ALGERIE : La question kabyle

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Proposition d’une analyse juridique et géopolitique d’une revendication d’autodétermination.

La Kabylie constitue depuis plusieurs décennies un espace central des revendications identitaires et politiques en Algérie. L’annonce par le Mouvement pour l’autodétermination de la Kabylie (MAK) d’une éventuelle déclaration unilatérale d’indépendance en décembre 2025 invite à une analyse croisée, à la fois, juridique et géopolitique, des conditions de légitimité, de faisabilité et des implications potentielles d’une telle initiative. Cet article examine les fondements normatifs invoqués, les contraintes du droit international et du droit constitutionnel algérien, ainsi que, les implications régionales d’un processus sécessionniste dans le contexte maghrébin et sahélien.

Les revendications territoriales et identitaires constituent un thème récurrent des études sur les Etats post-coloniaux, en particulier, lorsque la construction nationale s’est traduite par une forte centralisation du pouvoir. En Algérie, la Kabylie occupe une position singulière dans ce débat. Région à forte identité amazighe, elle a été le foyer de mobilisations politiques répétées portant sur la reconnaissance culturelle, les libertés publiques et les modalités de gouvernance. L’évolution récente de ces revendications vers un projet explicitement séparatiste mérite une analyse approfondie, détachée des lectures strictement sécuritaires ou militantes (sur notre photo, la grande marche du MAK à Tizi Ouzou).

Eléments historiques et politiques

Depuis l’indépendance de l’Algérie en 1962, la question de l’identité nationale a fait l’objet de tensions persistantes. Les mobilisations kabyles — du « Printemps berbère » de 1980 aux mouvements sociaux des années 2000 — ont principalement porté sur la reconnaissance de la langue et de la culture amazighes, ainsi que, sur des demandes de démocratisation. La reconnaissance constitutionnelle du tamazight comme langue nationale, puis, officielle marque une avancée institutionnelle ; néanmoins, certains acteurs estiment que ces réformes n’ont pas été accompagnées de transformations substantielles en matière de gouvernance territoriale et de participation politique.

C’est dans ce contexte qu’a émergé le Mouvement pour l’autodétermination de la Kabylie (MAK), qui affirme que l’Etat algérien a épuisé les voies de réforme interne. L’annonce d’une possible proclamation unilatérale d’indépendance le 14 décembre 2025 constitue une rupture stratégique, traduisant un déplacement du registre revendicatif vers une logique de sécession.

Analyse juridique : autodétermination et sécession

Sur le plan du droit international, le droit des peuples à disposer d’eux-mêmes est consacré par la Charte des Nations-Unies (article 1, paragraphe 2) et par de nombreuses résolutions de l’Assemblée générale, notamment, la résolution 1514 (XV). Toutefois, la doctrine et la pratique internationales opèrent une distinction fondamentale entre l’autodétermination externe — principalement applicable aux situations coloniales — et l’autodétermination interne, qui privilégie l’autonomie et la participation politique au sein des Etats existants.

En dehors de contextes exceptionnels caractérisés par une oppression grave et systématique, la sécession unilatérale ne bénéficie pas d’une reconnaissance juridique automatique. Les avis de la Cour internationale de justice, ainsi que, la jurisprudence comparative, soulignent le caractère éminemment politique, plutôt que strictement juridique, des processus de reconnaissance.

Au regard du droit interne, la Constitution algérienne consacre l’indivisibilité du territoire national et prohibe toute action visant à porter atteinte à l’unité de l’Etat. La qualification du MAK comme organisation terroriste inscrit la question kabyle dans un cadre sécuritaire, réduisant fortement les marges de traitement politique et juridique du conflit.

Enjeux géopolitiques et régionaux

La dimension géopolitique d’une éventuelle sécession kabyle dépasse largement le cadre national. Une dynamique de fragmentation territoriale serait perçue par les acteurs régionaux et internationaux comme un facteur de déstabilisation dans un environnement déjà marqué par des conflits asymétriques.

L’analyse comparée des cas récents de sécession — Kosovo, Soudan du Sud, entités post-soviétiques — montre que la reconnaissance internationale dépend moins de la seule invocation du droit que de rapports de force géopolitiques, de soutiens diplomatiques explicites et d’un contrôle effectif du territoire.

Discussion et perspectives

A court terme, l’hypothèse la plus plausible demeure celle d’un geste symbolique, aux effets juridiques limités mais aux conséquences politiques potentiellement significatives. Une poursuite de la logique sécuritaire pourrait accentuer la polarisation et renforcer les argumentaires radicaux, tandis qu’une ouverture politique comporterait des risques symboliques pour le pouvoir central.

Jeunes femmes kabyle portant le drapeau du MAK.

La question kabyle apparaît ainsi comme un révélateur des tensions structurelles entre centralisation étatique, pluralisme identitaire et exigences de stabilité régionale. Elle illustre plus largement les limites des modèles de gestion autoritaire des diversités dans les Etats post-coloniaux.

Conclusion

La revendication d’indépendance de la Kabylie, telle qu’elle est formulée par le MAK, se heurte à des obstacles juridiques et géopolitiques considérables. Toutefois, sa simple existence souligne l’urgence d’une réflexion renouvelée sur les mécanismes de médiation politique, de gouvernance territoriale et de reconnaissance des identités au sein de l’Etat algérien. A défaut d’un tel repositionnement, le risque demeure celui d’une conflictualité latente, aux implications nationales et régionales durables.

Par Dr. Lahcen Benchama

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