AFRIQUE : COMMENT FREINER LA PANDEMIE DU SIDA PAR L’EDUCATION

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Par Pierre Faugère*

Du 27 au 29 septembre 2000, s’est tenu, à Paris, sous l’égide de l’Iipe (Institut international pour la planification de l’éducation), en collaboration avec le Pnud et l’Unicef, un atelier sur le thème « Impact du Vih/Sida sur l’éducation ». Il a réuni des spécialistes et chercheurs du sud et du nord. L’atelier a étudié des chiffres suivants :

  • au moins, 30 millions de personnes sont infectées par le Vih/Sida en Afrique subsaharienne, selon les dernières estimations;
  • le taux de séro-prévalence au Vih le plus faible est celui de la Somalie : 0,25% alors que le Zimbabwé, le Botswana, atteindraient 25% de taux de prévalence. L’Afrique du Sud, le Swaziland, le Kenya, le Mozambique, la Côte d’Ivoire, dépassent 10%;
  • l’espérance de vie dans la moitié des pays en Afrique subsaharienne a déjà diminué de 10% en moyenne depuis 1980;
  • la mortalité liée à la pandémie a commencé à éliminer les progrès effectués au cours des vingt dernières années en matière de santé infantile.

Différentes études récentes montrent que la maladie touche plus particulièrement les enfants et les femmes. En effet, les enfants sont très affectés par les conséquences du Vih/Sida lorsqu’ils vivent avec des parents malades dans des foyers dont les ressources financières diminuent, sans parler du taux élevé de transmission de la maladie de la mère à l’enfant, transmission que l’on sait éviter dans 4 cas sur 5 dans les pays industrialisés; de plus, les femmes et les filles éprouvent des difficultés ou ne savent pas se protéger du Vih, en partie, du fait de leur statut dans la société. Les enfants sont physiquement et psychologiquement touchés par la maladie et le décès d’un ou de leurs deux parents. Bien évidemment, leurs chances d’aller ou de demeurer à l’école s’amenuisent car ils sont souvent contraints de rester à la maison pour soigner leurs parents malades – ceci est plus particulièrement le cas des filles – ou pour essayer de gagner quelque argent dans le secteur économique informel (petits boulots). Une étude récente de la Banque mondiale (Vih/Aids and education : a human capital issue) donne une idée globale de l’impact de la pandémie sur l’éducation en Afrique qui peut se résumer de la façon suivante :

  1. au niveau de la demande :
    • taux de fertilité en baisse;
    • taux de mortalité infantile ou des adolescents en hausse;
    • augmentation du travail des enfants;
    • ressources des familles en baisse;
    • augmentation du nombre des orphelins – et des enfants des rues;
    • augmentation de l’ostracisme à l’égard des malades qui met en péril l’esprit communautaire traditionnel africain et la solidarité. En conséquence, on peut prévoir :
    • baisse des taux d’inscription à l’école;
    • baisse du nombre de places offertes du fait des contraintes budgétaires, en particulier, la diminution de la participation communautaire à la construction et à l’équipement des salles de classe.
  2. au niveau des ressources :
    • personnel enseignant souvent absent, lorsqu’il est infecté par le Vih;
    • augmentation du nombre de décès dans le corps enseignant due à la maladie (cf. article publié dans Afrique Education n° 75; cas de la Côte d’Ivoire et de la Rca);
    • baisse du nombre d’enseignants et d’enseignants formés;
    • baisse des contributions des communautés et des familles au développement de l’école;
    • appel croissant au budget de l’Etat (ministère de la Santé) du fait du Vih/Sida. En conséquence, on peut prévoir des ressources financières en baisse en faveur du développement de l’éducation. La pandémie du Vih/Sida a, à la fois, des conséquences sur :
    • la demande d’éducation : moins d’élèves, des élèves plus souvent absents, avec possibilité de fermeture d’école dans certaines zones;
    • l’offre d’éducation : réduction du nombre d’enseignants, et moins de constructions du fait des contraintes budgétaires qui vont peser sur des communautés et le budget des Etats;
    • la qualité de l’éducation : les enseignants malades sont souvent absents et ne pourront pas être remplacés et les élèves sont aussi souvent absents quand ils doivent s’occuper de leurs parents malades du sida; baisse des performances et des résultats;
    • le contenu de l’éducation : en effet, dans la lutte contre la pandémie, l’éducation – formelle et informelle – peut être un vecteur puissant pour informer, alerter, enseigner sur la maladie, sur son mode de transmission, sur les moyens de prévention pour l’éviter, compte tenu du fait qu’il existe, à l’heure actuelle, aucun vaccin, ni aucun médicament permettant de guérir la maladie. La prévention est la seule arme pour le moment.Il convient donc – et cela a déjà été entrepris dans certains pays – d’incorporer dans les programmes d’éducation à la vie (life skills education, en anglais) des cours sur la pandémie afin d’informer, de sensibiliser, de modifier les attitudes en vue de l’adoption de conduites de responsabilité et de protection permettant d’éviter d’attraper le virus Vih et/ou de ne pas le transmettre; le but étant d’obtenir, en particulier, de la jeunesse, des comportements sexuels protégés (safer sexual behaviour, en anglais).Il s’agit de permettre aux élèves d’avoir des attitudes sociales positives et de les armer pour affronter les pressions sociales négatives. Ces cours devront être prodigués aux jeunes élèves – si possible avant qu’ils n’atteignent la maturité sexuelle – afin qu’ils abordent leur vie sexuelle en étant parfaitement au courant de la pandémie, des moyens de se protéger du virus Vih, en ayant un comportement « citoyen » responsable et assuré. Ceci devra inclure un changement d’attitude dans les relations entre hommes/femmes;
    • le rôle de l’éducation : le rôle de « conseiller » du système et de l’enseignement sera renforcé, l’école devenant un centre d’information et de dissémination de l’information sur le Vih/Sida en direction du personnel, des apprenants de la communauté éducative dans son ensemble; l’école devra être perçue comme une organisation aux objectifs plus larges que celui qui a été traditionnellement le sien, à savoir, formation académique des futurs citoyens;
    • l’organisation de l’école : la flexibilité (des programmes, des emplois du temps, etc.) devra être la vertu cardinale de l’école confrontée à la pandémie du sida. Les diverses formes d’éducation non formelle devront être favorisées, soutenues, encouragées dans un contexte éminemment changeant et dans un environnement marqué par les pénuries et les souffrances. Dans bien des cas, on peut affirmer que le modèle traditionnel sera difficile à maintenir.

En conclusion, l’école africaine qui avait été confrontée au manque persistant de ressources financières, mais aussi humaines, devra faire preuve d’imagination et de pragmatisme par une véritable « révolution culturelle ». La communauté internationale d’aide au développement devra, elle aussi, effectuer son « aggiornamento », en faisant preuve d’ouverture, d’écoute, de sens du dialogue, et avant tout, d’humilité, vertu qu’elle a eu souvent des difficultés à cultiver.

Pierre Faugère est docteur des
facultés de lettres et ancien
conseiller culturel (France)

On consultera avec intérêt :

  • Iiep/Unesco (Paris) : « The impact of Hiv/Aids on Education, Paris, 27-29 september 2000 »
  • Educaid (Norvège) : 4 – Issue n° 3/2000, Hiv/Aids.

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