CONGO-BRAZZAVILLE : Sassou-Nguesso dit OUI au dialogue à condition de rester président de la République

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Le président, Denis Sassou-Nguesso, est l’un des dirigeants des années 80 à conserver, encore, aujourd’hui, le pouvoir. Pourtant, on a tendance à oublier que la Conférence nationale souveraine de 1991 lui fut fatale en ce sens qu’il perdit la substance de son pouvoir au profit d’un premier ministre de transition : au terme d’une élection présidentielle dont il ne contrôlait plus le processus, celui-ci étant géré de bout en bout par le gouvernement de transition dirigé par André Milongo, il fut éliminé, sans gloire, dès le premier tour. Comme quoi, son impopularité n’est pas une affaire récente : de tous temps, selon les estimations de plusieurs instituts de sondage, il ne peut compter sur plus de 20% de la population, qui acceptent de porter leurs suffrages sur sa modeste personne. Il est, donc, en place contre la volonté du peuple.

En 1992, après la victoire à l’élection présidentielle du professeur, Pascal Lissouba, Denis Sassou-Nguesso devint sans emploi fixe, partageant son ennui entre Paris, à l’avenue Rapp, où il dispose d’un somptueux appartement, Libreville, chez sa fille, Dr Edith Lucie Ondimba, à l’époque, première dame du Gabon, et quelques destinations amies comme Ouagadougou où le président du Burkina Faso, Blaise Compaoré, l’accueillait de temps en temps : pour s’y rendre, il prenait la première classe de la multinationale, Air Afrique, qui a rendu l’âme, à la fin des années 90 à cause de sa mauvaise gestion. Mais, quelle souffrance de voir que d’autres chefs d’Etat qui avaient organisé, comme lui, une Conférence nationale s’en étaient mieux sortis de cette difficile épreuve. Lui non ! C’est ainsi que Sassou rumina son frein jusqu’à son retour au pouvoir, par les armes, au prix de la destruction des quartiers Sud de Brazzaville et la mort de plusieurs milliers de Congolais. Les populations Kongo du Pool, région qui comprend la ville de Brazzaville, l’ont, fortement, accusé, tantôt, de massacres, tantôt, de tueries massives, certains allant même jusqu’à parler de génocide. Cela dit, le temps aidant, beaucoup d’eau a coulé sous les ponts, mais, la paix dont on parle dans les discours est loin d’avoir gagné tous les cœurs. Pour preuve, il s’en trouve beaucoup au sein de la diaspora congolaise en France, qui rêvent de traduire le dictateur devant la CPI (Cour pénale internationale). Rêve ou réalité ? Toujours est-il que le président du Congo-Brazzaville traîne des dossiers compromettants, dans les tribunaux français, mais aussi, à la Commission des Nations-Unies pour les droits de l’homme à Genève où une plainte contre lui déposée entre autres par Me Maurice Massengo-Tiassé a été enregistrée en septembre 2016. Le dictateur fait, aussi, l’objet d’une plainte contre le génocide des Lari, auprès des tribunaux français, déposée par Me Dominique Kounkou. Même s’il est couvert par l’immunité de la fonction, Sassou doit, absolument, faire attention car nul ne sait de quoi demain sera fait.

La Conférence nationale souveraine lui a, certes, servi de leçon, mais, pas tout à fait. La preuve, il se retrouve, en ce début 2019, dans une bien piètre position qu’en 1990-1991. La situation politique nationale actuelle est, totalement, bloquée tandis que l’élection présidentielle de 2021 à laquelle il a, d’ores et déjà, annoncé sa candidature (auprès de son premier cercle familial) pointant à l’horizon, il lui faut, à tout prix, sauver les apparences. Voilà pourquoi il relance l’idée d’un dialogue politique. Objectif : passer cette future échéance sans trop de dégâts. Après avoir commis énormément d’impairs, durant son long règne, dans le domaine des droits de l’homme, Sassou version 2019 se voudrait, plutôt, un démocrate reconverti, qui marche tête baissée, avec un gros chapeau pour ne pas être reconnu de loin, par ses nombreuses victimes. Autrement dit, le dialogue politique, Oui (pourquoi pas ?), à condition qu’il le contrôle, totalement, de bout en bout. Il pourrait, grâce à sa magnanimité (légendaire) faire, avant, pendant ou après, celui-ci, des gestes de décrispation comme la libération de quelques prisonniers (politiques entre autres), ou octroyer des avantages matériels à l’opposition. N’oublions pas que l’opposition, parfois, crie sur les toits parce que le dictateur 5 étoiles l’a laissé affamée. Ou, plus précisément, il ne donne à manger (généralement de grosses miettes) qu’aux opposants qui savent « s’opposer » à Sassou, c’est-à-dire, qui maîtrisent l’art d’aboyer sans mordre, comme les gros chiens de Makélékélé ou de Bacongo, deux quartiers Sud de Brazzaville que le dictateur a réussi, totalement, à dompter. La seule condition qu’il pose, donc, avant de tenir le dialogue, c’est de ne plus vivre l’épisode de 1991 où il perdit le pouvoir à la fin de la Conférence nationale. En d’autres termes, le futur dialogue politique dont on ne connaît pas encore la terminologie exacte, se ferait, juste, pour décrisper l’atmosphère politique du pays, et non pour dépouiller le général, Denis Sassou-Nguesso, de ses prérogatives constitutionnelles, précisément, celles de sa nouvelle constitution de 2016 qui fait de lui le dieu vivant sur la terre du Congo-Brazzaville. C’est pourquoi les Nations-Unies ont été sollicitées. Quant à la France, Sassou n’y compte que des amis, depuis l’Elysée où le jeune président, Emmanuel Macron, se permet de l’envoyer en mission. C’était le cas en RDC avant l’entêtement de Joseph Kabila de faire proclamer la victoire de son nouveau poulain, Félix Tshisekedi. Finalement, cette mission sous couvert de l’Union africaine à laquelle devait, aussi, participer son président en exercice, le Rwandais, Paul Kagame, initiée, discrètement, par la France, a bien montré que le courant passait cinq sur cinq entre Paris et Brazzaville, le ministre des Affaires étrangères, Jean-Yves Le Drian, ayant, de tout temps, été l’inconditionnel du dictateur. A Washington, Barack Obama parti, Donald Trump, depuis son arrivée à la Maison Blanche, affectionne les présidents forts, qui tiennent leur pays d’une main de fer, ce qui lui permet de conserver son énergie militaire à combattre le djihadisme, mais aussi, les ennemis éternels comme la Corée du Nord, l’Iran, la Syrie, pour ne citer que ces centres d’intérêt de la diplomatie américaine. Il faut, donc, reconnaître que le dictateur 5 étoiles roule, en ce moment, sur du velours. Qui l’eût cru, il y a, seulement, deux ans quand Trump l’avait envoyé promener, refusant de le recevoir en Floride ? L’opposition (ou ce qu’il en reste) a du mal à exister. Sassou contrôle tout. De bout en bout. Comme il aime.

