COTE D’IVOIRE : LES ACCORDS DE MARCOUSSIS : ECHEC GARANTI

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Les accords de Marcoussis ont été ficelés de telle sorte qu’on ne voit pas comment ils peuvent permettre aux Ivoiriens de sortir de la crise qui affecte leur pays depuis le 19 septembre 2002.

 » La conférence approuve l’accord signé à Marcoussis par la table ronde, qui consacre la réconciliation nationale et ouvre la voie de retour à la paix en Côte d’Ivoire pour le respect de la légalité constitutionnelle « . Tel est le communiqué final lu à l’issue du Sommet des chefs d’Etat tenu à Paris les 25 et 26 janvier 2003. Les signataires de cet accord, à savoir, Pascal Affi N’Guessan (FPI), Gaspard Deli (MJP), Félix Doh (MPIGO), Francis Wodié (PIT), Théodore Mel Eg (UDCY), Innocent Kobena Anaky (MFA), Guillaume Soro (MPCI), Henri Konan Bédié (PDCI-RDA), Alassane Dramane Ouattara (RDR), Paul Akoto Yao (UDPCI), Pierre Mazeaud (Président de la table ronde), avaient déjà, en dix jours de travaux, essayé de trouver des solutions aux problèmes qui ont fait de la Côte d’Ivoire, un pays instable et peu sûr. Il restait que les chefs d’Etat de la CEDEAO et les patrons des grandes organisations internationales viennent y marquer leur caution politique avant de mettre en œuvre les dispositions de cet accord. C’est pourquoi autour du Français Jacques Chirac, Thabo Mbeki, président de l’Afrique du Sud et président en exercice de l’Union africaine, Abdoulaye Wade, président du Sénégal et président en exercice de la CEDEAO, Blaise Compaoré, président du Burkina Faso, Charles Taylor, président du Libéria, Amadou Toumani Touré, président du Mali, John Kufuor, président du Ghana, El Hadj Omar Bongo, président du Gabon et représentant de la CEMAC et Paul Biya, président du Cameroun, pays membre du Conseil de sécurité, se sont réunis à Paris à cet effet. Au titre des organisations internationales, on a noté la présence de Koffi Annan, secrétaire général des Nations-Unies, d’Abdou Diouf, secrétaire général de l’Organisation internationale de la Francophonie, de Mario Prodi, président de la Commission européenne, et des représentants du Fonds monétaire international, de la Banque mondiale et du G8 qui est l’instance qui réunit les sept pays les plus industrialisés du monde plus la Russie.

Au moment où nous mettons sous presse, le gouvernement d’  » union nationale  » ou de  » réconciliation nationale  » que doit diriger Seydou Elimane Diarra, n’est pas encore constitué. On espère qu’il sera rendu public rapidement et, surtout, qu’il aura la capacité de mettre en œuvre les dispositions des accords dont le contenu est divers et varié : nationalité, identité, condition des étrangers, éligibilité à la présidence de la République, régime foncier, droits et libertés de la personne humaine, regroupement, désarmement et démobilisation des insurgés, redressement économique, cohésion sociale sans oublier la presse.

Il n’est pas sûr que Laurent Gbagbo dont la légitimité a été sérieusement entamée du fait de la partition du pays en deux, dispose encore d’un crédit moral suffisant, après le Sommet de Paris où l’amputation de ses pouvoirs constitutionnels a été consacrée, pour faire entendre raison à ses partisans. D’autant plus que  » le coup d’état constitutionnel  » dénoncé bien à l’avance par Mamadou Koulibaly, le président de l’Assemblée nationale (ou de ce qui reste de cette institution qui perd certaines de ses prérogatives au profit du futur gouvernement qui pourra légiférer par ordonnance), a suffisamment sensibilisé les partisans de Laurent Gbagbo sur les orientations qu’entendaient prendre les participants à la table ronde de Marcoussis. Dès lors, il fallait logiquement s’attendre à ce que les intérêts et symboles français à Abidjan deviennent la cible de la colère des partisans de Gbagbo : Centre culturel français, Lycée Jean Mermoz, Consulat, Air France, Orange, magasins et domiciles privés, ont dû subir la loi des manifestants, sans qu’on n’ait eu heureusement à déplorer ni mort ni blessé.

