COTE D’IVOIRE : Ouattara et le mensonge perpétuel

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 Lors de sa dernière prestation de serment, Alassane Ouattara s’est engagé – une fois encore – à transmettre le pouvoir à une génération plus jeune. Il l’a dit avec emphase, avec gravité, presque avec émotion, comme s’il prononçait un acte de foi. Mais, à force d’entendre les mêmes déclarations revenir à intervalles réguliers, les Ivoiriens ont compris que ces paroles ne sont que des promesses recyclées, de simples formules de circonstance destinées à rassurer, à apaiser ou à détourner l’attention. Car ce n’est pas la première fois que Ouattara promet de céder la place. Ce n’est pas la deuxième fois non plus. Ceux qui suivent sa trajectoire politique connaissent la rengaine par cœur.

A chaque nouveau mandat, à chaque crise politique, à chaque remaniement majeur, revient ce même engagement, toujours solennel, toujours présenté comme une décision définitive et toujours renié. Un proverbe latin le dit si bien : « Semel malus, semper malus. » (une fois méchant, toujours méchant).

On pourrait, à propos de Ouattara, adapter cette sagesse en disant : « Qui a menti une fois, mentira deux, mentira trois fois ».

L’homme semble incapable de se défaire de cette sale habitude : Promettre beaucoup, tenir peu et espérer que les Ivoiriens oublieront entre-temps. Car le président du RDR n’en est pas à son premier reniement, et tout porte à croire qu’il n’en est pas à son dernier.

Un mensonge devenu slogan

Parmi les grands classiques de ses promesses, l’un des plus célèbres demeure :

« Je serai le président de tous les Ivoiriens. »

Laurent Gbagbo, Tidjane Thiam, Guillaume Soro (exilé involontaire en Turquie) et Charles Blé Goudé, exclus de la présidentielle d’octobre 2025. Si les militaires décident de mettre de l’ordre dans ce désordre démocratique, qu’est-ce qu’on va dire ?

Cette formule, répétée comme un mantra depuis son accession au pouvoir, est devenue avec le temps un symbole d’hypocrisie politique. Car jamais la Côte d’Ivoire n’a été aussi divisée qu’aujourd’hui. Jamais les fractures régionales, identitaires et politiques n’ont été aussi profondes. Jamais une partie du peuple ne s’est sentie aussi exclue, marginalisée, suspectée ou considérée comme illégitime. Pour beaucoup, cette promesse n’était qu’un artefact de communication, une phrase destinée à séduire la communauté internationale, à rassurer les chancelleries étrangères, à soigner l’image d’un régime qui, dans les faits, a construit sa force sur la violence, l’exclusion et le clientélisme.

Le discours de prestation de serment, censé ouvrir une nouvelle ère, n’a donc été qu’une longue litanie de mensonges, une succession de phrases creuses prononcées avec un sérieux presque théâtral, comme si l’homme lui-même croyait encore maîtriser l’art du camouflage verbal. C’est à croire que Ouattara excelle davantage dans cet exercice – la manipulation par la parole – que dans la gestion d’un pays qu’il tient d’une main tremblante et méfiante depuis maintenant près de quinze ans.

L’homme sait ce qui l’attend s’il quitte le pouvoir

Ceux qui s’interrogent sur la longévité du régime trouvent la réponse dans une réalité simple : Ouattara ne quittera jamais le pouvoir volontairement.

Il ne le fera pas parce qu’il sait précisément ce qui l’attend. Le pouvoir, pour lui, n’est pas seulement une fonction mais un bouclier, une armure, un refuge contre les conséquences de ses choix politiques, économiques et sécuritaires.

Il sait que, sans les privilèges, sans la protection institutionnelle, sans le contrôle de l’appareil sécuritaire, il s’expose à des turbulences judiciaires et politiques dont il ne sortira pas indemne. Il sait qu’une alternance véritable poserait immanquablement la question des responsabilités dans les crises successives qui ont ensanglanté la Côte d’Ivoire depuis les années 2000. Il sait que, tôt ou tard, la vérité devra être dite et que le pouvoir actuel ne pourra pas éternellement cacher les zones d’ombre, les abus, les privilèges indus et les décisions contestables.

