La grande leçon de Castro : Ne jamais abdiquer, quelles que soient les difficultés

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Fidel Castro a achevé son pèlerinage terrestre, le 23 novembre 2016. Il avait 90 ans, ce qui est plus qu’un exploit si l’on se réfère à la prière de Moïse selon laquelle, “la durée de notre vie s’élève à 70 ans et, pour les plus robustes, à 80 ans” (Psaume 90, verset 10). Le commandante n’avait pas encore été inhumé que ses contempteurs, tels des loups enragés, se jetèrent sur lui, ironisant sur sa révolution, fustigeant son action à la tête de Cuba et moquant sa manière de vivre. Furent alors convoqués toutes sortes de qualificatifs, aussi infamants les uns que les autres, pour nous convaincre que Castro n’était pas un héros mais un vrai dictateur et un grand comédien qui ne vivait pas ce qu’il prêchait. Mais les éternels dénigreurs et donneurs de leçons qu’ils sont incapables de pratiquer eux-mêmes ont-ils atteint leur but ? Pourquoi en veulent-ils tant à l’ancien compagnon de Che Guevara ? Qu’est-ce qu’ils ne lui pardonnent pas ?

Castro était loin d’être parfait. Comme tout un chacun, il commit des erreurs. Son régime fut indiscutablement un régime de répression mais, et notre intention ici n’est ni de l’absoudre ni de faire passer ses victimes par pertes et profits, force est de reconnaître qu’il ne réprima que les traîtres à la révolution, c’est-à-dire, les Cubains manipulés et utilisés par les Américains pour le renverser ou/et l’assassiner. Qu’il ait expulsé des prêtres espagnols est une chose incontestable mais était-il normal que les bons pères espagnols récitassent des prières à la gloire du général Franco sur le sol cubain ? Oui, il mena la vie dure à l’église catholique cubaine mais cette église ne fut-elle pas bien souvent complice du dictateur, Fulgencio Batista, qui, avec le soutien de Washington, renversa en janvier 1934 le gouvernement de Grau San Martin connu comme le gouvernement des “cent jours” ? Enfin, contrairement, à d’autres pays latino-américains (Argentine, Brésil, Guatemala, Mexique, Salvador), Cuba n’est pas connu comme un pays ayant tué des religieux, prêtres et évêques. Pour ne donner qu’un exemple, ce n’est pas à La Havane mais à San Salvador que Mgr Oscar Rpomero fut assassiné en pleine messe le 24 mars 1980 (cf. José Fort, “Fidel Castro: un géant du XXe siècle” dans L’Humanité du 26 novembre 2016).

Avant de déblatérer et de jeter leur bave haineuse sur Castro, ceux qui le traitent de dictateur auraient dû prendre connaissance de ce témoignage d’Ignacio Ramonet : “Quand les éditeurs, Galilée et Fayard, ont publié mon livre « Fidel Castro : Biographie à deux voix », en 2007, la répression s’est immédiatement abattue sur moi. Sur la radio publique, « France Culture », j’animais un programme hebdomadaire, le samedi matin, consacré à la politique internationale. Dès la publication de mon livre sur Fidel Castro, les médias dominants commencèrent à m’attaquer, violemment, le directeur de la station m’a appelé dans son bureau et, sans détours, m’a déclaré : « Il est impossible que vous, ami d’un tyran, puissiez vous exprimer sur nos ondes. » J’ai essayé d’argumenter. Rien à faire. Les portes des studios se sont fermées à jamais pour moi. Ils m’ont aussi bâillonné. Le silence était imposé à une voix discordante dans l’unanimisme anti-cubain”. L’ancien directeur du “Monde diplomatique” ajoute : “A l’Université Paris-VII, cela faisait 35 ans que j’enseignais la théorie de la communication audiovisuelle. Quand a commencé la diffusion de mon livre et la campagne médiatique contre moi à se propager, un collègue m’a prévenu : « Attention ! Certains fonctionnaires disent qu’on ne peut pas tolérer que « l’ami d’un dictateur » donne des cours dans notre faculté… » Bientôt, commencèrent à circuler dans les couloirs des dépliants anonymes contre Fidel Castro qui exigeaient mon expulsion de l’université. Peu après, j’étais officiellement informé que mon contrat ne serait pas renouvelé… Au nom de la liberté d’expression, on m’a refusé le droit à l’expression, j’ai « disparu » des colonnes du journal Le Monde. Lorsque j’étais cité, c’était seulement pour me lyncher.” (https://legrandsoir.info/fidel-castro-et-la-repression-contre-les-intell…).

