Volés pendant l’ère coloniale, les bronzes du Bénin comptent parmi les œuvres de l’art africain les plus réputées. Exposés au Humboldt Forum, ils témoignent de la prise de conscience progressive de l’Allemagne des injustices du passé.
Deux trônes, une tête commémorative d’un roi qui ornait auparavant le palais de Benin City, ancienne capitale du Royaume du Bénin (Sud du Nigeria) font partie des objets montrés au Humboldt Forum, un complexe muséal au cœur du Berlin historique. Certains repartiront bientôt pour l’Afrique. Deux salles, accessibles au public dès ce samedi, 17 septembre, sont consacrées à l’art et l’histoire du Royaume de Benin en «étroite collaboration avec les partenaires nigérians», selon les autorités allemandes. On y explique le transfert de propriété et des ateliers éducatifs sont également programmés.
Les bronzes du Bénin ont été dispersés dans plusieurs musées européens après avoir été pillés par les Britanniques à la fin du XIXe siècle. «La reconnaissance de l’injustice coloniale et les restitutions qui en découlent ainsi que les nombreuses nouvelles voies de coopération et de coproduction vont continuer à définir notre travail à l’avenir», a promis Herman Parzinger, président de la Fondation du patrimoine culturel prussien, qui chapeaute les musées berlinois, dans un communiqué.
Cette initiative s’inscrit dans une série de mesures prises récemment par l’Allemagne pour tenter d’assumer les crimes de la période coloniale, comme la reconnaissance officielle en mai 2021 d’un génocide perpétré en Namibie. «A l’image des Pays-Bas et de la Belgique, l’Allemagne a mis en place des politiques muséales avec un regard lucide sur le passé colonial», estime Pascal Blanchard, historien français, spécialiste du «fait colonial» et des immigrations en France. Ainsi, le grand musée consacré à l’Afrique de Tervuren, près de Bruxelles, rouvert fin 2018 après rénovation, revendique un «regard critique» sur ce passé et l’histoire des objets collectés sous le Roi des Belges Léopold II, qui a longtemps géré le Congo comme sa propriété privée à la fin du XIXe siècle.
De même, le Tropenmuseum à Amsterdam se penche sur l’héritage colonial du pays. A la différence de la France et de sa communauté de pieds noirs d’Algérie, l’Allemagne, qui a perdu son empire colonial après sa défaite lors de la première guerre mondiale, ne compte pas dans sa population de rapatriés d’Afrique. «Il n’y a pas de poids politique, ce qui facilite les choses pour appréhender l’histoire», constate M. Blanchard.
Il n’empêche, l’Allemagne, à l’image des autres pays occidentaux, a dû affronter ces dernières années les critiques sur la provenance des objets conservés dans ses musées, dans le sillage des mouvements contre le racisme. Et ces critiques ont été exacerbées par l’ouverture en décembre 2020 d’une première partie du complexe muséal Humboldt Forum, installé dans l’ancien palais des souverains de Prusse reconstruit. Dans ce lieu hautement symbolique, résidence principale des Hohenzollern, initiateurs du colonialisme allemand, on prévoyait d’exposer des objets coloniaux. Actuellement, le Musée ethnologique de Berlin possède 530 objets historiques provenant de l’ancien royaume béninois, dont 440 bronzes, considérés comme la plus importante collection après celle du British Museum de Londres.
Selon son directeur, Lars-Christian Koch, une partie va être bientôt restituée, un tiers va y rester sous forme de prêts pour dix ans et le reste des objets, non exposés, seront étudiés par des chercheurs. Les restitutions allemandes font écho à des démarches similaires engagées par d’autres pays européens, telle la France qui a restitué en novembre 2021 au Bénin, pays voisin du Nigeria, 26 œuvres des trésors royaux d’Abomey (Sud). Et elles accroissent la pression sur le British Museum, qui détient quelque 700 bronzes.
Pour l’historienne française, Bénédicte Savoy, ces retours arrivent bien tard : «Les demandes africaines de restitution remontent à l’indépendance de ces pays, dans les années 1960. Elles ont été pendant des années étouffées, refusées, oubliées». Le Nigeria prévoit de construire un musée à Benin City, dans le Sud de l’Etat d’Edo pour rassembler les œuvres récupérées.