A mesure qu’on s’approchera d’août 2025, la transition cessera d’être un long fleuve tranquille. Wilfried Okoumba Dandjogo le rappelle régulièrement, depuis Blois-Chambord : « La Maison est en train de prendre l’eau »… « parce que vous refusez d’écouter », vient-il d’asséner, ce matin, à son jeune frère (très) aimé, Brice Oligui Nguéma, par ailleurs président de la transition et chef de l’Etat. On peut penser que ce dernier n’est pas arrivé à ce poste après avoir battu campagne sur la base d’un programme, d’où sa navigation à vue actuelle. Ce qui explique, sans doute, le clou planté par l’ancien premier ministre, Alain Claude Bilié-By-Nzé, qui soutient que les militaires ne sont pas faits pour diriger un Etat. Sauf situation exceptionnelle de courte durée.
L’ancien premier ministre, Alain Claude Bilié-By-Nzé, a publié, ces derniers jours, une de ses pensées sur le coup d’état militaire qui rythme la vie politique au Gabon : « Comme je l’ai indiqué à plusieurs reprises, je suis personnellement contre la prise de pouvoir par la force. Je suis contre la gestion de l’Etat par les militaires. La place des militaires, c’est dans les casernes, ce n’est pas de gérer un Etat » (fin de citation extraite de son interview diffusée sur Télésud, vendredi, 14 juin 2024).
Sur la forme, la sortie d’Alain Claude est totalement fondée parce qu’il s’est retrouvé au chômage à cause des militaires alors qu’il avait toutes les chances de continuer son magistère à la primature sous le président, Ali Bongo Ondimba.
Sur le fond, certains Gabonais, proches du président de transition l’ont immédiament voué aux gémonies. Il en est par exemple du très prolifique, Petit Lambert Ovono, que beaucoup de Gabonais connaissent et qui publie dans les réseaux sociaux des chroniques quotidiennes d’une rare intensité, qui permettent aux Gabonais (qui le souhaitent) de ne pas dormir sur leurs lauriers, tellement, elles font réfléchir et forcent leurs lecteurs à prendre position. Car avec Petit Lambert, il n’est pas question de le lire et de rester indifférent. Soit on est avec lui, soit, on le condamne tout de suite. J’ai même pensé que le président de transition a eu tort de laisser un tel créatif au bord de sa transition car le père de l’évaluation à la gabonaise aurait sa place dans n’importe quel gouvernement gabonais par les temps qui courent. Mais revenons à Alain Claude.
Je pense qu’il a tout à fait raison de s’inquiéter. Car dans les pays (rigoureusement et entièrement) démocratiques, les forces de défense et de sécurité ont vocation à défendre (juste) l’intégrité du territoire (en premier lieu ses frontières) et à assurer la paix, la sécurité et l’ordre public à l’intérieur du pays. C’est pourquoi on leur donne des armes qui les aident à remplir cette mission. Ces armes ne sont pas données pour être retournées contre le pays.
Le CTRI a fait un coup d’état militaire. Salutaire certes nous dit-on. Ce n’est plus un débat. Il s’est donné deux ans pour retourner dans les casernes. Ceux au sein du CTRI qui choisiront la politique, devront démissionner de l’armée et de la police. Ainsi, ils obéiront aux usages républicains. C’est ce qui va se passer au Mali, au Burkina Faso, en Guinée et au Niger, où l’appétit venant en mangeant, les militaires qui dirigent ces quatre pays vont tour à tour démissionner de l’armée le moment venu.
Quand Alain Claude Bilié-By-Nzé soutient que les militaires doivent rester dans les casernes. Il n’a pas tort car la « Grande Muette », comme on l’appelle, n’a pas vocation à faire de la politique, mais à obéir aux hommes politiques dont le mandat est obtenu par un vote du peuple. Sauf cas de force majeure ou de situation exceptionnelle comme c’est actuellement le cas au Gabon.
Mais, il faudrait que cette situation exceptionnelle soit de courte durée, le temps de remettre la machine démocratique du pays en marche à travers des votes supervisés par les mêmes militaires devenus entretemps des arbitres du jeu. Si un militaire veut rester dans le civil pour gouverner ou gérer, il ôte sa tenue militaire et démissionne de l’armée ou de la police.
Alain Claude Bilié-By-Nzé est à féliciter parce qu’il dit ce qu’il pense et ce qui est vrai. Peut-être est-il déjà en campagne présidentielle. Je n’en sais trop rien ! Il est un homme politique courageux et clairvoyant. C’est parce qu’il était courageux et n’avait pas peur de son engagement qu’il s’était retrouvé hors de la présidence alors qu’il était préférable pour lui de rester conseiller politique (comme Michel Essonghe) et porte-parole du président, Ali Bongo Ondimba. Mais, Maixent Accrombessi (le Béninois qui dirigeait le Gabon à la place du président élu du Gabon) voyant qu’il lui faisait de l’ombre, avait manoeuvré pour qu’il soit nommé au gouvernement comme ministre de la Communication. Ainsi, il lui laissait le champ libre au Palais du Bord de Mer.
Si Brice Oligui Nguéma envisage de se présenter à l’élection présidentielle d’août 2025 (c’est son droit à condition qu’il démissionne de l’armée), qu’il ne pense pas qu’il trouvera un boulevard pour parvenir à ses fins. Il se compte des Gabonais qui ne le laisseront pas faire. Même les étudiants de deuxième année de la faculté de droit de l’Université Omar Bongo de Libreville, voient que Alain Claude Bilié-By-Nzé est de ceux-là. Il en est aussi d’autres esprits brillants comme Imothep Ben Moubamba. Je ne peux les citer tous.
« Le duc » de Blois Chambord a, déjà, à maintes reprises, attiré l’attention du président de transition qu’il n’est pas interdit aux autres de lui faire ce qu’il a fait à son parent Ali Bongo Ondimba. On espère que ces sages conseils ne sont pas entrés dans les oreilles d’un sourd.
Professeur Paul TEDGA
est docteur des Facultés françaises de droit et d’économie (1988)
Auteur de sept ouvrages et
Fondateur en France de la Revue Afrique Education (1993).