MAROC : Le Conseil national de la presse face au défi de la transparence

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Au Maroc,  publié par Hamid El Mahdaoui, l’enregistrement de la réunion de la Commission de déontologie et des affaires disciplinaires du Conseil national de la presse (CNP) apporte une lumière crue sur des coulisses longtemps tenues à l’écart. Mais, derrière le tumulte médiatique, se pose une question plus profonde : Sommes-nous en face d’un acte courageux pour la transparence ou d’une violation des principes déontologiques qui fragilise l’autorégulation de la presse au Maroc.

Ce que l’enregistrement révèle… et suscite

D’après les extraits diffusés, des membres de la Commission discutent du dossier disciplinaire du journaliste / influenceur avec des paroles « offensantes » et des références à des interférences dans des dossiers judiciaires. Certains y voient un déni d’impartialité : Si ces propos sont authentiques, ils soulignent un problème systémique — non seulement dans la conduite de la Commission, mais potentiellement, dans l’indépendance même de la justice. 

Le Syndicat national de la presse marocaine (SNPM), de son côté, réclame une enquête urgente. Il ne s’agit pas seulement de dénoncer une fuite : C’est une invitation à examiner en profondeur la légitimité des décisions disciplinaires à travers la transparence.  Certains parlementaires — comme des députés du PJD (Parti de la justice et du développement) — vont encore plus loin, en demandant une enquête judiciaire, convaincus que l’affaire dépasse la simple crise de la presse. 

Les limites de la “confidentialité” invoquée

La Commission provisoire du CNP, qui supervise actuellement le secteur, ne cache pas sa colère : Elle annonce des poursuites contre Hamid El Mahdaoui pour “acte illégal” et “diffamation”, en se référant à l’article 18 de son règlement interne, lequel prévoit que les délibérations de la Commission sont confidentielles. 

Il est vrai que la confidentialité peut être une nécessité dans les commissions disciplinaires : elle protège les échanges, encourage l’honnêteté et évite les postures publiques de chaque partie avant jugement. Mais, cette transparence restreinte ne doit pas se transformer en opacité systémique, surtout, quand des enjeux d’intégrité ou d’indépendance judiciaire sont évoqués.

Vers un nouveau pacte déontologique ?

Ce scandale arrive à un moment charnière : Le Maroc discute actuellement la réforme de son Conseil de presse. Le projet de loi n° 026-25, qui redéfinit les missions du CNP, est largement critiqué par des syndicats de presse. La Fédération internationale des journalistes (FIJ), aux côtés du SNPM, réclame une révision du texte, notamment, parce qu’il réduit la représentation des journalistes élus au sein du Conseil. 

Au-delà des législations, il y a la Charte nationale d’éthique de la presse, qui pose des principes forts : Vérité des faits, respect de la source, transparence dans les processus, mais aussi, respect des procédures professionnelles.  La diffusion d’images ou d’extraits sans consentement peut constituer une violation de ces principes, mais peut aussi, dans certains cas, révéler des dysfonctionnements plus graves — ce que beaucoup semblent croire ici.

 Pourquoi cette affaire mérite plus qu’un “buzz” :

  • Pour la crédibilité du CNP : Si le Conseil en tant qu’instance d’autorégulation ne peut pas garantir un minimum de sérieux ou d’indépendance, sa légitimité est compromise.
  • Pour le journalisme : Les journalistes ne sont pas à l’abri des dérives ; ils doivent aussi être soumis à l’éthique. Mais, la déontologie ne doit pas servir uniquement à museler, elle doit protéger la légitimité.
  • Pour la démocratie médiatique : La société a le droit d’être informée quand les instances de régulation médiatique semblent agir en coulisses, surtout, sur des dossiers sensibles.

Transparence avec responsabilité

Il est permis de penser que  publier des vidéos issues d’un débat confidentiel est dangereux : Un tel acte  peut briser la confidentialité nécessaire à des échanges honnêtes. Mais, nous croyons, aussi, que la fuite peut être légitime si elle révèle des pratiques contraires à l’intérêt public, comme des manœuvres d’influence ou des propos discriminatoires.

Le ministre marocain de la Communication Mohammed Mehdi Bensaïd suit de très près ce débat.

La bonne voie est un compromis :

  • Une enquête impartiale, judiciaire ou administrative, pour vérifier l’authenticité de la vidéo, identifier les responsabilités et sanctionner si nécessaire.
  • Le renforcement des règles du CNP, notamment, en matière de transparence : Les décisions disciplinaires doivent pouvoir être publiées, mais, les délibérations internes doivent être protégées, sauf en cas de manquement grave.
  • Une refonte du projet de loi sur le Conseil national de la presse, pour garantir que ceux qui régulent la presse soient eux-mêmes soumis à des standards éthiques clairs et des mécanismes de reddition de comptes.

Conclusion

Cette affaire dépasse le simple “buzz numérique” : Elle remet en question la confiance que les journalistes et le public peuvent avoir dans l’autorégulation du secteur. Plutôt que de s’en tenir à des déclarations de condamnation ou de loyauté de principe, il est urgent d’ouvrir un débat sérieux — et agir — pour que la déontologie journalistique protège vraiment la liberté de la presse, sans pour autant sacrifier l’intégrité.

Par Dr. Lahcen Benchama

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