Certaines personnes pensent que le rôle des prêtres et évêques se limite à appeler à la paix politique et sociale. Ce n’est pas mon avis car le psaume 84, pour ne citer que cet exemple, nous apprend que c’est la justice, mais également, la vérité qui conduisent à une paix durable dans un pays. C’est sur la base de ce principe que des prophètes comme Amos, Nathan, Osée, Ezéchiel (Ancien Testament), Jean-Baptiste et Jésus (Nouveau Testament), prenaient la parole pour fustiger tout ce qui blesse ou bafoue la dignité humaine. Car le prophète ne sait pas tourner autour du pot ; de sa bouche ne sortent que des paroles de feu ; il dévoile les choses qui sont cachées ou qu’on veut dissimuler (c’est le sens du mot latin profiteor).
Toujours prompt à défendre la cause des faibles et des défavorisés, le prophète ne mâche pas ses mots, ni ne craint de tancer les puissants, qui exploitent et piétinent le pauvre. C’est pourquoi il est haï, insulté, voire, combattu, y compris, dans sa propre maison, comme Jérémie contre qui prêtres et faux prophètes s’étaient ligués parce qu’il avait dit aux habitants de Jérusalem que Yahvé, à cause de leur mauvaise conduite, détruirait leur temple comme il détruisit celui de Silo et qu’il ferait de cette ville un objet de malédiction pour toutes les nations de la terre (Jérémie 26, 6).
En Afrique francophone, les seuls évêques qui incarnent ce prophétisme lucide et critique, aujourd’hui, sont ceux de la République démocratique du Congo. Comme Mgr Eugène Kabanga (Lubumbashi), le cardinal, Joseph Malula (Kinshasa), ou Mgr Christophe Munzihirwa (Bukavu) hier, les prélats congolais ont été aux côtés de leur peuple, ces dernières années. La barbarie et la violence du régime Kabila ne les ont pas épargnés. Mais, ce qui fascine le plus chez eux, c’est leur capacité à critiquer, à la fois, les marionnettes (Joseph Kabila et sa clique) et les marionnettistes (la Belgique et l’Union européenne). Bernard Yago et Paul Dacoury-Tabley étaient, incontestablement, des prophètes dans les années 1980 et 1990. Tout en respectant l’Etat, ils ne courbèrent, jamais, l’échine devant le régime Houphouët ; jamais, on ne les vit abandonner opprimés et exploités à leur triste sort. Eux parlaient vraiment pour le peuple parce qu’ils étaient avec le peuple. Parce que son franc-parler dérangeait, le second fut muté d’Abidjan à Grand-Bassam, le 19 décembre 1994. Mgr Bernard Agré était, aussi, un prophète à sa manière, quand il appelait, inlassablement, les Ivoiriens à s’unir pour mieux faire face à ceux qui convoitaient les richesses de leur pays ou quand il prenait la défense du Conseil constitutionnel, seule institution habilitée, par notre loi fondamentale, à proclamer les résultats définitifs de l’élection présidentielle (sur notre photo le cardinal Bernard Agré décédé à Paris en juin 2014). Le jeune Marcellin Kouadio Yao a essayé de suivre leurs traces en interpellant vivement Bédié et Ouattara, le samedi 6 décembre 2013, à la Basilique Notre Dame de la Paix. Le régime et les autres évêques, qu’un bon nombre de fidèles laïcs jugent peureux et corrompus, ont-ils demandé et obtenu que le Vatican, (complice de la France et de Dramane Ouattara ?), le transfère de Yamoussoukro à Daloa en avril 2018 ? Rien n’est moins sûr.
Ce qui est certain, c’est que quiconque prétend parler et agir au nom de Dieu dont le fils fut mis à mort parce que les vérités qu’il assenait dérangeaient l’establishment politico-religieux, n’a pas d’autre choix que de dénoncer le mal (dictature, injustice, pillage des ressources naturelles, détournement des deniers publics, etc.). Nos évêques, plutôt que de répéter des lieux communs comme « les armes circulent encore » ou « évitez-nous une autre guerre », devraient parler des souffrances du peuple et parler sans langue de bois à ceux qui les affament, les appauvrissent et les oppriment (Ouattara et le gouvernement français). Car, quand le vent tournera (et il finira par tourner puisque tout, ici-bas, passe), si nos prélats persistent à jouer les équilibristes en logeant l’opposition à la même enseigne que le régime Ouattara alors que cette opposition n’est responsable ou coupable de rien entre avril 2011 et juin 2019, le peuple pourrait leur demander des comptes comme celui de France demanda jadis des comptes aux évêques pétainistes, qui par leur silence, avaient été les collabos de l’Allemagne nazie.
Jean-Claude DJEREKE
est professeur de littérature à l’Université de Temple (Etats-Unis)