiteraient pas une seconde à le faire, comme ils l’ont déjà démontré en 2000, en 2010-2011 et en 2020. Ils peuvent se le permettre car ils ont toujours eu un pied dehors, un refuge ailleurs — au Mali, au Burkina, en Guinée… Mais nous ? Nous qui n’avons que cette terre, ce pays, ce peuple, pouvons-nous prendre le risque de le voir sombrer dans le chaos ? Sortir dans la rue ? Ils n’auraient aucun scrupule à nous massacrer. L’histoire récente l’a montré. Ce régime ne connaît ni pitié ni état d’âme. Ce n’est donc ni lâcheté, ni reddition que de dire qu’il faut emprunter une autre voie. C’est, au contraire, une forme de lucidité politique et de responsabilité morale.

Deux de nos représentants ont vu leur candidature validée : Simone Gbagbo et Ahoua Don Mello. Deux figures de la mouvance souverainiste. Deux voix qui ont toujours prôné la rupture avec l’ordre néocolonial : La fin du F CFA, la fermeture des bases militaires françaises, la souveraineté monétaire, la santé pour tous, une redistribution équitable des richesses.

Certes, Simone Gbagbo a gravement dérapé en félicitant le Conseil constitutionnel, en affirmant que celui-ci avait bien fait son travail. Une telle déclaration a pu choquer, déstabiliser même, surtout, dans un contexte où tant de décisions iniques ont été prises. Mais, il faut rester lucide. Ce propos n’efface pas des années d’engagement, ni ne constitue une preuve irréfutable d’un accord secret avec le régime. On peut condamner cette prise de parole malheureuse sans pour autant soupçonner Simone Gbagbo d’avoir trahi la cause souverainiste. Elle reste, jusqu’à preuve du contraire, fidèle aux idéaux qui nous animent.

Pour une alternative souverainiste et populaire

Certains doutent peut-être de leur fidélité à ces idéaux. Mais, jusqu’à preuve du contraire, ni Simone ni Don Mello n’a renié son engagement. Si quelqu’un détient des preuves d’un revirement, qu’il les expose. Sinon, donnons-leur le bénéfice du doute. Mieux encore, soutenons-les activement. Car c’est là que réside aujourd’hui notre meilleur espoir.

L’enjeu, ce n’est pas seulement l’alternance. Ce n’est pas juste changer de président. L’enjeu, c’est une alternative, c’est-à-dire, une autre vision du pays, une autre manière de faire la politique, une Côte d’Ivoire souveraine, équitable, prospère pour tous.

Candidat à sa succession, Alassane Ouattara est finalement plus fort que toute l’opposition réunie.

Certains diront que les jeux sont faits, que Ouattara gagnera, quoi qu’il arrive. Mais alors, pourquoi avions-nous présenté les candidatures de Gbagbo et de Thiam ? Sur quoi comptions-nous ? Le soutien populaire, bien sûr. L’aspiration massive au changement. Cette flamme ne s’est pas éteinte. Une bataille est perdue, certes. Mais pas la guerre, comme l’aurait dit le général de Gaulle. Il ne faut jamais renoncer. Les seules batailles perdues d’avance sont celles que l’on refuse de mener. En politique comme en résistance, la ténacité finit souvent par payer. Les Sénégalais ont donné l’exemple. Quand Sonko a été écarté, ses partisans ne se sont pas résignés. Ils ont reporté leur espoir sur Bassirou Diomaye Faye. Et l’impossible est devenu réalité. Pourquoi ne pas s’en inspirer ? Pourquoi ne pas construire autour de Simone Gbagbo ou de Don Mello un large front souverainiste, capable de fédérer les frustrations, les espoirs, les énergies ? Pourquoi ne pas transformer cette énième trahison du pouvoir en tremplin pour une véritable révolution démocratique et patriotique ?

Ne pas subir mais bâtir

Nous sommes à un tournant. Nous pouvons choisir de nous lamenter, de nous diviser, de nous résigner. Ou bien nous pouvons choisir d’agir, autrement, avec intelligence, avec stratégie, avec foi en nos valeurs. Le régime a montré ses limites. A nous de montrer notre maturité. Non, nous ne brûlerons pas notre pays. Non, nous ne capitulerons pas. Mais nous combattrons. Avec nos idées, notre foi, notre détermination. Car l’avenir de la Côte d’Ivoire ne peut être confisqué par une poignée d’usurpateurs. Il appartient au peuple, à nous tous. Ensemble. 

Jean-Claude DJEREKE

est professeur de littérature à l’Université de Temple (Etats-Unis)

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