Un jour, un voyageur arriva dans un paisible village mexicain. Observant les pêcheurs locaux, il ne put s’empêcher d’admirer la qualité exceptionnelle de leurs prises.
— Combien de temps vous faut-il pour pêcher ces poissons, demanda-t-il ?
— Pas très longtemps, répondirent-ils d’une seule voix.
Intrigué, il poursuivit :
— Pourquoi ne passez-vous pas plus de temps en mer afin d’attraper davantage de poissons ?
Les pêcheurs échangèrent un regard amusé avant de répondre :
— Ce que nous pêchons suffit amplement à nos besoins et à ceux de nos familles.
Le voyageur, visiblement perplexe, s’enquit alors :
— Mais que faites-vous du reste de votre temps ?
L’un d’eux sourit et répondit avec simplicité :
— Nous dormons tard, nous pêchons un peu, nous jouons avec nos enfants, nous mangeons avec nos épouses. Le soir, nous retrouvons nos amis, nous rions, nous chantons quelques airs joyeux…
Le voyageur les interrompit, l’air inspiré :
— Je suis diplômé de Harvard en gestion des affaires. Je peux vous aider à devenir riches !
Les pêcheurs se regardèrent, intrigués.
— Comment ?
— C’est simple. Commencez par pêcher plus longtemps chaque jour. Vendez l’excédent et, avec les bénéfices, achetez un plus grand bateau.
— Et ensuite ?
— Avec un bateau plus grand, vous pourrez pêcher encore plus, accumuler plus de profits et acheter un deuxième bateau, puis un troisième… Jusqu’à ce que vous possédiez une flotte entière !
— Et après ?
— Avec votre propre flotte, vous ne vendrez plus votre poisson à des intermédiaires. Vous négocierez directement avec les usines de transformation, et pourquoi pas, ouvrir votre propre conserverie ! Puis, vous quitterez ce village et vous vous installerez à Mexico, à Los Angeles, peut-être même à New York, d’où vous dirigerez un empire.
Les pêcheurs, écoutant attentivement, demandèrent alors :
— Et tout cela prendrait combien de temps ?
— Vingt, peut-être vingt-cinq ans, répondit fièrement le voyageur.
— Et après ?
— Après, sourit-il, l’air triomphant ? Une fois votre fortune faite, vous pourrez prendre votre retraite, vous installer dans un petit village au bord de la mer, dormir tard, jouer avec vos petits-enfants, manger avec vos épouses, passer vos soirées à rire avec vos amis…
Un silence tomba. Puis, l’un des pêcheurs, un sourire au coin des lèvres, répondit doucement :
— Mais c’est exactement ce que nous faisons déjà. Alors, pourquoi sacrifier vingt-cinq années de notre vie pour obtenir ce que nous possédons aujourd’hui ?
Le voyageur resta sans voix.

Cette histoire est celle de bien des hommes. Courir après une chimère, s’épuiser dans une quête insensée, négliger l’essentiel : l’amour, la famille, la paix intérieure. Ils sacrifient leur santé, leur âme, leur vie… pour une opulence éphémère, croyant que la richesse leur offrira le bonheur.
Mais, quel prix a ce bonheur si, au jour où il se présente enfin, les forces nous ont quittés, le printemps de notre existence s’est fané, et que l’ombre de la mort plane déjà au-dessus de nos têtes ?
Alors, à chacun de nous… où voulons-nous vraiment aller ?
L’équilibre est la clé. Apprenons à savourer la vie avant qu’elle ne s’efface entre nos doigts.
Jean-Claude Djéréké
est professeur de littérature à l’Université de Temple (Etats-Unis)