Quitter le pouvoir, pour lui, ce n’est pas seulement céder une fonction. C’est perdre son immunité. C’est exposer son héritage. C’est prendre un risque existentiel. C’est pourquoi il fait tout pour prolonger son règne, quitte à piétiner la parole donnée, la Constitution, la morale et même le simple bon sens.

Une génération sacrifiée pour prolonger un règne

Il parle de « génération plus jeune » mais, dans les faits, tout est fait pour empêcher son émergence. Le régime a méthodiquement détruit ou affaibli toute figure politique capable d’incarner un renouvellement crédible. Il a écarté, poursuivi, neutralisé ou absorbé les forces susceptibles de remettre en cause son hégémonie. Les jeunes leaders ont été domestiqués, transformés en figurants applaudissant un homme qui refuse obstinément de passer le témoin.

Même au sein de son propre camp, il a méthodiquement empêché qu’un successeur légitime émerge. Les rares noms évoqués comme héritiers potentiels sont systématiquement discrédités ou remplacés par d’autres. Aucun dauphin sérieux ne peut prospérer dans un système où le chef ne tolère pas la possibilité d’être remplacé.

Le président du Sénégal, Bassirou Diomaye Faye, avec le président nouvellement investi, Alassane Ouattara, avait gagné son élection, de manière incontestée, dès le premier tour, en avril 2024.

2030 : Vers un cinquième mandat déguisé ?

Tout porte à croire que le scénario de 2020 se répétera. Ouattara laissera planer le doute, dira qu’il est fatigué, qu’il veut partir, qu’il souhaite transmettre, puis, au dernier moment, expliquera qu’il n’a pas le choix, qu’il doit assurer la stabilité, qu’il doit protéger les Nordistes et les Musulmans, qu’il accomplit un sacrifice pour le pays.

Ce discours, il l’a déjà servi. Et il le resservira.

Cet homme rempilera en 2030, sauf si un événement incontrôlable – comme la mort ou autre – l’emporte avant cette échéance. Le pouvoir est devenu son oxygène, sa forteresse, son refuge ultime. Rien, absolument rien, n’indique qu’il est prêt à lâcher prise. Les Ivoiriens l’ont compris. Ils ont vu les promesses défiler, les serments être annulés, les engagements être reniés. Ils ont compris que ses mots n’ont plus de valeur, que ses engagements ne sont que des outils politiques, que ses déclarations ne sont que des stratégies de gouvernance.

Et ils savent aujourd’hui que la seule manière pour Ouattara de quitter le pouvoir sera d’y être contraint – soit par les limites biologiques, soit par un basculement politique ou militaire.

Un pays pris en otage par le mensonge politique

Le problème n’est plus seulement Alassane Ouattara. Le problème, c’est ce que le pays devient lorsqu’on se laisse gouverner par un homme pour qui la parole n’a plus de poids. Un homme qui utilise les serments comme des chiffons, les promesses comme des accessoires. Un homme qui marche sur la Constitution comme il veut.

La Côte d’Ivoire mérite mieux qu’un dirigeant qui multiplie les faux engagements.

Elle mérite une véritable transition. Elle mérite un président pour qui les mots ont encore un sens.

Mais, tant que Ouattara confondra pouvoir et survie personnelle, tant qu’il fera passer ses craintes avant l’avenir du pays, les Ivoiriens devront encore supporter un régime dont le mensonge est devenu la colonne vertébrale.

Et en 2030, sauf retournement inattendu, les mêmes promesses résonneront encore, creuses, éphémères, oubliées avant même d’être prononcées.

Jean-Claude Djéréké

est professeur de littérature à l’Université de Temple (Etats-Unis).

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