COUP D’ETAT AU SOUDAN : LE GOUVERNEMENT ABDALLAH HAMDOK N’EST-IL PAS RESPONSABLE DE CE QUI LUI ARRIVE ?

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Des hommes armés ont emmené le chef du gouvernement, Abdallah Hamdok, et la plupart des ministres « vers une destination inconnue » tôt, lundi, 25 octobre, matin. Même si certains hésitent à qualifier cette opération de coup d’état, c’en est bien un. Car la plupart des dirigeants du pays (en dehors de ceux qui ont pu fuir ou qui étaient hors du pays) ont été arrêtés et emmenés « vers une destination inconnue » par des hommes armés. La purge continue d’ailleurs malgré le fait que de centaines de manifestants sont descendus dans la rue pour appeler à la résistance.

« Après avoir refusé de soutenir le coup d’état, des forces armées ont arrêté le premier ministre Abdallah Hamdok et l’ont emmené vers un lieu non identifié », peut-on lire dans un communiqué du ministère saoudien de l’Information.

L’identité et la fonction des autres dirigeants ne sont pas encore connues. Sur Facebook, le ministère de l’Information écrit simplement que « les membres civils du Conseil de souveraineté » qui chapeaute la transition « et la plupart des ministres » ont été appréhendés à leur domicile avant l’aube, et qu’ils « ont été emmenés vers une destination inconnue ».

Des militaires à la manœuvre

Qui se cachent derrière ces arrestations ? La télévision d’Etat a été prise par les militaires et à la mi-journée le général Abdel Fattah al-Burhane (notre photo) y est apparu. Ne cessant de répéter qu’il souhaitait toujours « une transition vers un Etat civil et des élections libres en 2023 », il a malgré tout relevé tous les dirigeants de leurs fonctions, pour les remplacer, dit-il, par un nouveau gouvernement composé de « personnes compétentes ». Le général Burhane a décrété l’état d’urgence et s’est engagé à respecter les accords internationaux signés par le Soudan, l’un des quatre Etats arabes à avoir récemment décidé de reconnaître Israël.

Voilà justement l’un des points de friction avec le pouvoir de transition du premier ministre Hamdok. Pour sortir le Soudan de la liste des pays terroristes, l’administration Trump avait exigé la reconnaissance de l’Etat hébreu (ce qui fut fait en octobre 2020). Donald Trump se servit même de cette reconnaissance comme un trophée qu’il brandissait pendant sa campagne présidentielle. Autre point litigieux : le oui du gouvernement pour le transfert de l’ancien président, Omar el Béchir, à la CPI (Cour pénale internationale). Suprême humiliation pour bénéficier des subsides de Washington ? C’en était trop pour un président qui en 29 ans de pouvoir avait commis les pires atrocités, notamment, dans le Darfour où il est accusé de crimes contre l’humanité, mais, ce qu’il faut dire c’est que la justice soudanaise était en train de juger Omar Béchir et que ce dernier, jusqu’à il y a quelques heures (si on ne l’a pas sorti discrètement) était bel et bien en prison. Pourquoi un tel acharnement quand on sait qu’il était jugé à Khartoum et que les juges ne le ménageaient pas ?

Pour beaucoup d’Africains, le Soudan ne devait pas quitter la domination de Béchir pour se livrer à celle de Washington et des Occidentaux. Le gouvernement de transition s’est montré très faible, suprêmement, fragile et incapable de tenir un cap d’indépendance d’autant plus que les Occidentaux voulaient régler leur compte à Omar Béchir. Ce désir de vengeance ne va pas disparaître du jour au lendemain.

L’Association des professionnels soudanais (SPA), l’un des fers de lance de la révolte, qui a mis fin en 2019 à la dictature du président Omar el-Béchir, a appelé les Soudanais à la « désobéissance » sur Twitter. Pour quel résultat ? Il n’est pas prématuré de dire que les tenants de l’ordre ancien ajouté aux militaires, viennent de gagner la première manche d’une bataille qui va se poursuivre.

Le premier ministre Abdallah Hamdok devenait de plus en plus un pion de Washington.

Depuis août 2019, et l’éviction du président Omar el-Béchir, le pays est dirigé par une administration composée de civils et de militaires chargée de superviser la transition vers un régime démocratique. Ce processus de transition, entaché de divisions politiques et de luttes de pouvoir, est fragilisé. Les Forces pour la liberté et le changement (FFC), qui ont mené les manifestations anti-Béchir en 2019, ont par exemple fini par se scinder en deux factions opposées.

Les divisions se sont exacerbées après un coup d’état manqué le 21 septembre dernier. La semaine dernière, des dizaines de milliers de Soudanais ont défilé dans plusieurs villes pour soutenir le transfert complet du pouvoir aux civils et pour contrer un sit-in de partisans de l’armée devant le palais présidentiel dans la capitale Khartoum, qui exigeait un retour au « régime militaire ».

Les Etats-Unis ont très vite réagi à ces arrestations par l’intermédiaire de leur émissaire en Afrique. Sur Twitter, Jeffrey Feltman a témoigné de « l’inquiétude profonde » de son pays après les annonces de prise de pouvoir par des militaires. C’est bien de témoigner mais ce qui arrive porte la main (noire) de Washington.

Les arrestations des dirigeants civils au Soudan sont « inacceptables », a également alerté Volker Perthes, l’émissaire de l’ONU au Soudan. Et le diplomate, « très inquiet des informations sur un coup d’état », d’ajouter : « J’appelle les forces armées à relâcher immédiatement les détenus ».

La Ligue arabe s’est aussi dite « préoccupée »  par les « développements » au Soudan. Le secrétaire général de l’organisation, Ahmed Aboul Gheit, a appelé « toutes les parties à respecter » l’accord de partage du pouvoir de transition établi en 2019 après le renversement d’Omar el-Béchir.

L’Union européenne a demandé, de son côté, la « libération rapide » des dirigeants arrêtés et réclamé le rétablissement « urgent » des communications dans le pays. Nabila Massrali, une porte-parole de l’exécutif européen, ajoute : « Toute violence et bain de sang devaient être évités à tout prix ».

Le secrétaire général de l’ONU, Antonio Guterres, a également condamné « le coup d’état militaire en cours » et a réclamé la libération « immédiate » du premier ministre, Abdallah Hamdok. « Il faut assurer le plein respect de la charte constitutionnelle pour protéger la transition politique obtenue de haute lutte »a-t-il réagi sur Twitter (tweet en anglais).

Le président français, Emmanuel Macron, n’a pas été en reste. Il a condamné « avec la plus grande fermeté » ce qui se passe au Soudan..

Il faut noter que ce sont les Occidentaux qui gesticulent le plus. Comme d’habitude. En Afrique, l’Union africaine reste muette. Comme d’habitude aussi. Il en est de même du principal partenaire soudanais dans la sous-région, l’Egypte. Soutient-elle le putsch. Certainement ! Seule la Russie a pondu un communiqué pour dire que ce qui arrive est de la faute des Occidentaux. Quant à la Chine et la Turquie, qui suivent le déroulement de la situation sans porter de jugement, c’est motus et bouche cousue.

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