GABON-VEOLIA : Ali Bongo Ondimba a-t-il eu raison de rompre la concession ?

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Le 16 mai prochain, cela fera trois mois que le Gabon a mis fin, de façon unilatérale, au partenariat qui le liait à Véolia pour la distribution d’eau et d’électricité sur l’ensemble du territoire. Une décision, totalement, assumée par le président, Ali Bongo Ondimba. Certains Gabonais prévoyaient l’apocalypse. Mais, trois mois après cette rupture, le secteur de l’eau et de l’électricité ne se porte pas plus mal qu’avant cette rupture. Cerise sur le gâteau : il est, maintenant,entièrement, contrôlé par l’Etat et les pouvoirs publics. Soixante-huit ans après l’indépendance, n’était-il pas temps ? Cela rappelle, d’ailleurs, une autre décision prise par Ali Bongo Ondimba au lendemain de son arrivée au pouvoir en 2009 : l’arrêt de l’exportation du bois à l’état brut. Ce fut un coup de tonnerre dans le ciel chaud de Libreville. Mais, là aussi, après avoir fait couler beaucoup d’encre, cette décision s’avère, aujourd’hui, porteuse pour l’économie du pays. Elle commence, même, à faire école dans la sous-région. Conclusion : Ali Bongo Ondimba n’est pas mauvais dans ses décisions. Les Gabonais ne gagneraient-ils pas à mieux le connaître ?

Que dirait le président, Emmanuel Macron, si EDF (Electricité de France) peinait à fournir l’électricité 24 heures sur 24 aux usagers français, entreprises comme particuliers ? Il en est de même de l’eau. Pourquoi ce qu’on ne peut pas faire en France est admis au Gabon ? Le président, Ali Bongo Ondimba, a-t-il été réélu, en août 2016, pour collectionner les plaintes des Gabonais qui n’auraient ni l’eau ni l’électricité alors qu’une grande entreprise française, en l’occurrence, Véolia, est implantée au Gabon depuis 21 ans, justement, pour s’en occuper ? Les Gabonais ont, parfaitement, raison d’être en colère. Une colère qui se manifeste depuis des lustres, sans que Véolia n’y apporte de solutions, et qui, malheureusement, a fini par accoucher d’une rupture « brutale » que le partenaire français aurait pu éviter si le Gabon était un pays qu’on respecte, réellement, en France.

Entre l’Etat du Gabon et la mutinationale française, Véolia, c’est, donc, un divorce foudroyant. Comme dans tout mariage où il y avait plus d’intérêt que d’amour, la rupture a été « brutale », l’époux (gabonais) estimant qu’il a, des années durant, été, sérieusement, grugé par sa belle partenaire (Véolia), qui ne lui faisait les yeux doux que pour mieux l’escroquer. En attendant que les ex-tourtereaux se retrouvent devant Monsieur ou Madame le Juge (l’arbitrage de la Banque mondiale a été sollicité), l’ancien époux, en bon Bantou, qui ne chôme guère quand il lui faut trouver une autre belle femme, n’a que l’embarras du choix lorsque viendra le moment de remplacer son ex-dulcinée.Voilà comment, vu de Nzeng Ayong ou de La la la (quartiers de Libreville), ce qui est, désormais, appelé conflit Gabon-Véolia, est perçu.

