CONGO-BRAZZAVILLE : Guerre-dictature-et-illégitimité-du-pouvoir de « l’homme de paix » (Sassou-Nguesso)

Date

La commémoration des victimes de la guerre civile du 05 juin 1997 qui a ramené Sassou-Nguesso aux affaires, il y a vingt-six ans, se présente à l’opinion publique congolaise comme une occasion de condamner ce régime à travers une réflexion sur le lien étroit entre dictature et illégitimité du pouvoir. Aussi, nonobstant la multiplicité de tentatives de se faire plébisciter par un peuple qui le désavoue quasi-instinctivement du fait de ses exactions illimitées, le pouvoir de Denis  Sassou-Nguesso, président autoproclamé de la République du Congo, demeure critiquement illégitime sur toutes ses facettes.

Cette affirmation, loin d’être gratuite, est vérifiable à tous les moments clefs de la présidence imposée du despote patenté. La présente analyse tendant à cette démonstration, sans vouloir exclure ni justifier les abominations du premier règne de Sassou-Nguesso (1979-1992) assuré dans le contexte particulier de la Guerre-Froide, va plutôt se limiter à sa seconde phase (depuis 1997), celle de l’ère Post-Mur de Berlin pour confronter pertinemment sa gouvernance à l’éthique démocratique (sur notre photo, « l’homme de paix » assis sur les 40.000 Congolais qu’il a assassinés, chiffre non fantaisiste avancé par les spécialistes des droits de l’homme du Congo-Brazzaville dont Me Massengo-Tiassé, ancien vice-président de la Commission nationale (congolaise) des droits de l’homme, et auteur de l’ouvrage intitulé « L’autopsie d’un Etat totalitaire : Crimes d’un génocidaire Denis Sassou Nguesso »).

En réalité, l’illégitimité du règne de Sassou-Nguesso (qui se dit « homme de paix ») a un caractère originel dans la mesure où elle prend sa source dans les conditions mêmes de sa reconquête du pouvoir en 1997. Dès le départ, l’homme déchu en 1992 par les mécanismes de la Conférence nationale souveraine de 1991 n’a pas supporté la frustration de la privation du pouvoir et de la diminution drastique subséquente de son train de vie. Ensuite, les institutions démocratiques établies par la Constitution  de 1992 rétablissant l’état de droit créèrent un nouvel environnement politique dans lequel le personnage n’avait pu s’intégrer en raison de la rigueur des normes en régulant son fonctionnement. Dans l’état de droit, évidemment, la constitutionnalité autant que la légalité de l’action de tous les pouvoirs publics et la compétence dans l’exercice des fonctions étatiques sont des règles fondamentales dont l’observation semblait trop contraignante pour un dictateur invétéré plutôt rodé à l’arbitraire et à l’informel comme méthode de gouvernance. Ainsi, se résolut-il à saper le mandat régulier de son successeur et prédécesseur à la tête de l’Etat, Pascal Lissouba, par un recours à des manœuvres illicites visant à entraver le fonctionnement régulier des institutions démocratiques aux fins de recréer des conditions chaotiques propices à leur renversement manu-militari et au rétablissement d’un ordre dictatorial.

Le dictateur obsédé ne ménagea aucun moyen pour la réalisation de ses desseins rétrogrades. Il recourut, à cet effet, à des procédés machiavéliques ou non éthiques comme l’infiltration de l’appareil d’Etat par de hauts-fonctionnaires véreux constitué en réseau d’espionnage destiné à lui fournir le renseignement nécessaire à la préparation du fossoyage des institutions publiques et des partis d’opposition. Tous les anciens cadres du parti unique, le PCT (Parti congolais du travail), convertis opportunément à la démocratie et devenus opposants fallacieux à leur ancien patron, Sassou-Nguesso, n’ont jamais rompu leur lien d’allégeance à ce dernier. De Martin Mberi à d’autres caciques de l’UPADS (Union panafricaine pour la démocratie sociale), parti alors au pouvoir, en passant par Claudine Munari au cabinet de la présidence de la République, ils ont tous constitué ce réseau de fossoyeurs de la République à la solde de Sassou-Nguesso. Sur le terrain des partis politiques, le général, Bouissa-Matoko, son homme de main, a instrumentalisé la fibre tribale pour manipuler le principal leader de l’opposition de l’époque, Bernard Kolelas, jusqu’à lui faire approuver le perfide projet de création de milice privée des Ninjas. Le RDPS (Rassemblement pour la démocratie et le progrès social), parti de Jean-Pierre Thystère Tchikaya, ancien président de l’Assemblée nationale, n’a pas échappé à cet enfumage stratégique avec la création de sa milice, les Requins. Lui-même, Sassou-Nguesso, de son côté, a créé les « Cobra » tandis que le pouvoir en place a lancé les « Cocoyes » et les « Aubevillois ». 

