AFRIQUE : Démocratie à la canonnière et  institutions fragiles et corrompues

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L’Afrique semble aujourd’hui confrontée à une interrogation persistante : La démocratie peut-elle réellement s’y enraciner durablement ? Alors que nombre de pays ont adopté, depuis les années 1990, des constitutions pluralistes et organisé des élections régulières, la réalité politique demeure marquée par une instabilité chronique. La multiplication des coups d’état, la restriction des libertés politiques et l’ingérence des forces armées dans la gestion du pouvoir traduisent la fragilité des régimes démocratiques sur le continent.

Héritages historiques et institutions vulnérables

Les racines de cette fragilité sont à la fois historiques et structurelles. Le legs colonial a laissé en héritage des Etats centralisés, autoritaires et souvent éloignés des réalités sociales. Après les indépendances, ces structures ont été maintenues plutôt que profondément réformées. Les transitions démocratiques des années 1990 ont certes introduit le multipartisme et des élections compétitives, mais, elles n’ont pas toujours renforcé l’état de droit ni créé des contre-pouvoirs solides. Ainsi, face aux crises politiques, sociales ou sécuritaires, le pouvoir civil s’avère souvent vulnérable.

Le Niger : la tentation du pouvoir militaire

Le Niger constitue une illustration saisissante de cette dérive. En juillet 2023, un coup d’état militaire met fin à un régime issu des urnes. La junte justifie sa prise de pouvoir par l’échec supposé des autorités civiles à garantir la sécurité et à répondre aux attentes populaires. Cette rhétorique, fréquemment, mobilisée, confère à l’armée un rôle d’arbitre politique. En pratique, elle conduit à la suspension de la Constitution, à la concentration du pouvoir et à la réduction des libertés publiques, compromettant toute consolidation démocratique (sur notre photo, le président du Tchad Mahamat Idriss Déby Itno rend visite le 31 juillet 2023 à Mohamed Bazoum victime d’un coup d’état et séquestré dans son palais à Niamey).

Le Bénin : L’érosion silencieuse de la démocratie

A l’opposé, le Bénin ne connaît pas de rupture militaire brutale, mais, illustre une autre forme de fragilisation : La régression progressive par des mécanismes institutionnels. Longtemps présenté comme un modèle en Afrique de l’Ouest, le pays a vu l’espace politique se réduire, l’opposition s’affaiblir et le pouvoir exécutif se renforcer. Cette évolution montre que l’absence de coup d’état ne signifie pas nécessairement vitalité démocratique. L’autoritarisme peut aussi s’installer de manière légale, subtile et durable.

Madagascar : Quand l’instabilité devient structurelle

Madagascar incarne une instabilité politique récurrente. Depuis l’indépendance, le pays alterne entre gouvernements civils et ruptures institutionnelles, souvent, accompagnées de l’intervention des forces armées. Même les processus électoraux censés apaiser les tensions, deviennent des moments de contestation et de méfiance citoyenne. Sans institutions indépendantes et sans contrôle réel de l’armée par le pouvoir civil, les élections peinent à produire une stabilité durable.

Une crise de légitimité profonde

Malgré la diversité des contextes, ces trois exemples convergent vers un même constat : La démocratie africaine souffre d’une crise de légitimité. Corruption, inégalités sociales, pauvreté, insécurité et inefficacité des politiques publiques nourrissent le désenchantement des populations. Dans ce climat, l’armée apparaît parfois comme une alternative crédible, perçue comme plus disciplinée et moins corrompue que les élites civiles.

Les limites de la solution militaire

Toutefois, l’histoire politique du continent montre que les régimes militaires n’apportent pas de solutions durables. En affaiblissant l’état de droit, en restreignant les libertés et en marginalisant la société civile, ils reproduisent les mêmes logiques autoritaires qu’ils prétendent combattre. Le recours à la force, loin de refonder l’Etat, en retarde souvent la construction démocratique.

L’ancien capitaine-président ghanéen, Jerry Rawlings (mort du covid le 12 novembre 2020), à côté du président Nana Akufo-Addo, avait dirigé le Ghana de 1981 à 2001, date à laquelle il avait volontairement abandonné le pouvoir, après avoir assis la démocratie dans les institutions de l’Etat.

Pour une démocratie réellement consolidée

L’enjeu central pour l’Afrique dépasse la simple tenue d’élections. Il réside dans la construction d’institutions fortes, inclusives et légitimes, capables de résister aux crises. Le respect des constitutions, l’indépendance de la justice, la participation citoyenne et surtout, la subordination effective des forces armées à l’autorité civile constituent des conditions indispensables à une démocratie durable.

Une promesse encore inachevée

La démocratie en Afrique n’est ni une illusion ni un projet condamné à l’échec. Elle demeure cependant un chantier fragile, constamment, menacé. Tant que les armes resteront un moyen d’accès ou de maintien au pouvoir, la promesse démocratique du continent restera inachevée, suspendue entre espoir et désillusion.

Par Dr. Lahcen Benchama

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