SENEGAL : Cohabitation sous tension au sommet de l’Etat

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Le Sénégal traverse une séquence politique inédite marquée par l’arrivée au pouvoir d’un tandem présidentiel atypique: Bassirou Diomaye Faye, président de la République, et Ousmane Sonko, premier ministre. L’un est un technocrate discret et légaliste. L’autre est un tribun charismatique, radical et populaire. Les deux formaient aux yeux de nombreux électeurs une alliance prometteuse. Ensemble, ils ont incarné l’espoir d’un renouveau, d’une gouvernance plus éthique, tournée vers les aspirations profondes du peuple sénégalais. Mais, quelques mois après leur accession au pouvoir, la cohabitation semble fragilisée, les divergences s’exacerbent et les non-dits ressurgissent.

Les tensions entre les deux hommes ne relèvent pas du simple désaccord politique. Elles traduisent des visions du pouvoir diamétralement opposées, des tempéraments inconciliables et, surtout, une méfiance croissante entre les entourages respectifs. Cette situation, si elle n’est pas maîtrisée à temps, pourrait conduire à une rupture dramatique comparable à celle qui avait opposé Thomas Sankara et Blaise Compaoré dans les années 1980. Une séparation entre Diomaye Faye et Ousmane Sonko serait, non seulement, un échec personnel, mais aussi, un désastre politique pour le projet de transformation qu’ils ont porté ensemble.

Bassirou Diomaye Faye le 7 mai 2024 à Abidjan à l’invitation d’Alassane Ouattara : Liaisons très (très) dangereuses avec le Burkinabé

Une alliance fondée sur un pacte moral et politique

Le duo Diomaye-Sonko est né d’un accord scellé dans l’adversité. Lorsque Ousmane Sonko, frappé par une inéligibilité controversée, décide de désigner Bassirou Diomaye Faye comme son dauphin politique, il ne s’agit pas d’un simple choix stratégique. Il s’agit d’un pacte, impliquant également El Malick Ndiaye, président de l’Assemblée nationale. Ce pacte avait pour but de garantir une gouvernance à trois têtes, fondée sur la concertation, la transparence et la fidélité à un idéal commun, celui de la souveraineté populaire et de la rupture avec les anciennes pratiques du pouvoir.

Ce pacte, comme l’a rappelé récemment Ousmane Sonko, avait une portée quasi sacrée : « Ce qu’on s’est dit, seul Dieu est témoin ». Mais, ce fondement moral semble, aujourd’hui, bafoué. L’atmosphère de confiance a laissé place à la suspicion. Des clans se forment, des ambitions personnelles émergent et des accusations fusent de part et d’autre. Sonko accuse ouvertement des proches de Diomaye Faye de manœuvrer en secret pour préparer l’échéance présidentielle de 2029, et de miner son autorité en tant que chef du gouvernement.

Les tensions actuelles entre le président et son premier ministre peuvent, également, s’expliquer par des différences de tempérament et de vision du monde. Diomaye Faye, d’ethnie sérère, est, souvent, perçu comme mesuré, réservé, voire, distant. Les Sérère, dans l’imaginaire collectif sénégalais, ont une certaine admiration pour la culture occidentale. Ce trait est, parfois, évoqué pour expliquer les choix symboliques ou stratégiques de Diomaye, comme le fait d’avoir été convié par Donald Trump. En visite d’amitié et de travail en Côte d’Ivoire, le 7 mai 2024, il ne s’était pas privé de décerner un brevet de démocratie à Alassane Ouattara dont plus personne ne conteste l’autoritarisme, le non-respect de la Constitution et la mal gouvernance. 

A l’inverse, Ousmane Sonko, d’ethnie diola, est connu pour son indépendance d’esprit, son franc-parler et son rejet affiché de toute forme de domination extérieure. Son engagement en faveur de la fermeture des bases militaires françaises et de la souveraineté économique africaine lui a valu une grande popularité au Sénégal et sur le continent. Pour ses partisans, il est l’incarnation d’une Afrique qui se redresse et qui refuse de se plier aux diktats des anciennes puissances coloniales. Ces différences, loin d’être anecdotiques, façonnent leur manière d’exercer le pouvoir et de concevoir l’avenir du pays.