Le séjour à Brazzaville, mi-février, de François Lounceny Fall, représentant spécial du secrétaire général des Nations-Unies pour l’Afrique centrale, a permis de mettre sur les rails la tenue de ce dialogue, qui devrait réunir les forces vives de la nation, pour parler de l’avenir du pays.

Durant son séjour à Brazzaville, François Lounceny Fall a rencontré les principaux acteurs politiques du pays (opposition, centre, majorité) tout comme le secrétaire permanent du Conseil national du dialogue, Me Martin Mbéri, qui devrait être la cheville ouvrière de ce dialogue. C’est ce genre de boulot qu’il affectionne car l’expérience politique, il en a à revendre.

A l’issue de son entretien avec Me Martin Mbéri, pour comprendre le rôle et le fonctionnement du Conseil national du dialogue, François Lounceny Fall lui a promis le soutien des Nations-Unies. « En tant qu’organe permanent du dialogue, nous pensons que le Congo est sur la bonne voie et qu’il est important que les Nations-Unies apportent un soutien conséquent à cet organe consultatif, parce que le dialogue est l’unique voie de recours dans les pays en voie de développement démocratique», a confié le diplomate onusien.

Ce faisant, il a lancé un appel aux dirigeants politiques de tous les bords d’accepter de travailler avec le Conseil national du dialogue, « parce que, c’est le cadre permanent mis en place pour permettre aux acteurs politiques de discuter de manière consensuelle ». On peut, donc, dire que le bureau de Me Mberi est, largement, ouvert à l’opposition.

Avant cela, François Lounceny Fall, a rencontré les acteurs politiques de l’opposition et de la majorité. Mercredi, 13 février, précisément, il s’est entretenu avec Pierre Ngolo, le président du sénat et président par intérim de la Majorité présidentielle et secrétaire général du PCT.

Il s’est, aussi, entretenu avec Pascal Tsaty-Mabiala, député et chef de l’opposition politique congolaise. Leur entretien a porté, essentiellement, sur les questions d’intérêt national, entre autres, la gouvernance électorale (la CENI, le fichier électoral, etc), la situation du Pool, la crise économique et financière, l’accord avec le FMI (qui ne vient toujours pas) et le dialogue national, indique le communiqué publié par l’UPADS, le 14 février.

Réclamé par les différentes tendances de l’opposition, institutionnalisé par la nouvelle constitution à travers une institution permanente, le dialogue est un sujet qui divise la classe politique congolaise.

Le dernier dialogue qui s’est tenu à Sibiti (Commune et chef-lieu du département de la Lékoumou), en juillet 2015, avait pris comme décision le changement de la constitution. Rejetant cette décision, l’opposition avait tenu, aussi, son propre dialogue, à Diata (Brazzaville), du 26 au 29 juillet 2015 ; un dialogue alternatif à l’issue duquel l’opposition avait adopté un mémorandum appelant le président Sassou-Nguesso à ne pas changer la constitution.

Pour départager les deux tendances, un référendum constitutionnel avait été organisé, mais, boycotté par l’opposition. Les hostilités armées qui ont embrasé le département du Pool, à partir du mois d’avril 2016, la crise post-électorale qui a suivi le scrutin présidentiel anticipé du 20 mars 2016, etc, trouvent leur origine dans la crise politique qui a entouré l’entrée dans la Nouvelle République, par le manque de consensus : le dialogue de Sibiti boycotté par les principaux partis de l’opposition ; le dialogue de Diata jugé illégal par le pouvoir ; la tenue de la présidentielle sous un embargo des communications de plusieurs jours ; les résultats nocturnes de la présidentielle contestée par l’opposition.

Après le règlement de la crise du Pool, la perspective du prochain scrutin présidentiel prévu, au plus tard, en mars 2021, rend nécessaire la tenue d’un dialogue national, pour décrisper le climat politique national envenimé par trop de situations conflictuelles.

Raison pour laquelle les Nations-Unies apportent leur soutien à cette démarche, afin que le Congo-Brazzaville s’arrime à l’ère de la démocratie « apaisée », comme, déjà, d’autres pays africains (Le 10 juin 1991 cérémonie de lavement des mains symbole de la réconciliation nationale).

Correspondance particulière
depuis Brazzaville.
(article à lire dans le numéro 474 d’Afrique Education actuellement chez les marchands de journaux).

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