LES ECHOS DE LA CENSURE (n° 22) D’AFRIQUE EDUCATION EN MAURITANIE

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Très remonté que le bimensuel Afrique Education l’ait taxé de « petit raciste » et d’ « esclavagiste » dont le goût très prononcé pour l’alcool n’est un secret pour aucun Mauritanien (n° 144 du 16 au 30 novembre 2003), le colonel Maaouiya Ould Sid’Ahmed Taya, a pris la lourde décision d’interdire la vente du magazine sur l’ensemble du territoire mauritanien depuis plus d’un an. Les « Echos de la Censure » que nous diffusons depuis fin décembre 2003 dans le but de vous tenir informés de la situation des droits de l’homme dans ce pays de la dictature, montrent que nous n’avons dit que la vérité.

Dans ce numéro 22 des « Echos de la Censure », nous vous faisons vivre, un bout du procès des présumés putschistes dans la garnison de Ouad Naga, à 50 kilomètres de Nouakchott, que le petit colonel de Nouakchott a organisé pour éliminer des dizaines d’innocents qu’il considère comme des empêcheurs de tourner en rond.

PROCES DES PRESUMES PUTSCHISTES DANS LA GARNISON DE OUAD NAGA (Rapport de la 7e semaine d’audience)

Les plaidoiries de la défense ont commencé lundi 10 janvier 2005, à la suite d’un accord, difficilement obtenu, avec le président de la Cour. Celle-ci a décidé que chaque avocat plaideur doit, au préalable, donner la liste des personnes pour lesquelles il est constitué ; la Cour a ensuite décidé de limiter le temps individuel imparti à 1h30, restriction que les défenseurs contestent et jugent injuste. Observons que, depuis et durant le réquisitoire du parquet, les inculpés se trouvent isolés dans une antichambre, séparée de la salle, par une grosse grille métallique, au point qu’il est difficile de les voir, à fortiori de les distinguer : des gendarmes, en tenue, se dressent devant cet obstacle.

A travers les plaidoiries déjà passées, les avocats sont unanimes sur les vices de procédures et le constat de la torture. Ils ont, tous, soulevé, d’une part, le fait que leurs clients ont avoué sous la contrainte physique et, de l’autre, l’irrégularité de la composition de la Cour, laquelle comporte deux colonels de l’Armée en service, ce que la loi prohibe, de façon expresse. Ici aussi, la violation du droit est manifeste.

Les avocats ont souligné l’incompétence du comité d’enquête préliminaire, composé par des officiers de la gendarmerie, alors que l’autorité compétente devrait être constituée d’officiers de police judiciaire de l’Armée nationale. L’opportunité des poursuites est appréciée par le chef d’état major ou par le ministre de la Défense, lequel communique, à son collègue de la Justice, le souhait de voir enclencher des poursuites, d’où la saisine du parquet. Les avocats font remarquer le non respect des délais procéduraux, tel celui de la signification que la loi impose à la Cour, d’informer l’inculpé qu’il sera jugé, au cours d’une session qui commence, au plus tôt, dans les 8 jours suivants. A également été démontrée la violation des délais d’exercice des recours (15 jours pour appel), de pourvoi (15 jours) et de celui dont dispose la défense pour verser ses conclusions. A cet égard, il est à retenir que la Cour suprême a pris une décision, confirmant l’ordonnance de renvoi, rendue par le juge d’instruction, avant l’épuisement de cette dernière période. Par la suite, les avocats, chacun leur style, se sont évertués à démontrer l’infondé des chefs d’accusation retenus contre leurs clients, car tous les inculpés ont plaidé « non coupable », exceptés deux : l’ex-commandant Saleh Ould Hanenna et le capitaine Abderrahmane Ould Mini. D’où il découle, suivant ce raisonnement que les chefs d’accusation ne devraient être retenus au-delà des deux. En fait, indépendamment des vices de procédure, les inculpés n’ont pas reconnu les aveux que le Parquet tire des procès verbaux d’enquête préliminaire, la seule preuve aux mains du procureur. A signaler qu’au cours du réquisitoire, il a été présenté, à la Cour, un sac contenant des armes et des munitions que le procureur prétendait scellées, alors que le dossier ne relève pas cette mention ; la tentative avait provoqué une vive réaction de la défense, qui rejeta la validité du sac et de son contenu. La tension baissa lorsque la Cour signifia que ces pièces sont retirées, sans préciser si elles seront retenues ou non.