De ce fait, à travers la militarisation de la société par la création de milices privées et la vulgarisation du crime de guerre comme levier de conquête et d’exercice du pouvoir, le fossoyeur de la démocratie est parvenu à briser le monopole étatique de la violence publique partagé désormais avec des miliciens sans déontologie militaire toujours aptes à dégainer leurs fusils dans l’irrespect total des lois de la guerre. Le chaos installé, Sassou-Nguesso a affaibli l’Etat par le renforcement du pouvoir des particuliers avec la liberté de port d’arme de fait et a ainsi réuni les conditions pour perpétrer son coup d’état tendant au renversement des institutions démocratiques puis, au rétablissement de la dictature en cours aujourd’hui. Le terrain du fossoyage de la démocratie balisé, Sassou-Nguesso procéda à la destitution manu-militari des institutions de l’état de droit de 1992 à l’aide d’une guerre civile engagée le 05 juin 1997 par une coalition de troupes étrangères contre une armée républicaine seule. Pour ce faire, Sassou-Nguesso collabora perfidement avec l’étrangère, Total-Energie, qui l’a instrumentalisé pour destituer le gouvernement de Pascal Lissouba qu’elle voulait châtier pour son exigence de transparence dans l’exploitation des ressources pétrolières. Ainsi, Total-Energie a financé toute la logistique de la guerre avec l’aval et l’implication directe de la France de Jacques Chirac l’aidant à monter la coalition d’armées étrangères composées de légionnaires français, de troupes marocaines, tchadiennes, rwandaises, centrafricaines, et surtout, de divisions angolaises, qui ont violé la souveraineté de l’Etat en attaquant illégitimement son armée sur son propre territoire.

Dans la même logique de violence, Sassou-Nguesso entérina l’illégitimité de son pouvoir au niveau de son exercice. La guerre enclenchée le 05 juin 1997 à cet effet ne s’est pas arrêtée avec la défaite des Forces armées congolaises qui permît l’entrée ostentatoire du tyran victorieux dans Brazzaville en octobre suivant. Elle a continué tout au long de son règne avec une intensité variable suivant les moments pour ainsi consacrer la violence comme moyen d’exercice du pouvoir. Circonscrite désormais dans le département du Pool sous prétexte de lutte contre une guérilla délibérément créée et entretenue par lui-même, la violence fut érigée en levier privilégié de gouvernance à des fins d’asservissement des populations. Le génocide  du Pool avec son train d’atrocités (boucherie humaine, viol de femmes et pillage des populations) était désormais agité comme un spectre d’intimidation des citoyens pour les contraindre à la soumission à l’autorité tyrannique.