N’est-il pas incohérent et indécent qu’un pays, où un journaliste fut lynché et ignoré du jour au lendemain pour avoir écrit sur un dirigeant qui échappa à 638 tentatives d’assassinat, accuse Castro d’avoir exercé une dictature féroce et sanglante ? Peuvent-ils d’ailleurs revendiquer le titre de démocrates, ces dirigeants français faisant et défaisant les présidents en Afrique, se mêlant grossièrement de choses qui ne les regardent pas, mangeant et buvant avec des autocrates sanguinaires et corrompus, déroulant le tapis rouge à des voyous et assassins, renversant ou bombardant tel ou tel président qu’ils jugent insoumis ? Michel Onfray et d’autres arrogants moralisateurs ont-ils jamais protesté contre ces pratiques indignes de la démocratie devenues désormais une seconde nature pour la France ? Le roi d’Arabie saoudite, Biya, Sassou Nguesso, Alassane Ouattara sont-ils des modèles en matière de respect des droits humains ? Aujourd’hui, au Togo, au Gabon, au Congo-Brazzaville, au Cameroun ou en Côte d’Ivoire, vit-on mieux qu’à Cuba “où l’espérance de vie s’élève à 75 ans, où tous les enfants sont scolarisés et soignés gratuitement, [qui est] capable de produire des universitaires de talent, des médecins et des chercheurs parmi les meilleurs au monde, des sportifs raflant les médailles d’or, des artistes, des créateurs” (cf. José Fort, “Fidel Castro: un géant du XXe siècle” dans L’Humanité du 26 novembre 2016). Pour la classe politique occidentale, certains dictateurs seraient-ils plus fréquentables que d’autres ? La démocratie exige-t-elle que n’importe quel illuminé occidental se substitue au peuple syrien pour réclamer le départ de Bachar Al Assad ? Soit dit en passant, ce dernier est encore au pouvoir alors que nous ne verrons plus Obama, Cameron, Renzi, Hollande et Ban ki Moon s’agiter comme le diable dans un bénitier.

Si les aboyeurs occidentaux sont loin de pratiquer ce qu’ils reprochent à Castro, s’ils n’ont aucune gêne à s’acoquiner avec des dirigeants qui affament et clochardisent leurs peuples, alors pourquoi lui en veulent-ils ? Pourquoi ont-ils la dent dure contre lui ? A mon avis, ils ne pardonnent pas au révolutionnaire cubain d’être resté fidèle à ses convictions, d’avoir tenu tête jusqu’au bout à tous ceux qui avaient juré sa perte. Mais, en lisant l’hommage que Nelson Mandela lui rendit le 26 juillet 1991, on découvre une autre explication de la haine que nourrissent certains Occidentaux envers Castro. Voici un extrait de ce bel hommage: “La défaite de l’armée raciste à Cuito Cuanavale fut une victoire pour toute l’Afrique ! L’écrasante défaite de l’armée raciste à Cuito Cuanavale a offert la possibilité pour l’Angola de connaître la paix et de consolider sa souveraineté ! La défaite de l’armée raciste a permis au peuple en lutte de Namibie de finalement gagner son indépendance ! La défaite décisive des agresseurs de l’apartheid brisa le mythe de l’invincibilité des oppresseurs blancs ! La défaite de l’armée de l’apartheid fut une inspiration pour tous ceux qui luttaient à l’intérieur de l’Afrique du Sud ! Sans la défaite de Cuito Cuanavale, nos organisations n’auraient jamais été légalisées ! La défaite de l’armée raciste à Cuito Cuanavale a rendu possible ma présence ici aujourd’hui ! Cuito Cuanavale fut un jalon dans l’histoire de la lutte pour la libération de l’Afrique du Sud ! Cuito Cuanavale fut le point tournant dans la lutte pour libérer le continent et notre pays du fléau de l’apartheid !”