Général Biram Diop : La pomme de discorde entre Diomaye Faye et Ousmane Sonko.

Des entourages conflictuels et une guerre de positions

Au-delà des personnalités des deux hommes, c’est leur entourage qui semble cristalliser les tensions. Sonko dénonce les attaques répétées venant de proches de Diomaye Faye, restées impunies selon lui. Il pointe notamment du doigt Biram Diop, chef d’état-major général des armées, qu’il soupçonne d’être plus loyal à des intérêts extérieurs (notamment l’ONU) qu’à l’autorité civile incarnée par le président. Le fait qu’un tel haut responsable puisse agir sans être recadré questionne l’autorité de Diomaye Faye et alimente les rumeurs d’un pouvoir en déliquescence.

Certains proches de Sonko estiment qu’il aurait dû demander à diriger l’Assemblée nationale, ce qui lui aurait donné un contre-pouvoir plus fort face au président. Aujourd’hui, bien qu’il soit premier ministre, Sonko se retrouve dans une position délicate : garant de la politique gouvernementale, mais, contesté par des voix internes à la majorité présidentielle.

Sonko a affirmé publiquement avoir « longtemps encaissé », mais, qu’il ne peut plus se taire. Il estime que Diomaye pourrait arrêter les dérives actuelles « s’il le voulait ». Ce reproche de passivité signifie que le premier ministre doute de la volonté réelle du président à maintenir l’unité et à protéger les fondements du projet politique initial.

Un appel à la vigilance pour éviter le scénario du chaos

Dans son discours, Sonko n’a pas seulement dénoncé une situation. Il a aussi lancé un avertissement. « Le président Diomaye doit prendre ses responsabilités, ou je les prendrai », a-t-il déclaré. Cette formule signifie qu’en cas d’inaction du président, Sonko pourrait être tenté d’agir seul, voire, de défier ouvertement l’autorité présidentielle.

L’histoire africaine est jalonnée de ruptures dramatiques entre anciens alliés. L’exemple de Thomas Sankara et Blaise Compaoré est, particulièrement, parlant. Une amitié brisée par la trahison, une vision sacrifiée sur l’autel des ambitions personnelles. Le Sénégal, fort de sa tradition démocratique, doit éviter ce scénario. Pour cela, une vigilance accrue est nécessaire. Ni Diomaye ni Sonko ne doivent se laisser manipuler par leurs entourages respectifs. Ils doivent retrouver l’esprit de leur pacte initial et œuvrer, ensemble, au service du peuple.

Thomas Sankara et Blaise Compaoré : Personne au Sénégal ni en Afrique ne souhaite que l’histoire se répète au Sénégal. L’échec serait celui de tout le continent africain.

Conclusion 

L’alliance entre Bassirou Diomaye Faye et Ousmane Sonko repose sur un projet historique : redonner aux Sénégalais la maîtrise de leur destin. Cette ambition, partagée au départ, ne doit pas être sacrifiée sur l’autel des querelles personnelles ou des manœuvres politiques précoces. Le peuple sénégalais a accordé sa confiance à ce duo, non pour revivre les divisions du passé, mais, pour bâtir un avenir nouveau.

La cohabitation entre un président et un premier ministre peut être une richesse si elle est gérée dans le respect mutuel et le dialogue. Mais, elle devient un poison lorsqu’elle est minée par les rivalités et les soupçons. Diomaye et Sonko doivent choisir entre la rupture et la réconciliation, entre les calculs politiques et la fidélité à leur engagement initial.

Le Sénégal les regarde. L’Afrique les observe.

Jean-Claude DJEREKE

Est professeur de littérature à l’Université de Temple (Etats-Unis).

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