Les avocats n’ont pas manqué d’expliquer devant la Cour, que les aveux sur lesquels se fonde

Le réquisitoire du procureur, ont été extorqués, sous la torture, comme les accusés le détaillèrent lors de leurs différents témoignages dans le prétoire. Certains défenseurs ont insisté sur la question délicate des circonstances, confuses et non élucidées jusqu’ici, de la mort du chef d’état major, le colonel Mohamed Lemine Ould N’diayane ; ils se sont surtout étonnés du peu d’empressement, de la Cour et du parquet, à soulever d’office cette énigme. Pour l’édification du lecteur, il importe de préciser que le décès du numéro un de l’armée mauritanienne avait été imputé aux putschistes du 8 juin 2003 mais, au cours de son interrogatoire devant la Cour, leur principal chef, l’ex-commandant Saleh Ould Hanenna, dira que ses amis et lui voulaient porter le défunt à la tête de l’Etat et récusaient donc l’avoir éliminé.

Par ailleurs, pour Me Bilal Ould Dick, le Parquet dans son réquisitoire, s’est appuyé sur l’article 27 de la loi 62/165 qui énonce, dans ses stipulations, les cas d’incendie, de dévastations, de graves dégâts, de mort… Et l’avocat de constater, à ce stade de la session, le nombre insignifiant des parties civiles (au nombre de 2) par comparaison avec la population de Nouakchott, proche du million ; de même, s’étonne-t-il que le parquet ait été incapable de présenter un inventaire des maisons détruites.

Au sujet des deux inculpés ayant plaidé « coupable », leurs avocats se sont fondés sur la charia islamique, source première de la loi en Mauritanie. Ils précisèrent que le Code pénal et le Code de procédure pénal, en vigueur depuis 1983, se sont largement inspirés du droit musulman, dans tous les domaines, exceptés celui relevant des atteintes au pouvoir.

La charia ne condamne pas ces infractions, avec la même fermeté, que le droit positif : en effet, les auteurs de coup d’état, qui exécutent leur entreprise de renversement de l’autorité, peuvent se prévaloir d’un motif légitime, comme une injustice subie par eux et ou par la communauté entière ; or, certains inculpés l’ont prétendu, lors de leur audition à la barre. La peine que prévoit alors le droit musulman est différente de la peine capitale et peut consister, dans les cas où le président serait juste, dans la plus grande sévérité, en une simple sanction correctionnelle. Pour ces raisons, les avocats qui se sont exprimés jusqu’ici au bénéfice de Ould Hanenna et Ould Mini, ont choisi de les défendre, sur la base de la charia, parce que plus clémente. Mes Mohamed Ahmed Ould El Hadj Sidi et Mohamed Ould Ahmed Miské se sont particulièrement évertués à cet exercice.

D’autres avocats, assez hardiment, ont soutenu que leurs clients ne tombent pas sous le coup des articles soulevés par le procureur, car ils n’ont pas porté les armes contre la Mauritanie, mais contre le pouvoir. Quant aux chefs d’accusation retenus contre les trois dirigeants de l’opposition, comme tous ceux qui sont impliqués dans le dossier 140/RP/04, les avocats ont, en plus des vices de forme et de procédure, martelé les manquements suivants :

  • instruction bâclée en quatre jours, pour ceux, pas tous, qui ont fait l’objet d’un tel préalable ;
  • le premier juge écarté, par une décision du président de la Cour suprême, pourtant incompétent en l’espèce ;
  • désignation, d’un autre juge, par le même président de la Cour suprême, au titre de la décision antérieure, deux actes en quoi il n’est pas compétent ;
  • le juge d’instruction désigné convoque les trois leaders pour témoignage ; ils nient e bloc le chef d’accusation ;
  • le deuxième jour, il les accuse ;
  • le troisième jour, il dresse un procès verbal de première comparution et un autre d’audition, ce qui touche au fond, sans la présence de leurs avocats ;
  • le quatrième jour, il édicte une ordonnance de renvoi, devant la Cour criminelle, déjà en cours de session à Ouad Naga, acte expressément exclu, selon les termes même du droit.

Ici, la défense semble plaider le délit politique car, selon elle, par l’inculpation des personnalités de l’opposition, le pouvoir cherche à les éliminer de la scène politique, grâce à une condamnation qui les priverait de leurs droits civiques et civils. Pour la quasi-totalité des inculpés, leurs avocats ont demandé l’acquittement pur et simple en plus de leur dédommagement. Quant aux deux prévenus ayant plaidé « coupable », leurs conseils ont demandé la considération des circonstances atténuantes, qui jouent en leur faveur et réclamé leur relaxe, conformément aux prescriptions de la charia islamique.

SOS Esclaves (Mauritanie)

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