IDEES NEUVES : Le grand naufrage moral de l’opposition ivoirienne

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A la suite de la proclamation des résultats de la présidentielle du 25 octobre, le Conseil constitutionnel, notoirement, inféodé à Alassane Ouattara, a sans surprise déclaré ce dernier vainqueur. La nouvelle n’a pas surpris grand monde, tant le scénario semblait écrit d’avance. Ce qui, en revanche, choque et inquiète, c’est l’attitude d’une partie de la classe politique : Certains opposants ont pris acte, tandis que d’autres sont allés jusqu’à féliciter Alassane Dramane Ouattara pour sa prétendue victoire.  

Ce comportement n’est pas seulement immoral, il est dangereux car il banalise la fraude, légitime l’illégalité et enterre les derniers restes d’éthique politique dans notre pays. Comment peut-on, en toute conscience, appeler “élection” ce qui s’apparente à un véritable braquage électoral ?

Un 4ᵉ mandat anticonstitutionnel légitimé par le silence

Tout observateur honnête le sait : La Constitution ivoirienne ne prévoit pas un quatrième mandat présidentiel. La loi fondamentale, taillée pourtant sur mesure pour Alassane Ouattara en 2016, fixait clairement une limite de deux mandats. En se représentant une nouvelle fois, il a piétiné le texte suprême, au vu et au su de tous. Or, en reconnaissant ou en félicitant ce “succès”, certains opposants se rendent complices de la violation de la Constitution. Ils envoient au peuple un message dévastateur : Les règles n’ont plus d’importance, les institutions ne valent rien et la loi n’est qu’un chiffon qu’on agite pour la forme. En acceptant l’inacceptable, ils valident implicitement le principe selon lequel le pouvoir appartient à celui qui s’impose, non à celui qui est choisi (sur notre photo, les quatre candidats de l’opposition à la présidentielle dont au moins trois ont félicité le vainqueur de l’élection).

Peu importe donc les urnes, les électeurs, la transparence. Il suffit désormais d’avoir l’armée, la justice et la commission électorale de son côté pour régner à vie. Cette logique est celle des dictatures, pas des Républiques.

Peur, calcul ou opportunisme ?

Pourquoi certains acteurs politiques, censés incarner la résistance, choisissent-ils de cautionner le faux ? Trois hypothèses se dégagent.

La première est la peur. Dans un contexte de répression, d’arrestations arbitraires et d’intimidations, certains préfèrent se taire, pensant ainsi sauver leur peau ou préserver leur liberté. Ils oublient que le silence des honnêtes gens est souvent la victoire des imposteurs.

La deuxième raison possible est le calcul politique. Certains espèrent peut-être se rapprocher du pouvoir pour obtenir quelques privilèges : Un poste, un marché public, une nomination. Ils se disent qu’en flattant le prince, ils pourront s’assurer un avenir. Mais c’est une illusion, car l’histoire ne pardonne pas les trahisons. Ceux qui vendent leur conscience pour quelques avantages éphémères finissent toujours par être rejetés par le peuple, méprisés par leurs propres enfants.

La troisième explication est plus cynique : L’appât du gain. Il ne serait pas étonnant que certains aient été achetés par “l’argent sale” du régime, cette manne tirée de détournements, de surfacturations et de faveurs accordées à une minorité. Si tel est le cas, alors leur choix n’est pas seulement une faute morale, mais un acte de haute trahison contre la nation.

Cautionner le faux, c’est insulter le peuple

Chaque fois qu’un politicien serre la main d’un fraudeur et le félicite pour sa “victoire”, il crache symboliquement sur le peuple. Il se moque de ces électeurs intimidés, de ces jeunes empêchés de voter, de ces militants emprisonnés pour avoir osé dire non.

Reconnaître une élection truquée, c’est accepter l’idée que le vote du citoyen ne vaut rien. C’est dire aux Ivoiriens qu’ils peuvent bien se battre, mourir ou espérer un changement, mais que tout cela est inutile puisque la fin du film est déjà connue. C’est également légitimer la répression future, car celui qui s’impose par la force n’a besoin que du mensonge pour gouverner.

Les félicitations adressées à Alassane Ouattara ne sont donc pas de simples courtoisies politiques. Elles sont un coup de poignard dans le dos de la démocratie. Chaque mot de ces félicitations blesse un peu plus l’idée même de la souveraineté populaire.

Le chef du COJEP, Charles Blé Goudé, principal soutien de Simone Gbagbo à la présidentielle du 25 octobre, à l’occasion de son Conseil du 9 novembre, a reconnu la victoire du président-sortant. Il a aussi appelé à la libération des personnes arrêtées pendant la campagne.

La mémoire du peuple ne s’efface pas

Certains pensent peut-être que le peuple oubliera, qu’avec le temps, les trahisons s’estomperont. Grave erreur. Le peuple ivoirien est fatigué, certes, mais il n’est pas amnésique. Il sait reconnaître les siens et repère sans peine les opportunistes.

L’histoire récente de notre pays est jalonnée de ces figures politiques qui ont tout perdu pour avoir préféré la compromission à la vérité. Ceux qui, aujourd’hui, ferment les yeux sur la fraude électorale pour quelques faveurs, paieront un jour le prix de leur duplicité. Le temps politique est parfois long, mais il finit toujours par rendre justice.

Il est vrai que se dresser contre un pouvoir autoritaire comporte des risques. Mais la politique n’a de sens que si elle s’appuie sur la vérité et la dignité. En politique, comme dans la vie, il arrive un moment où il faut choisir entre être libre ou être complice.

Les véritables leaders sont ceux qui tiennent tête à l’injustice, même seuls, même menacés. Ceux qui applaudissent la fraude ne méritent ni respect ni confiance. Ils n’ont plus de cause, plus de conviction, plus de boussole.

Reconnaître un faux président, c’est se renier soi-même. C’est abandonner le combat pour la justice au profit du confort. C’est se ranger du côté des oppresseurs, contre ceux qu’on prétendait défendre. Et cela, aucun peuple fier ne peut l’accepter.

La Côte d’Ivoire n’a pas besoin de faux apôtres, mais d’hommes et de femmes courageux, capables de dire non à l’imposture, même au prix de leur carrière. Féliciter Alassane Ouattara après le simulacre électoral du 25 octobre, c’est insulter la mémoire des démocrates ivoiriens, c’est trahir la Constitution, c’est blesser la République.

Un jour viendra où la vérité reprendra ses droits. Ce jour-là, le peuple se souviendra de ceux qui ont choisi le camp de la dignité, tout comme il se souviendra de ceux qui ont préféré la servitude. Car, en politique comme dans la vie, le mensonge triomphe un moment, mais la vérité finit toujours par parler.

Jean-Claude Djéréké

est professeur de littérature à l’Université de Temple (Etats-Unis)

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