Le 4 août 2025 restera une date marquante dans l’histoire récente du Burkina Faso. Ce jour-là, le mythique stade du 4 Août a rouvert ses portes après plusieurs mois de rénovation, dans une ambiance à la fois festive et solennelle. Pour marquer cet événement national, les autorités burkinabè ont organisé une rencontre amicale opposant des militaires burkinabè à une sélection d’anciennes légendes du football africain.
Le match en lui-même n’était qu’un prétexte — une occasion pour rassembler, fédérer et, peut-être, panser quelques blessures sociales et politiques. Mais, derrière les sourires et les accolades sur la pelouse, une ombre planait sur la pelouse rénovée, celle de plusieurs grandes figures du football ivoirien, dont Didier Drogba.
Une brochette de légendes… incomplète
La sélection africaine présente ce jour-là faisait rêver. Les supporters burkinabè ont eu le privilège de voir évoluer sur leur sol des figures emblématiques du football continental : les Camerounais, Samuel Eto’o Fils, multiple Ballon d’Or africain, Rigobert Song, ancien capitaine emblématique des Lions Indomptables, son neveu, Alexandre Song, le capitaine des Lions indomptables vainqueurs de la CAN Gabon 2017, Benjamin Moukandjo, Stéphane Mbia, mais aussi, Alain Traoré et Charles Kaboré, enfants du pays sans oublier le Malien, Seydou Keita, les Sénégalais, Mamadou Niang et El Hadji Diouf, le Togolais, Emmanuel Adebayor, les Nigérians, Jay-Jay Okocha et Taye Taiwo. Une génération dorée, témoin des grandes heures du football africain des années 2000 à 2015.
Mais un groupe manquait cruellement à l’appel, celui des anciens internationaux ivoiriens. Didier Drogba, Yaya Touré, Kolo Touré, Emmanuel Eboué, Salomon Kalou, Didier Zokora… Aucun n’a fait le déplacement. Une absence qui a rapidement fait couler beaucoup d’encre.
Un boycott sous influence ?
A Ouagadougou comme ailleurs, une question s’est vite imposée : pourquoi aucun des anciens joueurs ivoiriens invités n’a-t-il répondu à l’appel ? Les informations les plus concordantes pointent du doigt les autorités ivoiriennes, qui auraient expressément empêché ces footballeurs de participer à l’événement. Ce ne serait pas la première fois que la politique s’immisce dans des activités supposément apolitiques. Mais ce geste, s’il est avéré, a tout d’un signal fort : le pouvoir d’Abidjan aurait-il volontairement saboté un moment d’unité panafricaine au nom de dissensions politiques ?
Le président burkinabè, Ibrahim Traoré, très populaire dans une large partie de la jeunesse africaine pour ses prises de position souverainistes et panafricanistes, ne fait pas l’unanimité chez ses pairs. A Abidjan, son discours frondeur, ses critiques à peine voilées du néocolonialisme et ses alliances régionales déplaisent. Dans ce contexte, refuser à des figures sportives emblématiques de se rendre dans la capitale burkinabè pourrait être interprété comme une tentative de minimiser la portée symbolique de cet événement.
Sport et politique : L’éternel débat
Le lien entre sport et politique n’est pas nouveau. Du boycott des Jeux Olympiques de Moscou en 1980 par les Etats-Unis, à celui des Jeux de Los Angeles par les pays du Bloc soviétique en 1984, l’histoire du sport mondial est jalonnée d’épisodes où les considérations diplomatiques et géopolitiques ont influencé, voire, dicté, les comportements des athlètes et des fédérations.
Mais, lorsqu’il s’agit d’anciens joueurs, désormais, retirés des terrains, l’attente est différente. On imagine — à tort ou à raison — que leur statut d’anciens professionnels leur permet de se situer au-dessus des tensions politiques, de représenter une forme d’universalité que le sport incarne dans ses idéaux les plus purs.
En théorie, donc, un joueur comme Didier Drogba devrait pouvoir assister librement à un match de gala au Burkina Faso, retrouver d’anciens coéquipiers ou adversaires, saluer des fans africains qui l’admirent depuis des décennies. En pratique, la réalité semble bien plus complexe.

Où est passé le libre arbitre des joueurs ?
Peut-on considérer que ces anciens joueurs ont été contraints ? Et, s’ils avaient simplement décidé, par prudence ou loyauté, de ne pas participer ? La question du libre arbitre des footballeurs dans ce genre de situation mérite d’être posée. Sont-ils encore des ambassadeurs du sport ou deviennent-ils, malgré eux, des instruments diplomatiques ?
Le cas ivoirien est particulièrement délicat. Alors que le président actuel d’Abidjan multiplie les gestes controversés — élimination d’opposants politiques majeurs, modification répétée de la Constitution —, il semblerait que cette autorité s’étende désormais à la gestion de l’image des anciens ambassadeurs sportifs du pays. Si tel est le cas, cela représenterait une dérive inquiétante : la mainmise politique sur des personnalités qui devraient pouvoir agir selon leurs convictions et leur conscience.
Didier Drogba, Yaya Touré ou Kolo Touré ont, par le passé, incarné l’unité, le dépassement, l’espoir. Leur silence et leur absence lors d’un événement à forte valeur symbolique, dans un pays frère, interrogent.
Une fracture persistante entre Ouagadougou et Abidjan ?
Derrière l’événement sportif, c’est bien une fracture politique et diplomatique qui se profile. Les relations entre le Burkina Faso et la Côte d’Ivoire se sont détériorées ces derniers mois. En toile de fond, des désaccords profonds sur les questions de gouvernance, de souveraineté et de coopération sécuritaire.
Certes, la rivalité entre pays voisins n’est pas une nouveauté en Afrique de l’Ouest. Mais, le climat actuel est particulièrement tendu. Le boycott implicite du match de gala par les anciennes stars ivoiriennes n’est peut-être qu’un symptôme de cette crise latente.
Cela dit, ne pourrait-on pas espérer que le sport serve justement à désamorcer ces tensions ? N’est-ce pas là sa fonction première : rassembler, créer du lien, dépasser les clivages ?

La vraie leçon du 4 août
Malgré cette absence regrettée, la fête a eu lieu. Les tribunes du Stade du 4 Août étaient pleines, les chants ont résonné, les drapeaux ont flotté. Les Burkinabè ont célébré leur armée, leur jeunesse, leurs héros sportifs, et ont envoyé un message clair : le peuple est debout.
Si la politique a voulu s’immiscer dans ce moment de communion, elle n’a pas réussi à en gâcher l’essence. Et c’est peut-être là le plus grand enseignement de cette journée : Le sport, lorsqu’il est sincère et populaire, peut encore triompher des manipulations et des divisions.
Jean-Claude DJEREKE
Est professeur de littérature à l’Université de Temple (Etats-Unis).