Le 10 juin 2025, à Paris, Tidjane Thiam, radié de la liste électorale en même temps que Laurent Gbagbo, Guillaume Soro et Charles Blé Goudé, a provoqué un tollé en déclarant que « les Africains doivent cesser d’accuser les autres » et qu’« il n’y a pas de complot contre l’Afrique ». Selon lui, le continent est traité de la même manière que d’autres régions en développement, comme la Birmanie ou le Laos. Cette prise de position invite à une introspection collective sur les causes profondes du sous-développement africain.
Des responsabilités africaines bien réelles
Il est indéniable qu’une partie des maux de l’Afrique trouve ses racines dans les choix de ses propres dirigeants. Depuis les indépendances nominales de 1960, nombre de chefs d’Etat ont disposé de ressources considérables, tant humaines que naturelles, pour impulser un développement durable. Pourtant, une élite politique cupide et prédatrice a souvent préféré s’enrichir personnellement au lieu de servir l’intérêt général.
Les exemples abondent : Mobutu Sese Seko en République du Zaïre (actuelle RDC), que Bernard Kouchner qualifia de « coffre-fort ambulant coiffé d’une toque de léopard », a transformé son pays en un gouffre financier, pillant sans vergogne les caisses publiques. Gnassingbé Eyadéma au Togo, Omar Bongo au Gabon, Denis Sassou Nguesso au Congo-Brazzaville, ou encore, Jean-Bedel Bokassa en Centrafrique ont perpétué des régimes fondés sur la corruption, la violence et le népotisme. Paul Biya, toujours en poste au Cameroun après plus de quarante ans de règne, symbolise cette longévité au pouvoir sans progrès réel pour la majorité de la population.
Ces dirigeants ont eu les moyens de développer les infrastructures, les systèmes éducatifs et de santé, et d’encourager une industrialisation locale. Au lieu de cela, ils ont préféré transférer leurs fortunes à l’étranger, investissant dans des villas à Paris, à Monaco ou sur la Côte d’Azur. Ils ont sacrifié l’avenir de générations entières pour préserver leur confort personnel et celui de leurs proches.

A cette liste, il convient d’ajouter Alassane Ouattara souvent présenté comme un technocrate rigoureux. Son bilan, pourtant, est loin d’être irréprochable. Sous son règne, l’endettement de la Côte d’Ivoire a explosé, parfois, sans retombées concrètes pour les populations. Sa politique de « rattrapage ethnique » a ravivé les tensions communautaires en favorisant certains groupes au détriment d’une cohésion nationale. Les démolitions de quartiers populaires se sont multipliées sans solutions dignes de relogement pour les familles déplacées. Le trafic de drogue s’est installé durablement, affectant la jeunesse et minant les institutions, tandis que les scandales de détournement de fonds publics restent impunis.
Tidjane Thiam, bien que critique vis-à-vis des autres, n’est pas exempt de reproches. Lui-même n’a pas réussi à impulser une dynamique forte autour de la réhabilitation des grandes écoles de Yamoussoukro, symbole d’une ambition éducative panafricaine aujourd’hui en ruine. Il est donc légitime de demander à ceux qui prônent la responsabilité de commencer par l’assumer à leur propre échelle.
Une responsabilité partagée avec l’Occident
Cela dit, limiter l’analyse aux seules fautes africaines, accuser l’Afrique de refuser le développement comme le fit la Camerounaise, Axelle Kabou, en 1991, serait réducteur. L’histoire du sous-développement du continent ne peut être pleinement comprise sans examiner le rôle déterminant joué par les anciennes puissances coloniales et les pays industrialisés. L’Occident, depuis la colonisation, a façonné un modèle économique basé sur l’exploitation des ressources africaines au profit de ses propres intérêts.
L’Afrique n’a pas fini de panser les blessures de la traite négrière et de la colonisation. Même, après les pseudo-indépendances, la mainmise occidentale ne s’est pas estompée. Le refus du transfert de technologies, le verrouillage des marchés mondiaux, l’endettement structurel imposé par les institutions financières internationales, tout cela a contribué à maintenir l’Afrique dans un rôle de simple fournisseur de matières premières. Pire encore, de nombreux dictateurs africains ont été soutenus, parfois, militairement, par des puissances étrangères qui y trouvaient leur compte. La stabilité d’un régime autoritaire semblait préférable à l’incertitude d’une démocratie émergente.

Repenser le partenariat et l’avenir
Le diagnostic posé par Thiam a le mérite de rappeler que le salut de l’Afrique ne viendra pas d’un bouc émissaire, mais, d’une responsabilisation collective. Cependant, il ne faut pas tomber dans une lecture simpliste qui absout les puissances extérieures de leur rôle historique et structurel dans l’enlisement du continent. Il s’agit donc de conjuguer la lucidité interne à une pression diplomatique pour un partenariat plus équitable.
Les Africains doivent exiger plus de leurs dirigeants, et ceux-ci doivent rendre des comptes. Mais, l’Occident doit, également, mettre fin à ses logiques extractivistes, favoriser la coopération technologique et cesser de cautionner les régimes qui perpétuent la misère. L’Afrique, riche de sa jeunesse et de ses ressources, peut encore se relever, à condition de regarder son histoire en face et de rompre définitivement avec les modèles du passé.
Jean-Claude DJEREKE
est professeur de littérature à l’Université de Temple (Etats-Unis).