Toutefois, la contrainte ne s’avère  pas être l’unique condition pour asseoir l’autorité de l’omnipotent car Sassou-Nguesso, comme tout dictateur, tâche toujours de  légitimer son pouvoir par des moyens de droit. Il a ainsi procédé à plusieurs changements de constitution pour tenter de donner une forme juridique acceptable à son pouvoir. Ainsi, après le sabotage de la démocratie, il établit au Congo un Etat sauvage, sans institutions, gouverné dans les strictes règles de la barbarie. Cinq ans durant, le Congo demeura un Etat de non-droit dirigé par un hors-la-loi. L’arbitraire et l’informel étaient les normes de gouvernance par excellence dans cet Etat voyou. Ostracisé par le concert des nations, Sassou-Nguesso qui s’accommodait indifféremment de cette situation dut toutefois se plier au diktat de  ses maîtres françafricains de doter son pays d’institutions formelles pour répondre aux conditions d’octroi d’aide au développement de la finance internationale. Il adopta alors sans consultation populaire la Constitution de 2002 prescrivant essentiellement la limitation de la fonction présidentielle à un mandat de sept ans renouvelable une fois et à soixante-dix l’âge pour l’éligibilité des candidats. Avec une constitution dénuée d’approbation populaire, il donna un habillage formel à son régime sans toutefois renoncer à l’arbitraire comme principe de gouvernance. Quatorze ans plus tard, à l’approche de l’échéance de 2016, alors qu’il n’avait pas encore assouvi son appétit du pouvoir, il se retrouva pris dans le piège de sa propre constitution qui le frappait d’inéligibilité du fait de la limite d’âge et de l’épuisement des mandats autorisés. Obstiné à s’éterniser au pouvoir, le despote proposa une révision constitutionnelle visant à lui rétablir l’éligibilité sur de nouveaux fondements juridiques. La proposition fut promptement rejetée par le peuple à travers des voix  de quelques figures d’opposition dont Parfait Kolelas,  Clément Mierassa et Paulin Makaya étaient les ténors. 

L’opposition au changement de la Constitution était vive. Le peuple révolté était sur le point de destituer Sassou-Nguesso lorsque la France lui apporta un soutien revigorant en l’autorisant à consulter son peuple par un tour de volte-face doctrinale de son président, François Hollande, pourtant précédemment opposé à toute prétention au troisième mandat pour les présidents africains. Le despote repêché, fort du soutien retrouvé de ses alliés françafricains défia le peuple par l’organisation d’un référendum pour la révision de la Constitution de 2002. Le peuple manifesta sa colère par un boycott massif du référendum qui ne connut qu’un taux de participation dérisoire d’à peine 4%. S’appuyant sur le résultat positif des suffrages exprimés, Sassou-Nguesso fit rédiger par un juriste véreux une constitution singulière prescrivant l’impunité des crimes commis par les politiques dans l’exercice de leurs fonctions. Sur le fondement de la Constitution subséquente de décembre 2015, Sassou-Nguesso organisa un scrutin présidentiel qu’il perdit platement devant ses principaux adversaires, le général Jean-Marie Mokoko et Parfait Kolelas. Crédité de seulement 8% de voix, il s’arrogea impudiquement les suffrages gagnants de Mokoko et Kolelas. Il inventa une simulation de rébellion dans les quartiers Sud de Brazzaville au petit matin du 04 avril 2016 par de prétendus miliciens du pseudo-rebelle, Ntumi, pour créer un climat d’insécurité pour traumatiser la population, déployer un dispositif de sécurité sur la capitale et proclamer subtilement les résultats du scrutin à minuit. Les Brazzavillois surpris des résultats manifestement truqués le lendemain matin, ne pouvaient les contester activement par une descente dans des rues quadrillées par des militaires. 

Pour garantir son règne, il jeta subséquemment en prison le général, Mokoko, qui contesta sa victoire usurpée tandis qu’il laissa en liberté surveillée Parfait Kolelas qui s’abstint d’appeler au soulèvement de ses militants pour éviter un bain de sang. Par ailleurs, le despote relança la guerre civile dans le Pool pour prévenir toute contestation populaire de son pouvoir durant son mandat controversé par les ressortissants dudit département. Il passa tout son mandat dans un climat de guerre civile programmée par ses laboratoires secrets comme moment de continuation de « l’Opération Mouebara », un génocide visant l’extermination de la communauté Lari peuplant ledit département. 

