COTE D’IVOIRE : Quand certains comptent sur le sacrifice des autres pour (re)prendre le pouvoir

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“ Opposez-vous à toute modification de la Constitution en vigueur !” Cette injonction adressée aux militants du PDCI à Daoukro, le 12 janvier 2020, ne vous rappelle rien ? Si vous avez oublié, permettez que je vous rafraîchisse la mémoire. Nous sommes en 1993. L’éternel putschiste et usurpateur vient d’échouer à s’asseoir dans le fauteuil présidentiel malgré le soutien de Grégoire Philippe Yacé qui n’avait pas digéré son éviction au profit de Konan Bédié dans la course à la succession du premier président de la République. Poussé par Laurent Dona Fologo, secrétaire général du PDCI et escorté par quelques gendarmes, l’enfant de Daoukro se rend dans les locaux de la RTI pour s’adresser aux Ivoiriens. Entres autres choses, il leur dit ceci : “Mettez-vous à ma disposition !” Beaucoup d’Ivoiriens sont choqués qu’on leur parle de la sorte. Pourquoi ? Parce qu’ils croient que les hommes politiques sont au service et à la disposition du peuple, parce qu’ils s’imaginent que celui-ci, le Peuple, est l’employeur et que députés, ministres et président de la République, ne sont que des employés. Ils ne comprennent pas que le successeur d’Houphouët adopte un ton martial pour sa première allocution télévisée mais ne s’offusquent pas outre mesure de cet impair car, pour eux, l’essentiel, à savoir, le respect de la Constitution, a été préservé.

Le 24 décembre 1999, Bédié est renversé par les militaires proches du même putschiste et usurpateur. Avant de prendre le chemin de l’exil, sur Radio France Internationale, il déclare : “J’invite tout particulièrement les forces vives de Côte d’Ivoire, tant militaires, civiles que traditionnelles, à résister et à mettre tout en œuvre pour s’opposer par tous les moyens et faire échec rapidement à cette tentative grotesque et rétrograde de coup d’état militaire” (cf. “L’Obs” du 24 décembre 1999). Des paroles qui battent définitivement en brèche la thèse selon laquelle Bédié est un homme pacifique qui s’est gardé de toute action contre les mutins parce qu’il ne voulait pas voir couler le sang des Ivoiriens. On sait ce qui advint de cet appel : même le PDCI ne jugea pas nécessaire de prendre la rue afin que Bédié puisse retrouver son fauteuil. Alors que les Ivoiriens s’attendaient à ce que celui-ci restât parmi eux pour résister avec eux, lui préféra se rendre à Lomé avec les siens et laisser le peuple se débrouiller avec les “Jeunes Gens” de Robert Gueï.

Comme “il n’y a jamais deux sans trois”, le président du PDCI a récidivé en ordonnant aux militants de son parti arrivés dans sa ville pour lui présenter les vœux de Nouvel An de s’opposer à toute modification de la Constitution en vigueur. Une fois de plus, il n’a pas employé le “nous inclusif” qui indique que le locuteur et ses auditeurs sont dans un même bateau et veulent se battre ensemble contre les vents contraires mais le pronom personnel “vous” qui signifie que le locuteur ne se sent pas concerné par l’action à entreprendre ou se refuse à s’y engager, corps et âme.

Il est triste et dégoûtant de voir ce genre de choses qui montrent qu’il existe encore en Côte d’Ivoire des individus qui n’aiment pas mouiller le maillot et qui attendent que les autres aillent au charbon pour eux. Hier, Houphouët avait modifié la Constitution pour que Bédié accède à la magistrature suprême, l’avait nommé ici et là, même quand il ne le méritait pas. Aujourd’hui, le même Bédié demande aux autres de se battre pour lui après avoir soutenu bruyamment un criminel et un hors-la-loi.

Je serais curieux de savoir comment il a réagi en voyant la photo prise au 43e BIMA par le maire PDCI de Port-Bouët avec Emmanuel Macron, dont le pays est régulièrement accusé de garder l’acquitté, Laurent Gbagbo, loin de son pays natal, le jour même où le PDCI et le FPI devaient tenir un meeting conjoint dans cette commune. En attendant, je dois tout simplement admettre avec d’autres Ivoiriens que Bédié est un drôle d’opposant et de combattant.

En tout cas, le peuple doit ouvrir les yeux et refuser de se sacrifier pour des gens qui ne veulent prendre aucun risque mais qui, une fois parvenus au pouvoir, ne s’occuperont que de leur famille et clan (sur notre photo Henri Konan Bédié main dans la main avec Guillaume Soro).

Jean-Claude DJEREKE
est professeur de littérature à l’Université de Temple (Etats-Unis).

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