Après dix-sept ans de tentative, François Bozizé hérite d’une République centrafricaine qui, en dix années de pouvoir patassiste, connaît un bond de trente ans en arrière. Un travail titanesque en perspective l’attend.
Depuis samedi 15 mars 2003, François Bozizé n’est plus un » soldat de deuxième classe « , grade dans lequel son prédécesseur l’avait confiné en 2002. Désormais, tout le monde lui donne du » Général « , y compris les anciens ministres de Patassé qui ont eu le courage de ne pas traverser le fleuve pour se réfugier à Zongo. Son arrivée au pouvoir sauve du coup plusieurs anciens exilés de la condamnation à mort. D’autres » soldats de deuxième classe » sont aussi réhabilités. C’est par exemple le cas de l’ancien président André Kolingba, actuellement réfugié à Kampala sans doute pour plus longtemps, mais aussi de celui du député et ancien ministre des Mines, Charles Massi, qui ont recouvré respectivement leur grade de général et de commandant d’armée.
François Bozizé a vécu en France pendant une bonne année après un transit de quelques mois à N’Djamena. Opposant à Ange Félix Patassé le plus connu à l’étranger, il était aussi le plus craint par le régime pour avoir dirigé l’armée centrafricaine pendant plusieurs années. Autant donc dire que sa fuite de Bangui a contribué à ravir la vedette à l’opposition civile et même à l’ancien président André Kolingba sur qui étaient jusque-là fixés tous les regards. Le fait qu’on ait voulu faire de lui » l’homme des Tchadiens » ne l’a pas du tout discrédité. Installé en France, il était l’un des rares opposants centrafricains qu’on prenait réellement au sérieux et qui n’éprouvaient pas de grandes difficultés pour rencontrer les chefs d’Etat africains. C’est ainsi qu’il s’est entretenu avec le Libyen Mu’ammar Al Kadhafi à Tripoli, El Hadj Omar Bongo à Libreville, Gnassingbé Eyadèma à Lomé, Idriss Déby à N’Djaména, etc. C’est encore lui qu’on rencontrait à Bruxelles, Genève et dans certains salons feutrés de Paris, en compagnie de certaines » africanistes » de la droite française, quand il cherchait activement des financements pour sa rébellion.
Après l’échec de la tentative du 25 octobre 2002, il a essuyé de sévères critiques au sein de l’opposition en exil où certains le considéraient comme un militaire sans plus. On peut peut-être comprendre la raison pour laquelle il n’avait pas toujours été pris au sérieux par ses amis de l’opposition comme un vrai chef politique. Le voilà aujourd’hui à la fois président de la République et chef suprême des armées centrafricaines. Du coup, il est devenu, par la force des choses, le président de tous les Centrafricains.
Son apprentissage d’homme d’Etat, pour l’heure, se fait sans faute. L’arrivée à ses côtés de l’opposant Abel Goumba est rassurant pour tout le monde y compris pour les patassistes. Unanimement attendue, cette nomination du premier ministre est saluée par l’écrasante majorité des Centrafricains. Elle est même une surprise dans la mesure où circulaient déjà dans certains milieux discrets d’autres noms d’opposants exilés beaucoup plus connus à l’étranger que sur le plan national.