C’est clair, les accords obtenus au forceps à Marcoussis et paraphés par les chefs d’Etat les 25 et 26 au terme d’un Sommet mouvementé tenu à Paris, ne passent pas au niveau des populations du Sud de la Côte d’Ivoire. On peut donc craindre un divorce de fait entre la base et les autorités ivoiriennes.

Il n’est pas non plus besoin d’être pessimiste pour redouter la façon dont pourrait efficacement fonctionner un gouvernement dit de  » réconciliation  » dans lequel les deux postes clés, à savoir, les ministères de la Défense et de l’Intérieur, sont attribués au mouvement rebelle, le MPCI. Si les Français voulaient ainsi signifier à Laurent Gbagbo leur souhait de le voir quitter la magistrature suprême, ils ont réussi sur toute la ligne. Car on ne voit pas comment il pourrait garder son pouvoir avec de tels ministres alors que l’armée loyaliste qui l’a soutenu jusque-là ne cache pas son hostilité à l’endroit de cette disposition d qui est  » de nature à humilier les forces de défense et de sécurité « . En langage clair, le président du Faso, Blaise Compaoré, l’a invité à démissionner de la présidence de la République, causant un tollé général en Côte d’Ivoire. En lui imposant les rebelles comme ministres d’Etat de la Défense et de l’Intérieur, on se demande si les Français ne lui demandent pas la même chose ?

Si les organisateurs du Sommet de Paris ne voulaient pas aller aussi loin, tout en restant fins dans leur démarche, il n’y aurait certainement pas eu de table ronde ni de Sommet et, très logiquement, la France allait continuer à apporter son soutien au dialogue de la CEDEAO conduite par le Groupe de contact dirigé par le président Gnassingbé Eyadèma. Cela dit, les conséquences d’une telle décision ne semblent pas avoir été appréciées à leur juste valeur. Pour preuve, on n’a pas pris suffisamment de temps et de précautions pour que le résultat final attendu soit de nature à éviter la  » libérialisation  » de la Côte d’Ivoire. Et le risque est grand de voir les Ivoiriens se déchirer encore davantage maintenant que les partisans de Gbagbo savent qu’ils n’ont plus rien à perdre. A moins que Laurent Gbagbo n’accepte de démissionner, ce qui est une autre grande inconnue car personne ne peut mesurer la réaction de ses partisans.

De toutes les façons, la Côte d’Ivoire, malgré les 400 millions d’euros promis par Romano Prodi en cas d’application des accords de Marcoussis, est un pays d’ores et déjà foutu.

On n’a pas besoin d’avoir la sympathie pour les rebelles MPCI, MPIGO ou MJP pour dire qu’ils sont gagnants sur toute la ligne, en témoignent les cris de joie et de liesse à Bouaké, dans les fiefs du Nord et de l’Ouest au soir du 25 janvier alors qu’à Abidjan et dans les localités du Sud encore tenues par les forces loyalistes, c’était la colère et la désolation.

Un signal très fort vient ainsi d’être donné à toutes les rébellions d’Afrique :  » prenez vos armes, attaquez les régimes en place accusés de corruption et d’incompétence, occupez une partie du territoire, et attendez que l’ancienne puissance colonisatrice après un semblant de conférence de réconciliation ou table ronde, vous aide à vous installer dans la capitale dans les postes clés du gouvernement « . Avec cette façon de régler les problèmes, les foyers de tension ne sont pas prêts de s’éteindre en Afrique.

Tout le monde sait que Laurent Gbagbo n’a pas l’étoffe d’un chef d’Etat. Qu’il est cassant, manipulateur et adepte du double langage. Qu’il ne serait certainement plus au pouvoir aujourd’hui si Jacques Chirac n’avait pas instruit, à temps, le déploiement des forces françaises afin qu’elles barrent la route au MPCI qui se dirigeait tout droit sur Abidjan pour l’en déloger. Mais de là à décider à la place du peuple ivoirien, à 5.500 kilomètres du théâtre des opérations, comme si la démocratie ne s’exerçait pas dans ce pays, est une erreur dont les conséquences sont encore à venir.