Ils ont la rancune tenace contre Fidèle Castro parce que leurs méprisables pions, les troupes de l’Unita de Jonas Sawimbi et l’armée sud-africaine, mordirent lamentablement la poussière devant les troupes cubaines en Angola, entre le 12 et le 20 janvier 1988. Cette haine les quittera-t-elle un jour ? Dieu seul le sait. Quant à nous, nous savons avec Mandela que “le peuple cubain occupe une place spéciale dans le cœur des peuples de l’Afrique, [que] les internationalistes cubains ont effectué une contribution à l’indépendance, à la liberté et à la justice en Afrique qui n’a pas d’équivalent par les principes et le désintéressement qui la caractérisent [et que], dès l’origine, la Révolution cubaine a été une source d’inspiration pour tous les peuples épris de liberté”.

À l’heure où certains cherchent à diaboliser Castro, il est important que les Africains “admirent les acquis de la Révolution cubaine dans le domaine de l’assistance sociale, apprécient la manière avec laquelle un pays auquel on avait imposé un retard s’est transformé, reconnaissent les avancées dans les domaines de la santé, l’éducation et la science”.

Mais la leçon la plus importante que nous laisse Fidèle Castro est celle-ci : “ Peu importe l’adversité, peu importent les difficultés contre lesquelles il faut lutter, il ne faut jamais se rendre ! C’est une affaire de liberté ou de mort !” (cf. https://www.legrandsoir.info/discours-historique-de-nelson-mandela-le-26…).

La liberté et la souveraineté de son peuple étaient des choses chères à Castro. Il n’était pas prêt à les brader aussi facilement comme ont coutume de le faire les petits esprits qui dirigent nos pays sous la surveillance de la France. C’est ce qui ressort clairement de l’adresse faite par Segolène Royal à Santiago, le 3 décembre 2016. “Grâce à Fidel Castro, affirme-t-elle, les Cubains ont récupéré leur territoire, leur vie, leur destin. Ils se sont inspirés de la Révolution française sans pour autant connaître la terreur qu’il y a eue pendant la Révolution française.” Elle poursuit : “Il y a toujours du positif et du négatif dans les histoires, mais certains ne vont pas se rhabiller à bon compte au nom des droits de l’homme alors qu’on sait qu’ici, quand on demande des listes de prisonniers politiques, on n’en a pas. Et bien fournissez-moi des listes de prisonniers politiques, à ce moment-là, on pourra faire quelque chose. Donc, il faut savoir regarder les choses positivement même si ça dérange. La France n’a pas à donner de leçon à Cuba. Je sais que ça dérange parce que justement voilà un pays insulaire qui protège son patrimoine, qui interdit les prédateurs, qui a réussi aussi à faire en sorte qu’il y ait une propreté, une sécurité vraiment remarquables, que l’on n’atteint pas dans beaucoup de pays qui donnent aujourd’hui des leçons de droits de l’Homme.”

La France peut-elle s’enorgueillir de la situation sociale, politique et économique dans laquelle se trouvent ses anciennes colonies, 50 ans après les soi-disant indépendances ? Les dictateurs et incompétents qu’elle y a soutenus jusqu’ici ont-ils fait mieux que Castro ?

Jean-Claude Djereke
Professeur à Temple University
Philadelphie (Etats-Unis)

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