SENEGAL : Sonko–Diomaye un tandem en danger ?

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L’accession au pouvoir du tandem Ousmane Sonko – Bassirou Diomaye Faye en 2024 constitue l’un des événements politiques les plus marquants de l’histoire récente du Sénégal. La victoire du PASTEF, rendue possible par le désistement stratégique de Sonko en faveur de son colistier, avait été perçue comme un exemple de maturité politique et de priorité donnée à l’intérêt national. Six mois seulement après cette alternance, les interrogations se multiplient : Le tandem est-il déjà en danger ? Les deux amis, longtemps unis dans la lutte contre le système politico-économique qu’ils critiquaient, vont-ils se séparer ?

A écouter certains observateurs africains, ce qui arrive aujourd’hui était inéluctable. Au Sénégal, certains soupçonnent déjà Diomaye Faye de vouloir rempiler en 2029 et de ne pas être favorable à la rupture radicale promise par le PASTEF. Ces soupçons s’alimentent de plusieurs gestes interprétés comme des signaux de normalisation avec l’ordre ancien.

La visite de Bassirou Diomaye Faye en Côte d’Ivoire, le 7 mai 2024, à Alassane Ouattara, considéré par de nombreux Africains comme peu représentatif d’une démocratie exemplaire, a ravivé l’inquiétude chez les partisans d’une rupture profonde. Pour certains militants africains proches de Sonko, cette visite — suivie de rencontres avec d’autres chefs d’Etat africains en présence de Donald Trump — symboliserait une volonté de maintenir le Sénégal dans le giron de la France et de ses réseaux d’influence.

Ces réactions, qu’elles soient exagérées ou fondées, témoignent d’une réalité sociopolitique : Une partie de la base militante du PASTEF avait placé en Sonko et en Diomaye l’espoir d’une transformation radicale des relations internationales du pays. Tout geste interprété comme un compromis ou une continuité avec l’ancien système est donc immédiatement perçu comme une trahison.

Sonko a-t-il commis une erreur en se retirant au profit de Diomaye ? 

Au-delà du contexte sénégalais, certains Ivoiriens instrumentalisent aujourd’hui la situation pour justifier les choix de leurs propres leaders. Selon eux, Laurent Gbagbo et Tidjane Thiam auraient eu raison de ne pas prévoir de Plan B. Un raisonnement discutable. Pourquoi ? En politique, lorsque la loi empêche une candidature, se maintenir en position de blocage en déclarant implicitement « moi ou personne » n’est ni un signe d’amour pour son pays ni une preuve d’engagement démocratique. C’est au contraire une posture égocentrée qui place l’ambition personnelle au-dessus du bien commun.

A cet égard, Ousmane Sonko n’a pas démérité. Il n’a pas mal agi en laissant la place à Bassirou Diomaye Faye. Il a respecté l’état de droit et considéré qu’un changement était possible même sans sa présence formelle sur le bulletin de vote. Ce choix révélait une maturité politique rare dans un contexte où beaucoup de leaders africains peinent à se détacher de leur propre image ou de leur destin personnel.

Diomaye Faye a-t-il changé ou son vrai visage apparaît-il simplement ?

Pour certains soutiens panafricanistes, Diomaye Faye aurait masqué son vrai visage durant la période de lutte, celui d’un homme finalement sensible aux honneurs du pouvoir et moins engagé dans la rupture que ne l’était Sonko. Cette lecture met en lumière une inquiétude plus profonde : La peur que les pratiques politiques traditionnelles prennent le dessus sur la dynamique de renouveau portée par le PASTEF.

Il est toutefois possible de lire la situation autrement. Gouverner n’est pas militer. Un président doit composer avec des contraintes diplomatiques, économiques et sécuritaires qui échappent parfois à la logique militante. Les gestes interprétés comme des renoncements ou des trahisons peuvent relever du pragmatisme politique nécessaire à la stabilité du pays. La question essentielle est donc la suivante: jusqu’où peut aller ce pragmatisme sans trahir l’esprit de la rupture promise ?

L’avenir du tandem: rupture ou recomposition ?

Il est difficile de prévoir ce que décidera Ousmane Sonko. Ce qui est incontestable, cependant, c’est que le PASTEF n’aurait jamais accédé au pouvoir sans lui. Car Sonko incarne la figure charismatique, le moteur de la contestation, celui qui a payé le plus lourd tribut personnel durant la lutte politique. Si le fossé se creuse entre les deux hommes, les conséquences pour le parti pourraient être lourdes : Eclatement du mouvement, désillusion des jeunes militants, avancement d’un agenda politique plus conservateur.

Mais, il est encore possible d’éviter l’irréparable. Le Sénégal, contrairement, à d’autres pays, possède une longue tradition démocratique et un sens du compromis politique. La maturité personnelle des deux hommes, leur passé commun et leur engagement déclaré envers le bien du pays peuvent encore servir de socle pour dépasser les tensions naissantes.

Bassirou Diomaye Faye à la Maison Blanche en juillet dernier avec Donald Trump.

L’évolution des relations entre Sonko et Diomaye devra être observée avec prudence, sans précipitation et sans instrumentalisation politique externe. Les commentaires alarmistes, notamment, provenant d’autres pays africains, sont parfois davantage liés à leurs propres situations internes qu’à une analyse objective du cas sénégalais.

Pour l’heure, il serait excessif d’annoncer la rupture du tandem. Mais, il serait naïf d’ignorer les signaux qui inquiètent une partie de l’opinion africaine. L’avenir dépendra de la capacité des deux hommes à dialoguer, à respecter le pacte moral qui les liait et à maintenir leur engagement envers le peuple sénégalais dont les aspirations profondes — justice, souveraineté, équité — ont porté le PASTEF au pouvoir.

Jean-Claude Djéréké

est professeur de littérature à l’Université de Temple (Etats-Unis)

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