Soyons plus précis : le président, Ali Bongo Ondimba, et son gouvernement, ont fait acte d’un réel courage politique en mettant fin au contrat (véritablement) léonin qui liait le Gabon à Véolia. Alors que certains ténors de l’opposition (jusqu’à aujourd’hui très silencieux depuis le déclenchement de l’affaire car très gênés aux entournures) chercheraient, au contraire, à soumettre, encore plus, le Gabon à l’ancienne puissance colonisatrice (Françafrique oblige !), le président, Ali Bongo Ondimba, lui, entend privilégier le mieux-disant économique et financier pour son pays : le meilleur service de l’eau et de l’électricité au meilleur prix pour les Gabonais. Qui en France, ou ailleurs, lui jetterait la pierre, par ces temps de diète financière, quand il cherche à dénicher le moindre kopeck où il se trouve pour l’investir à bon escient ? Surtout pas son homologue français, le président, Emmanuel Macron, l’ancien banquier d’affaire, qui sait qu’un euro c’est un euro. Le million ne commence-t-il pas par un ? Ali Bongo Ondimba, avant de faire des largesses à d’autres, doit, d’abord et avant tout, satisfaire ceux dont il a la charge, à savoir, les Gabonais. Pour le comprendre, il ne faut pas, nécessairement, avoir fait la première année de la faculté de droit de l’Université Omar Bongo de Libreville, ni celle de Lyon III (Jean Moulin) en France. C’est l’explication à donner à cette rupture de la Convention avec Véolia que vient d’opérer, pour le compte de l’Etat, le très dynamique ministre de l’Eau et de l’Energie du Gabon, Patrick Eyogo Edzang. Que le MEDEF (généralement très réactionnaire de l’avis des syndicats français comme la CGT ou FO) prenne peur de la contagion que cette décision (salutaire) prise par les autorités gabonaises, pourrait engendrer en Afrique francophone contre des entreprises françaises, généralement, adeptes de la surfacturation et des pressions politiques de tous genres sur les dirigeants africains, ce qui aurait poussé son président à élever le ton en utilisant des propos menaçants, peut se comprendre. Mais, peut-il, réellement, menacer Ali Bongo Ondimba ? On en doute sincèrement même si à Libreville, on est intelligent pour comprendre certaines positions de l’ancien partenaire français. Que le patron du MEDEF joue son rôle de chef du syndicat principal des entreprises françaises du CAC 40, où on se serre les coudes quand l’une d’entre elles est en danger (par ces temps de crise où elles font face à une compétition féroce sur le plan mondial venant, surtout, des pays émergents) au nom de la solidarité syndicale, on peut, aussi, l’accepter. Toutefois, le courrier du 26 février envoyé au premier ministre gabonais, Emmanuel Issoze Ngondet, avec ampliation à différents services hexagonaux dont la Cellule Afrique de l’Elysée par son patron, Pierre Gattaz, est, tout simplement, mal venu, voire, inapproprié. Qui veut-on intimider quand on prétend saisir le chef de l’Etat français pour une banale affaire de contrat synallagmatique mal assuré ?

Car à le lire, et à écouter les réactions de l’entreprise française, Véolia à travers sa filiale gabonaise, la SEEG (Société d’eau et d’énergie du Gabon), ne semble pas vivre sur la même terre que les consommateurs d’eau et d’électricité du Gabon. Sinon, elle aurait, sans demander son reste, pris la poudre d’escampette, depuis belle lurette, à cause de la grande colère des consommateurs gabonais provoquée par son incapacité à respecter son cahier des charges. Que de coupures d’eau, que de délestages électriques avec leur cohorte de matériels électro-ménagers abîmés que la SEEG n’a, jamais, voulu indemniser ! Des milliards et des milliards de F CFA perdus par les consommateurs gabonais ! Ca fait exactement 21 ans que les Gabonais souffrent de la mauvaise distribution d’eau et d’électricité alors que les exorbitantes quittances envoyées aux usagers à la fin du mois tiennent, généralement, peu compte de la mauvaise qualité de ce service. Combien de fois a-t-on vu un usager se plaindre d’avoir reçu une quittance d’eau de plusieurs dizaines de milliers de F CFA alors que l’eau lui a été coupée depuis plusieurs mois ? De tels exemples sont fréquents et montrent la désinvolture de cette société qui fait de l’eau et l’électricité, deux produits de luxe au Gabon. N’y accède que les plus aisés qui peuvent installer des forages chez eux ou brancher des groupes électrogènes achetés à Dubaï. Quelque chose de terrible : alors que les Librevillois fêtaient dans l’allégresse le passage à l’an 2018, certains quartiers ont eu droit à une coupure d’électricité. Une coupure de trop. A ce moment précis. N’y a-t-il pas une fin pour chaque chose ? Même quand on est des colonisés comme, justement, le sont les usagers d’eau et d’électricité du Gabon ? Au lieu que Véolia rase les murs, son service au Gabon étant indigne de celui d’une grande entreprise française du CAC 40, elle ose, aujourd’hui, dénoncer, parce que c’est le Gabon, le champ où elle a l’habitude de récolter même ce qu’elle n’a pas semé. Au lieu de prêcher l’indulgence auprès des autorités gabonaises, sa direction a préféré regretter « une action brutale menée en dehors de toute règle de droit » alors que le droit n’a jamais été respecté côté Véolia : la dégradation de la qualité des services de cette multinationale étant, tout simplement, inacceptable. La prorogation du contrat de 5 ans de Véolia, à la demande de l’ancien président, François Hollande (preuve que le président Ali Bongo Ondimba est un homme de bonne foi et que ses dispositions pour Véolia étaient plutôt favorables), n’a, absolument, pas influencé la qualité de service de cette société dont on avait souhaité que ses performances au Gabon fussent à la hauteur de sa réputation en France et dans les autres pays où elle donne pleine satisfaction à ses nombreux clients. Mais, on l’aura compris : le Gabon n’est ni la France ni ces autres pays.