Agé de 75 ans, Abel Goumba est considéré comme un sage dans son pays au point où l’ancien président Ange Félix Patassé l’avait désigné aux côtés de Monseigneur Pomodimo, pour essayer de rapprocher les deux camps politiques afin de rendre le plus consensuel possible le dialogue intercentrafricain sans exclusive. Autant dire qu’il a des qualités de rassembleur dont le pays aura besoin au moment où il doit gérer une équipe gouvernementale dont les objectifs de ses différents ténors sont aux antipodes des uns par rapport aux autres. Avant de former le gouvernement, il a consulté tous les partis politiques y compris le Mouvement pour la libération du peuple centrafricain (MLPC) d’Ange Félix Patassé, les représentants de la société civile, notamment, les femmes et les syndicats. Ces derniers qui avaient mené une forte contestation sociale sous le régime déchu ont rencontré le 24 mars au soir, le général François Bozizé et l’ont assuré de leur soutien. Ils ont, par la suite, appelé à la reprise du travail des fonctionnaires : » Nous attendions cette rencontre avec le général Bozizé pour demander à la base de reprendre le travail « , a déclaré le président de la Coordination des centrales syndicales, Richard Sandoz Oualanga, » car exiger du président à l’heure actuelle (avant de reprendre le travail) de payer aux travailleurs leurs dus serait de la mauvaise foi « , a-t-il ajouté, en référence aux dizaines de mois d’arriérés de salaires accumulés par l’Etat centrafricain envers ses fonctionnaires. La question du versement régulier des salaires a été abordée au cours de cet entretien du lundi 24 mars au soir. Les représentants syndicaux ont déclaré au général » qu’ils approuvent le changement intervenu à la tête de l’Etat et expriment leur soutien à l’œuvre de reconstruction nationale « . Ils ont aussi » souhaité qu’il (Bozizé) puisse veiller à l’amélioration des conditions de vie et de travail des fonctionnaires, notamment, le paiement régulier des salaires « , a conclu Sandoz Oualanga. En réponse à ces doléances, François Bozizé a demandé aux syndicalistes de » l’aider à mettre tout le monde au travail « , en dépit » des difficultés « . » Croiser les bras, c’est aller droit à la mort « , a-t-il expliqué.
Avant les syndicats, l’ONU avait également réagi favorablement à la désignation d’Abel Goumba comme premier ministre par le président François Bozizé. Pour le représentant spécial du secrétaire général des Nations-Unies en Centrafrique, le général sénégalais Lamine Cissé, cette nomination devrait permettre » une transition plus douce, plus efficace « . Même écho au sein de la population qui a surnommé le nouveau chef du gouvernement, » Mains propres « , en référence à son honnêteté reconnue.
Pour afficher son soutien au nouveau pouvoir, la Concertation des partis politiques d’opposition (CPPO) dont Abel Goumba est le président, a organisé vendredi 28 mars une grande marche pacifique.
Pour nommer un premier ministre, il a fallu auparavant dissoudre respectivement le gouvernement de Martin Ziguélé et l’Assemblée nationale présidée par Apollinaire Dondon Konambaye, et suspendre la constitution.
Après avoir réussi ce premier virage, il est demandé aux nouveaux venus de rétablir la sécurité. Les Transall français ont transporté près d’un millier d’étrangers de Bangui à Libreville dont un peu plus de 600 Français. Si le centre commercial est à nouveau animé, le couvre-feu nocturne reste toujours en vigueur et le pouvoir a entrepris une vaste opération de ramassage des armes sur toute l’étendue du territoire. En l’espace de six jours, il avait récupéré 1.300 armes de guerre de tout calibre, ce qui est une infime partie au regard des armes qui circulent réellement dans le pays. La tâche est donc immense.
On comprend pourquoi la CEMAC a accepté le doublement de ses effectifs avec notamment l’arrivée de » 400 » soldats tchadiens qui, selon les observateurs, ont réussi à tranquilliser Bangui et ses environs en l’espace de deux journées.
Cette solution pour François Bozizé ne peut être que temporaire, le président Idriss Déby ne pouvant pas durablement dégarnir son front nord d’où il devrait s’attendre à des attaques venant de certains mouvements encore hostiles à son régime.
François Bozizé a réussi (enfin) à prendre le pouvoir qu’il convoite depuis dix-sept ans. On espère qu’il saura en faire bon usage pour le bonheur de tous ses compatriotes. S’il conduit la réconciliation nationale à bien, il aura réussi à sortir la RCA de la longue liste des pays africains dits instables. Et ce sera une médiation de moins pour le patriarche de la région, Omar Bongo qui s’est dépensé sans compter dans ce dossier, et son homologue, le président en exercice de la CEMAC, le Congolais Denis Sassou Nguesso, qui avait mis la RCA au centre de ses préoccupations diplomatiques. Il leur appartient désormais d’accompagner la normalisation de ce pays qui, en dix ans de pouvoir patassiste, a fait un terrible bond de trente ans en arrière.
Jean-Paul Tédga