Selon la secrétaire générale du Rdr, Henriette Diabaté, les Ivoiriens considèrent Gnassingbé Eyadèma comme « l’héritier du président Félix Houphouët-Boigny ».
Arrivé à Paris, samedi 24 novembre, pour une visite privée d’une semaine qui a tout l’air d’un voyage officiel, le Sage de l’Afrique a déjeuné lundi 26, à l’Elysée, avec son ami Jacques Chirac avant de rencontrer le chef de la Coopération française dans l’après-midi, Charles Josselin. Le reste de son séjour a été consacré, pour l’essentiel, aux investisseurs qui semblent particulièrement attirés par la zone franche de Lomé. Lors des discussions avec son homologue français qui partage le même amour pour la Côte d’Ivoire, le Forum national de réconciliation qui se tient, en ce moment, dans ce pays a bien entendu été évoqué.
Le moins qu’on puisse dire, c’est que le président du Togo, Gnassingbé Eyadèma, suit de très près, le déroulement de ce Forum de réconciliation nationale, et de manière générale, la crise politique ivoirienne. Appelé sans doute à prendre fin ce mois de décembre sauf décision contraire des autorités, ce Forum ne risque pas de répondre à toutes les attentes si les dirigeants ivoiriens de tout bord, ne mettent pas de l’eau dans leur vin, faisant ainsi passer en pures pertes les 800 millions de f cfa que le gouvernement ivoirien a mis dans son organisation.
Les enjeux sont importants. Car pays le plus important de la sous-région Uemoa qui à lui tout seul, brasse 40% de sa richesse, la Côte d’Ivoire, à cause de la déstabilisation dont elle fait l’objet depuis le coup d’état de décembre 1999, a fini par entraîner toute la sous-région dans la sinistrose. « Quant la maison du voisin brûle, il faut l’aider à éteindre le feu de peur que la vôtre le soit aussi », affirme souvent le Sage de l’Afrique. C’est donc dans cet esprit qu’il a entrepris depuis plusieurs mois des démarches en vue de la réconciliation des frères ennemis de Côte d’Ivoire.
On n’oublie pas que Lomé (et parfois Pya, la ville natale du président) est la capitale de la diplomatie de l’Afrique de l’Ouest. En effet, c’est cette ville qui avait accueilli, pendant quelques jours, l’ancien président Henri Konan Bédié, au lendemain du coup d’état qui l’avait chassé du pouvoir le 23 décembre 1999. Titulaire d’un passeport togolais, Bédié (accompagné de son épouse Henriette et de sa famille proche) se rendit, ensuite, à bord du boeing 707 du président Eyadèma, dans la capitale française où il est finalement resté plus de 22 mois. Le président du Togo a été également le tout premier chef d’Etat à qui Robert Gueï, nouvel homme fort de Côte d’Ivoire, avait rendu visite en janvier 2000. Il se raconte qu’une fois les deux hommes face à face, le Sage de l’Afrique, après l’avoir dévisagé, entra vite dans le vif du sujet dans un ton tout militaire : « Dis-moi, qui au juste est derrière ce coup d’état », demanda-t-il au nouveau chef de l’Etat ivoirien ?
Gnassingbé Eyadèma a pris beaucoup d’autres initiatives pour calmer la tension entre les leaders politiques ivoiriens, parfois, en collaboration avec d’autres présidents de la sous-région. C’est ainsi, qu’en août 2000, juste après la tenue à Lomé du Sommet de l’Oua qui battit tous les records de participation de chefs d’Etat et de gouvernement, et ce en collaboration avec le président du Bénin, Mathieu Kérékou, il avait rencontré, à Yamoussoukro, sur les terres de son défunt grand-frère Félix Houphouët-Boigny, le président Gueï ainsi que les leaders de l’opposition de l’époque, à savoir, Laurent Gbagbo du Fpi, Francis Wodié du Pit, Laurent Dona Fologo du Pdci-Rda et Alassane Ouattara du Rdr. Objectif : calmer les tensions qui se nourrissaient des rumeurs de toutes sortes à l’approche de la présidentielle d’octobre.
C’est dans cette logique de dialogue et de paix qu’il faut signaler la rencontre en mars 2001, à Lomé, du président Gbagbo et du chef du Rdr, Alassane Ouattara. D’autres visites d’hommes politiques ivoiriens ont entretemps eu lieu dans la capitale togolaise ou dans la ville natale du président à Pya dans le nord du pays.
Lomé vient, récemment, de connaître un véritable « ballet diplomatique » d’hommes et de femme politiques ivoiriens. Le 21 novembre 2001, en effet, Robert Gueï a été reçu par le chef de l’Etat togolais, dans sa résidence privée de Lomé 2. C’est à la suite de cette entrevue qu’il a annoncé sa participation effective au Forum de réconciliation à la grande satisfaction de Seydou Elimane Diarra.
Le lendemain, ce sont Moïse Lida Kouassi et Danon Djédjé, respectivement, ministre de la Défense et ministre chargé des Relations avec le Parlement et les autres Institutions que Laurent Gbagbo a dépêchés pour rendre compte au Sage, du déroulement des travaux du Forum. Dans la matinée de la même journée, c’est la secrétaire générale du Rdr, Henriette Diabaté, qui a rencontré le président togolais chez qui elle a salué l’entière disponibilité pour chercher des solutions au problème ivoirien : « Pour nous, a-t-elle déclaré à l’issue de ses deux heures d’audience, nous le (Gnassingbé Eyadèma) voyons comme l’héritier du président Félix Houphouët-Boigny. Il était alors bon et bien indiqué de venir récolter ses sages conseils, ses suggestions et l’informer éventuellement de ce que pense le Rdr du Forum national de réconciliation ».
La déclaration de la numéro deux du parti d’Alassane Ouattara sonne d’autant plus juste que le général Eyadèma a été le seul président africain à rendre visite à Félix Houphouët-Boigny sur son lit de malade, à Genève, quelques semaines seulement avant sa mort. L’histoire veut que le Vieux lui ait fait des confidences sur la façon de gérer les problèmes de la sous-région et même du continent africain. D’où le caractère incontournable de la diplomatie togolaise dans la gestion des conflits qui affectent cette partie de l’Afrique.
Jean-Paul Tédga