DJIHADISME AU NIGER : Qui veut affaiblir Mahamadou Issoufou et pourquoi ?

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Emmanuel Macron a estimé, dimanche, 22 décembre, à Niamey, que la lutte armée contre les groupes djihadistes au Sahel était à “un tournant” nécessitant une clarification des objectifs militaires et politiques de la mission engagée par la France en 2013 avec l’Opération Serval, puis, Barkhane. Clarification ? Il le faut des deux côtés car la France n’est pas exempte de tout reproche : son armée (la 5e plus forte du monde) n’arrive pas à se mettre à la hauteur des affreux djihadistes qui tuent, violent et pillent, impunément, dans le Sahel, depuis que l’intervention occidentale en Libye l’a déstabilisée, laissant fuir dans la nature, des milliers de djihadistes que Kadhafi confinait de force dans des casernes pour les rendre inoffensifs. En exigeant la clarification de ses cinq homologues du G5 Sahel, il faut bien que le jeune président français commence par le commencement avant de critiquer les peuples africains d’avoir adopté des comportements « anti-français ». Car avant lui, il y a eu François Hollande (2012-2017) et surtout, Nicolas Sarkozy (2007-2012) qui est à l’origine de la grave situation qui prévaut aujourd’hui au Sahel. C’est l’Afrique qui est en position de demander des comptes à la France et non le contraire.

Après une visite en Côte d’Ivoire, le président français a achevé son périple africain à Niamey, au Niger, où il a notamment rendu hommage aux 71 soldats tués le 10 décembre dans une attaque contre le Camp d’Inates, près de la frontière malienne, revendiquée par le Groupe Etat islamique (notre photo).

La destruction du Camp d’Inates pousse à s’interroger sur le vrai rôle des forces américaines et françaises, qui stationnent au Nord du Niger où elles sont supposées prêter main forte à l’armée dans sa lutte contre les djihadistes. Car on ne peut pas approcher le camp en question sans se faire découvrir. Et pourtant, l’attaque a été massive, avec un nombre impressionnant de djihadistes accompagnés de toutes sortes d’armes lourdes et légères. Une masse qui ne pouvait échapper à la vigilance des moyens sophistiqués de surveillance des forces françaises et américaines stationnées dans ce secteur. Pour mémoire, leur dispositif de surveillance satellitaire est capable de suivre une simple moto au sol. Combien de fois quand il s’agit d’un groupe de plus de 200 personnes véhiculées et lourdement armées ? Les peuples du Niger ont le droit de se poser des questions sur les véritables raisons de la présence des forces « alliées » dans leur pays.

Il faut, aussi, voir que la visite officielle d’Emmanuel Macron en Côte d’Ivoire avait été annoncée sans préciser qu’elle allait donner lieu à la décision de la France et des pays de l’UEMOA représentés par son inamovible président en exercice, Alassane Ouattara, de remplacer le F CFA par la monnaie ECO. Les chefs d’Etat de la CEDEAO ont accepté, en 2018, le principe de la création de cette monnaie, malgré l’hostilité manifeste du président ivoirien, qui a toujours considéré le F CFA comme l’une des monnaies les plus stables du monde. N’avait-t-il pas déclaré en 2018, à la sortie d’une audience accordée par Emmanuel Macron, que le F CFA allait le rester et intégrer les autres pays de la CEDEAO non membres de l’UEMOA ? Sa déclaration volontairement mensongère n’a pas empêché, quelques semaines plus tard, lors d’un Sommet de la CEDEAO tenu à Abuja, d’adopter le principe de la création de la monnaie ECO courant 2020.

Au sein de l’UEMOA, Mahamadou Issoufou, a été l’un des plus farouches adversaires de Ouattara. En effet, le président du Niger soutient (comme son homologue du Burkina Faso Roch Marc Christian Kaboré) la sortie pure et simple du F CFA et la création d’une autre monnaie authentiquement africaine. Pour joindre la parole à l’acte, Mahamadou Issoufou, avec son homologue du Ghana, Nana Akufo Addo, a dû prendre la présidence d’un Comité technique pour superviser les études que nécessitait la mise en service de cette future monnaie, études qui étaient assurées par des experts techniques de la BCEAO, des banques centrales du Nigeria et du Ghana. Mieux, pour assurer le bon déroulement de la mise en service de cette monnaie courant 2020, Mahamadou Issoufou a pris la présidence en exercice de la CEDEAO pour la période couvrant mi-2019/mi-2020.

Pendant qu’il s’active dans ce domaine très sensible, son armée subit une perte de 71 soldats tués lors d’une opération qui pousse à se poser des questions. Il n’est donc pas exagéré de se demander si on n’a pas laissé attaquer le Camp d’Inates pour punir les positions anti-F CFA du président, Mahamadou Issoufou ? Car juste après la destruction de ce camp, le président français est venu annoncer chez Ouattara, son plus grand allié de la sous-région, des changements au sein de la zone franc, qui laissent interrogateurs alors que l’implantation de l’ECO de la CEDEAO est, théoriquement, en cours. Une implantation qui se fait sans la tutelle de la France comme l’avait exigé le Nigeria. Mais une exclusion de la France qui n’a jamais été du goût du président ivoirien.

Cette attaque du Camp d’Inates a affaibli le président en exercice de la CEDEAO. Conséquence, tout laisse penser qu’il va moins s’occuper de la mise en place de l’ECO version CEDEAO. Son agenda subit du coup quelques modifications dans la mesure où il semble donner plus de priorité à la lutte contre le djihadisme pour laquelle il appelle les alliés (dont la France) à une plus grande collaboration. Peut-il se consacrer à la mise en place de l’ECO (CEDEAO) et remobiliser au même moment son armée avec la même énergie et la même efficacité ? Que non !

Voilà pourquoi l’image de la France ne peut pas être bonne en Afrique. Car depuis les années 60, elle s’est spécialisée dans les coups bas en Afrique pour mieux rester après l’octroi de ses indépendances factices aux pays concernés. Des coups bas que les Africains découvrent presque tout le temps et qu’ils n’ont plus peur de dénoncer dans les réseaux sociaux et lors des manifestations publiques, à Bamako, Ouagadougou ou Niamey.

Lors du Sommet qu’il a décidé de convoquer à Pau le 13 janvier prochain, le jeune président doit savoir que ce sera à lui de donner des « clarifications » (pas nécessairement aux 5 chefs d’Etat du G 5 Sahel), mais, aux peuples d’Afrique. Qui en ont marre de la Françafrique !

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