« Nous sommes à quelques mois des élections législatives. Ali Bongo Ondimba a fait de l’eau un outil politique. Cette décision est une mesure populiste », a déclaré un cadre de la direction de Véolia, comme si le président gabonais avait besoin de rompre avec Véolia pour gagner les élections législatives où tout indique que son parti, le PDG, aura la majorité, laquelle risque d’ailleurs d’être facilitée par le boycott d’une partie de l’opposition. C’est donc une fausse analyse d’un cadre de Véolia qui se trompe sur la nature du conflit et sa raison d’être. A partir d’un tel refus de voir la réalité en face, que pouvait escompter le Gabon dans ses interminables négociations avec Véolia, négociations qui, en 21 ans de partenariat, n’ont jamais permis aux Gabonais d’avoir l’eau et l’électricité 24 heures sur 24, alors que quand le patriarche Ondimba avait fait appel à cette société, c’était, d’abord, par amitié pour le partenaire historique qu’est la France, mais, c’était, aussi et surtout, pour que la distribution d’eau et d’électricité soit un modèle du genre en Afrique et que le Gabon devienne même un pays exportateur d’électricité dans la sous-région comme il l’est pour le pétrole. Mais 21 ans, après, c’est l’échec total. A qui la faute quand on sait que l’Etat a investi 1,5 milliard d’euros (1.000 milliards de F CFA), pendant cette période pour permettre un bon fonctionnement de la SEEG ? C’est une révélation du ministre d’Etat, Alain-Claude Bilie-By-Nzé, lors de sa conférence de presse du 27 février. Il en a profité pour tacler Véolia pour son non-respect de l’environnement au Gabon : « Sur la quasi-totalité des sites exploités par la SEEG (Société d’énergie et d’eau du Gabon, filiale de Veolia détenue à 51% par l’entreprise française), il existe d’importants dégâts environnementaux…Les huiles et carburants sont déversés à même le sol, sans protection, sans aucune précaution, en violation flagrante du code de l’environnement…Des enquêtes seront menées » (fin de citation). On n’imagine pas Véolia faire la même chose en France. Elle trouverait à qui parler en la personne de Nicolas Hulot, ministre de la Transition écologique et solidaire. Mais, encore une fois, le Gabon c’est le Gabon. Et non la France !