A l’expiration de ce mandat, le gouvernement Sassou-Nguesso organisa des élections précipitées dont les conditions non réunies furent   dénoncées par l’épiscopat catholique en guise d’alerte de l’opinion publique sur l’inopportunité du scrutin. Il s’attela à rallier l’opinion publique à son agenda politique par l’organisation d’un dialogue national à Madingou rejeté par une frange de l’opposition, l’Appel pour le rassemblement des démocrates (ARD) regroupant les partis PSDC (Parti social-démocrate congolais) de Clément Mierassa et l’UPC (Unis pour le Congo) de Paulin Makaya.  L’opposition fut toutefois fracturée par l’attitude de Parfait Kolelas, président de L’UDH-Yuki (Union des démocrates et humanistes – Yuki), qui opta pour la participation aux élections. Toutefois, par solidarité avec les prisonniers d’opinion, André Okombi-Salissa et le général, Jean-Marie Mokoko, gardés sous les verrous et par conformité à une certaine éthique politique, l’ARD demanda le boycott des élections afin de ne pas « continuer d’assister les autres pour ne pas faire la bamboula », selon les termes mêmes de Paulin Makaya.

Ces élections forcément tenues se terminèrent étrangement par un drame fatal : l’assassinat par empoisonnement du candidat Parfait Kolelas décédé au matin du scrutin. Le crime politique non élucidé, à ce jour, est imputé par l’opinion à Sassou-Nguesso dont un membre collaborateur influent, Firmin Ayessa, alors son directeur de cabinet, avait proféré des menaces de mort en public pendant la campagne électorale. Nonobstant le décès d’un candidat en lice, Sassou-Nguesso, non seulement, n’annula point le scrutin au mépris d’une prescription de sa propre constitution, mais, s’arrogea la victoire du candidat décédé et s’autoproclama bassement président de la République. La mort de son adversaire dans la conscience et les mains entachées de son sang, il prêta serment avec effronterie devant un parterre d’homologues dictateurs du continent tenant un discours d’investiture teinté d’ironie en rendant un hommage hypocrite au  » candidat Guy Brice Parfait Kolelas emporté dans la toute dernière ligne droite par cet ennemi invisible contre lequel se bat, en ce moment même, l’ensemble de l’humanité « . A quel ensemble de l’humanité et à quel esprit invisible faisait-il allusion ? Telle assertion frisant la divagation ou une transposition dans une dimension ésotérique est éthiquement inappropriée à un discours d’investiture. Il est évidemment difficile de gagner en légitimité avec tel discours déviant.

Au vu de cette démonstration illustrée de cas concrets, force est de déduire que le pouvoir de Sassou-Nguesso (qui se fait appeler « homme de paix ») est viscéralement illégitime. Il ne vérifie aucune des cinq acceptions du vocable « légitime » énoncées par les dictionnaires du français, mêmes spécialisés dans la terminologie du Droit à l’instar du « Vocabulaire juridique » du doyen, Gérard Cornu. Ainsi, au regard de ce dictionnaire qui fait autorité dans le monde juridique, son pouvoir ne s’avère pas légitime car il n’est, d’une part, ni « fondé en droit », ni « accordé ou réservé par la loi ». D’autre part, il n’est ni « digne d’être pris en considération, non seulement comme conforme aux exigences de la légalité ou aux règles de droit, mais fondé sur des données (besoins, aspirations) tenues pour normales relativement à un certain état moral et social », ni « conforme à la justice, à l’équité » et encore moins « justifié par les circonstances ». Bien au contraire, son règne, moins qu’une présidence,  se situe aux antipodes mêmes de la légitimité et donc, de la démocratie considérée dans ses différentes phases de conquête, d’exercice et d’alternance du pouvoir. Oui, le pouvoir de ce tyran patenté s’assimile à un règne de monarchie non-constitutionnelle  qui ne s’accommode donc point d’une présidence de République évoquant logiquement un pouvoir démocratique, autrement dit, exercé dans l’intérêt du peuple par des représentants régulièrement mandatés. Ce pouvoir tyrannique, pour n’avoir jamais épousé les canons de la démocratie, souffre d’un déficit chronique de légitimité qui dénie conséquemment à son détenteur le droit de porter le titre de président de la République au sens propre du terme.

Mélinée T. MAVOUNIA

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