La sagesse commandait que les autorités françaises soutiennent à fond les négociations menées par le groupe de contact de haut niveau de la CEDEAO. Et si malgré tout, la nécessité d’organiser un Sommet à Paris arrivait à s’imposer, la logique voulait que celui-ci le fût de commun accord avec la CEDEAO. On n’a vraiment pas vu la diplomatie française travailler avec la CEDEAO pour sortir les négociations de Lomé de l’impasse. On a plutôt eu l’impression que la France s’est servie des difficultés de la CEDEAO à gérer ce dossier pour le ravir quitte à humilier les Africains.

 » C’est une honte que les pays africains qui n’ont pas pu s’entendre aient été obligés de se rabattre sur le colonisateur  » pour arracher un accord aux bélligérants ivoiriens, s’est indigné le président gambien, Yahya Jammeh. Et de poursuivre :  » Si nous, Africains, au lieu d’écouter nos responsables, nous préférons écouter les autres, comment pouvons-nous être unis  » ?

A supposer que Laurent Gbagbo arrive à terminer son mandat en octobre 2005, ce qui est loin d’être sûr, la prochaine élection présidentielle risque de faire revenir la Côte d’Ivoire à la case départ. Car il est à peu près certain que son successeur (si la transition actuelle va jusqu’à son terme au point de permettre l’organisation d’une présidentielle) élu démocratiquement pourrait à nouveau être soit lui-même, soit Henri Konan Bédié, président du PDCI-RDA ou Alassane Dramane Ouattara, leader du RDR, dont la candidature devrait être cette fois validée par la Cour suprême. Or, dans de telles conditions, on ne voit pas comment pourrait s’instaurer la paix en Côte d’Ivoire avec un Alassane Ouattara comme président de de la Côte d’Ivoire alors que les Ivoiriens du Sud continuent de le prendre pour un Burkinabè. De même, Henri Konan Bédié, père incontesté de l’ivoirité, n’aurait aucune autorité sur les populations musulmanes du Nord que contrôlent le RDR et le MPCI, tout comme Laurent Gbagbo dont les populations du Nord ont demandé le départ de la présidence de la République. Autrement dit, aucun de ces trois leaders ne peut disposer de la légitimité suffisante pour conduire la Côte d’Ivoire vers la paix et la prospérité. Voilà pourquoi les autorités françaises, si elles avaient été courageuses, auraient tout simplement pu exiger de ces trois leaders politiques qu’ils prennent un engagement solennel devant la Côte d’Ivoire, l’Afrique et la communauté internationale, au nom de l’amour qu’ils disent tous porter pour leur pays, d’accepter de ne pas se présenter à la prochaine élection présidentielle. Cette pilule aurait peut-être été mieux avalée par les Ivoiriens du moment où elle sanctionnait les trois leaders de la même manière.

Il faut espérer vivement que Seydou Elimane Diarra puisse remplir convenablement sa mission. Toutefois, il risque de passer l’essentiel de son temps à arbitrer des querelles entre les membres de son gouvernement dit de  » réconciliation « . Car contrairement à ce qu’on peut croire, les différents ministres issus des partis rivaux ne travailleront pas dans le gouvernement pour s’attaquer véritablement aux maux qui minent leur pays, mais uniquement dans le but de mieux positionner leur parti aux prochaines échéances électorales. Même s’il est encore solide à l’âge de 69 ans, Seydou Elimane Diarra aura besoin des journées de 30 heures pour pouvoir gérer à la fois la cohésion de son gouvernement tout en s’attaquant aux autres questions essentielles pour lesquelles les Ivoiriens veulent des solutions rapides : sécurité, emploi, santé, éducation, retour de la confiance, liberté d’aller, de venir, de s’exprimer et d’entreprendre, sans redouter les fameux escadrons de la mort.

Jean-Paul Tédga

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