On devrait, cependant, louer la très longue patience de l’Etat gabonais et, surtout, surtout, du président, Ali Bongo Ondimba. Car dans un autre pays africain, en Afrique du Nord, par exemple, ou même en Afrique centrale où le Cameroun voisin, après seulement 5 ans de partenariat, a rompu le contrat qui liait sa société de distribution d’eau à son partenaire du Maroc, pour mauvais service (le ministre camerounais de l’Eau et de l’Energie qui avait parrainé ce contrat a d’ailleurs été sorti du gouvernement lors du remaniement ministériel du 2 mars 2018 et incarcéré à la prison centrale de Yaoundé), Véolia aurait eu, depuis longtemps, de sérieux comptes à rendre, et de la façon la plus fâcheuse qui soit. Mais, en 21 ans, c’est la souffrance en silence qui a caractérisé les Gabonais. Il faut dire que le Gabon est un pays où le patriarche Ondimba avait, très sérieusement, cultivé la paix et la pondération auprès de ses compatriotes. A cause de cette éducation particulière, Véolia, à tort, s’était borné à voir les Gabonais souffrir sans réaction, alors qu’ils en étaient bien capables. La preuve : la rupture « brutale » du 16 février semble l’avoir prise de court. Parce que trop c’était trop tout simplement.

« Rien n’est plus dangereux que l’eau qui dort », dit un proverbe bantou, région au sein de laquelle le Gabon occupe une position géographique centrale. A Véolia, on dit ne plus reconnaître le partenaire gabonais avec qui « on entretenait de très bonnes relations » ! D’où l’interpellation du premier ministre chef du gouvernement du Gabon par le patron des patrons de France. Voici ce qu’il dit dans sa lettre :
« Monsieur le premier ministre,

Je me permets de vous faire part de notre plus vif étonnement et notre inquiétude après la décision qui vient d’être prise par votre gouvernement au cours des derniers jours.

L’action d’expropriation d’une société, qu’elle soit étrangère ou nationale, de façon brutale, sans préavis et sans qu’elle soit l’aboutissement d’une négociation, me semble particulièrement inappropriée. Ce n’est pas la marque de confiance que nous pouvons attendre d’un pays ami qui me semble-t-il, souhaite attirer des investisseurs dans son pays.

Nous avons eu l’honneur de vous recevoir au MEDEF le 24 mars dernier accompagné de membres de votre gouvernement, notamment, dans le but de rechercher une issue positive à la dette intérieure qui concerne plusieurs entreprises françaises.

Cet état d’esprit basé sur le dialogue, la co-construction, le co-développement de projets est notre façon d’avancer en Afrique, comme dans tous les autres pays d’ailleurs. Je trouve que c’est aussi un principe très bénéfique dans le règlement de différends éventuels.

Nous comprenons les difficultés économiques que rencontre votre pays. Cependant, nous ne pouvons comprendre cette décision unilatérale qui ne repose manifestement sur aucun fondement juridique et la déplorons car elle porte préjudice à l’image du Gabon et reflète une pratique de l’Etat de droit inquiétante.
Une procédure judiciaire va vraisemblablement s’engager et espérerons que toute la transparence sera faite sur ce dossier et que la justice sera rendue de façon loyale.

Nous suivrons avec attention ces évolutions, tout comme nous suivrons, après les récentes affaires Bouygues et Sodexo, la santé des entreprises françaises implantées au Gabon, partenaires fidèles de votre pays.

Je vous remercie par avance de l’attention que vous voudrez bien porter à ma démarche et vous prie de croire, Monsieur le premier ministre, à l’assurance de ma haute considération ».

Signé Pierre GATTAZ
Président du MEDEF (Mouvement des entreprises de France)

Pour le ministre de l’Eau et de l’Energie, Patrick Eyogo Edzang, le problème est très simple. Car il se trouve dans l’incapacité (manifeste et notoire) de Véolia à respecter son cahier des charges : « Nous avons libéralisé la production énergétique dans notre pays depuis longtemps (21 ans, ndlr) mais nous avions un partenaire monopolistique qui ne respectait aucune règle. Ils étaient le caillou dans la chaussure. C’est un signal fort. L’Afrique a besoin de partenariats gagnant-gagnant. Aujourd’hui, nous avons les yeux ouverts. Je pense qu’il est temps de revoir la manière de travailler ».
Jean Paul Tédga.

N.B. Ce numéro 462 mis en vente le 16 mars pour un mois restera, exceptionnellement, en vente, chez vos marchands de journaux, jusqu’à la fin de cette semaine.

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Gabon
Véolia
Ai Bongo Ondimba
Rupture du partenariat.

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