NIGER : Vers une inévitable normalisation du coup d’état du général Tchiani

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Deux semaines après le putsch qui a mis fin, le 26 juillet, aux fonctions du président, Mohamed Bazoum, le CNSP (Conseil national pour la sauvegarde de la patrie) s’est imposé. Actuellement, on va assister à sa normalisation qui a commencé avec la nomination des secrétaires généraux des ministères pour liquider les affaires courantes, et de celle du directeur de cabinet du président de la transition, Abdramane Tchiani. Ancien ministre de l’Economie et des Finances de l’ancien président, Mamadou Tandja, l’économiste et ancien fonctionnaire de la Banque africaine de développement, Ali Lamine Zeine, a été nommé, lundi, 7 août, premier ministre chef du gouvernement de transition. A charge pour lui de remettre le Niger au travail en proposant, rapidement, une liste de ministres qui répondent aux attentes de l’heure.

La CEDEAO avec son président en exercice, le va-t-en guerre, Bola Tinubu, s’étant fourvoyée en ayant tout faux, elle va faire appel à l’Union africaine et aux Nations-Unies, pour faire bloc autour d’elle, lors du Sommet qu’elle convoque à Abuja, jeudi, 10 août. Mais, comme on dit chez les Bantu, le chien aboie la caravane passe. Il faut, désormais, avancer et entreprendre des négociations pour un retour à la vie civile avec le pouvoir de transition qui se met en place. Et cesser de parler d’un retour de Bazoum à son poste, comme si cela était encore possible (sur notre photo le nouveau premier ministre de la junte, Ali Lamine Zeine, un civil bon teint).

Après être allé trop loin comme s’il s’agissait de la gestion de ses nombreuses sociétés où il décide seul, selon son bon vouloir, Bola Tinubu est obligé de faire profil bas et de favoriser les négociations avec le CNSP. Car pour prospérer et gagner encore d’autres milliards, ses nombreuses sociétés au Nigeria n’ont pas besoin de la guerre qu’il veut imposer dans la sous-région. Il y va, donc, de son propre intérêt (à lui).

Parmi les trois chefs d’Etat francophones qui sont accusés d’être actionnés par Emmanuel Macron pour oeuvrer à la réinstallation (par tous les moyens) du « président de l’étranger », Mohamed Bazoum (c’est ainsi qu’on l’appelle déjà à Niamey), Macky Sall et Patrice Talon sont devenus étrangement muets tandis que leur homologue, Alassane Ouattara, a baissé d’un cran, sa volonté jusqu’au boutiste d’intervenir militairement au Niger. Si son option préférée s’avère hasardeuse et désastreuse pour la paix dans la sous-région (la Libye détruite par la France, les Etats-Unis et l’OTAN est là pour nous le montrer), au sein même de la CEDEAO, l’option diplomatique est partagée par la majorité des pays membres. D’autre part, ce que le président, Ouattara, ne dit pas, c’est que dans les casernes en Côte d’Ivoire, on n’est pas très favorable à son idée d’intervention au nom de son alignement sur la France. Les nombreux Nigériens, qui font partie de l’armée de Côte d’Ivoire, par exemple, refusent d’être enrôlés dans une guerre où ils sont appelés à tuer d’autres Nigériens (comme eux). Voilà le dilemme que vit, actuellement, Alassane Ouattara. Mais, se croyant toujours plus malin que les autres, il cache ce problème qui le ronge nuit et jour.

Bola Tinubu est lui-même pris à son propre piège. Alors qu’il les recevait, dimanche, 6 août, à Aso Rock (résidence présidentielle), les gouverneurs des Etats frontaliers du Niger (Jigawa, Katsina, Kebbi, Sokoto et Yobé) lui ont fait part des conséquences négatives de l’intervention militaire et ont prôné la voie du dialogue et de la diplomatie. Comme l’ont déjà fait le Sénat et l’opposition politique. Il a pris acte.

Quant à elles, les délégations du Burkina Faso et du Mali ont tenu, lundi, 7 août, à Niamey, une réunion de coordination stratégique avec le CNSP. En cas d’intervention militaire (que personne ne croit plus dans la sous-région), elles ont ébauché des plans sur la façon de venir en soutien à l’armée du Niger.

La CEDEAO (si intervention militaire il y a) enverrait 25.000 soldats (à l’abattoir) au Niger. Ces soldats ne rencontreraient pas, seulement, l’hostilité des soldats du Niger, du Mali et du Burkina Faso, mais aussi, de tout un peuple du Niger qui est debout à côté de la junte, preuve de l’échec de la démocratie version Mohamed Bazoum, le « président de l’étranger ».

Face à cette option militaire soutenue par les Français, les Américains, les Italiens et les Allemands, proposent, au contraire, la voie diplomatique et du dialogue. Comme le Tchad et l’Algérie. Tous ces pays, surtout occidentaux, ont des intérêts directs au Niger. L’Italie, par exemple, travaille, étroitement, avec le Niger devenu malgré lui le principal passage des Africains, candidats à la traversée de la Méditerranée (même à la nage). Le Niger, moyennant quelques euros, joue un rôle de tampon en faisant le tri entre les bons et les mauvais candidats. L’Allemagne, qui ne se remet pas d’avoir été évincée de l’Afrique après la deuxième guerre mondiale, est très intéressée par le sous-sol du Niger. Quant aux Américains qui se veulent les gendarmes du monde, ils ne souhaitent pas que le CNSP, sur les conseils du Mali et du Faso, basculent chez les Russes de Wagner, ce qui signerait, tôt ou tard, leur départ du Niger.

Comme quoi, à chacun ses intérêts au Niger où on clame tout haut (et tout fort) aimer et soutenir la démocratie (pour le bien des Nigériens) alors que ce sont les intérêts qui motivent les uns et les autres. Un conseil à tous ces Occidentaux : qu’ils continuent à prendre les Africains pour des imbéciles : rira bien qui rira le dernier !

Professeur Paul TEDGA

est docteur de l’Université de Paris 9 Dauphine (1988)

Auteur de sept ouvrages

Fondateur en France de la revue Afrique Education (1993)

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