LIBERTE DE LA PRESSE : ET SI LE BON EXEMPLE VENAIT DU TOGO ?

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Avec le nouveau code de la presse récemment voté en Conseil des ministres, le Togo est certainement avec l’Afrique du Sud, le pays où la liberté de presse est totale. Au niveau de la CEDEAO, son code de la presse est incontestablement en pole position par rapport à ce qu’on trouve de mieux dans la sous-région.

Le gouvernement du Togo a adopté mercredi 21 juillet, un projet de code de la presse et de la communication, conformément aux engagements pris à Bruxelles pour la reprise de la coopération avec l’Union européenne (UE). Le communiqué du Conseil des ministres est explicite : ce nouveau code de la presse « dépénalise les délits de presse passibles de peines privatives de liberté en matière de diffamation et d’atteinte à l’honneur tout en maintenant son caractère dissuasif par des peines d’amende ». « Les modifications prennent en compte les différentes évolutions depuis la libéralisation de l’espace médiatique togolais en 1989 », poursuit le communiqué.
Ce nouveau code togolais de la presse est le fruit d’une vaste concertation entre différents professionnels des médias publics et privés, des juristes et des représentants des organisations des droits de l’homme, dans le but de faire des propositions concrètes et crédibles au gouvernement. Après sa très prochaine adoption par l’Assemblée nationale, on pourra dire sans exagérer que le Togo disposera alors d’une des réglementations les plus libérales d’Afrique en matière de presse. En l’espace de quinze ans, de 1989 à 2004, le Sage Gnassingbé Eyadèma, aura personnellement favorisé la mutation de la presse unique gouvernementale à une libéralisation totale du secteur médiatique, qui n’a rien à envier à celle des pays occidentaux dont les standards en la matière sont des plus étendus. Aujourd’hui en 2004, au Togo, journaux, radios et chaînes de télévision, appartenant aux investisseurs privés, se comptent par plusieurs dizaines dont la (très) grande majorité tiennent un discours plutôt hostile aux thèses du pouvoir en place.
Mais attention ! Liberté totale et complète ne voudrait pas dire liberticide. L’un des premiers principes de la liberté veut qu’elle s’arrête exactement là où celle du voisin commence, et que la liberté de l’individu lambda ne doit pas nuire à celle de l’individu bêta. Autrement dit, le nouveau code met surtout discrètement l’accent sur la notion de responsabilités : responsabilité individuelle de dire, d’écrire ou de faire dire ou écrire, selon sa propre (bonne) conscience ; responsabilité collective par rapport à l’impact et à l’effet des informations communiquées sur la vie des uns et des autres : ne pas oublier que la plume est une arme aussi redoutable que l’orgue de Staline, et que partant de ce constat qui n’est pas à balancer d’un revers de la main dans notre Afrique où les conflits ne font que s’ajouter les uns aux autres, toute vérité n’est pas toujours bonne à livrer à ses lecteurs, auditeurs ou téléspectateurs. Donc acte !
Le Togo fait aussi bien sinon mieux que le Sénégal où Maître Abdoulaye Wade vient de s’engager à supprimer l’article 80 du Code pénal sénégalais. Invoqué pour l’emprisonnement du directeur du « Quotidien » de Dakar, Madiambal Diagne, cet article réprime des complots et atteintes contre la sûreté de l’Etat et l’intégrité du territoire sénégalais. Calqué sur la loi « anti-casseurs » votée en France en 1970 puis abrogée en 1981 par François Mitterrand avant d’être remise sur scène par le terrible duo Pasqua-Pandraud, pendant la première cohabitation Chirac-Mitterrand entre 1986 et 1988, ce texte punit d’un emprisonnement de 3 ans à 5 ans et d’une amende de 100.000 à 1.500.000 f cfa (150 à 2.280 euros) les auteurs de manœuvres et actes qui, selon les autorités, compromettent la sécurité publique, discréditent les institutions ou enfreignent les lois du Sénégal. « Une personne qui rapporte des faits avérés peut être emprisonnée » sur la base de cet article 80, note par exemple Me Aïssata Tall Sall du barreau de Dakar. De même, le fait de parler des « manœuvres et actes de nature à compromettre la sécurité publique », peut avoir une interprétation divergente selon qu’on a une lecture pro ou anti-sécuritaire sans même parler des couleurs politiques des individus.
Par contre, l’Affaire Maka Gbossokotto crée de gros remous au sommet de l’Etat centrafricain. Accusé de « diffamation » et « injures publiques » à la suite d’une plainte de l’ancien directeur général d’Enerca, Jean-Serge Wafio, un très proche du président François Bozizé, le directeur du quotidien Le Citoyen, Maka Gbossokotto, a été arrêté puis écroué le 12 juillet 2004. Lors de son procès, le procureur de Bangui a requis contre lui douze mois de prison ferme alors que la défense assurée par une flopée d’avocats centrafricains avec à leurs côtés, le président du Conseil national de transition (CNT), Me Nicolas Tiangaye, également, président de la Ligue centrafricaine des droits de l’homme, avait réclamé la relaxe pure et simple. Mais avant le jugement qui sera rendu le 9 août, Bangui connaît une passe d’arme sur cette affaire entre le vice-président de la République et le premier ministre.
C’est le vice-président de la République, lui-même ancien premier ministre de la transition sous Bozizé, le professeur Abel Goumba, qui, le premier, a demandé lundi 19 juillet au gouvernement d’assurer l’application de la loi « afin de garantir le respect scrupuleux de la présomption d’innocence » dans cette affaire. « Il est nécessaire, dans cette affaire, d’assurer la stricte application de la loi afin de garantir le respect scrupuleux du principe de la présomption d’innocence par la déclaration universelle des droits de l’homme », a écrit le vice-président Goumba dans une lettre adressée au premier ministre Célestin-Leroy Gaombalet. Pour Goumba qui soutient qu’il « existe une procédure spéciale en matière de délit de presse », il s’agit « de savoir si tous les textes mentionnés… ont été respectés ou violés par les articles publiés dans le quotidien Le Citoyen, d’une part, et si, d’autre part, la procédure utilisée pour l’arrestation de Maka Gbossokoto est correcte, c’est-à-dire, conforme à la loi » ?
La réplique du premier ministre ne s’est pas faite attendre. Trois jours après, son cabinet, dans un communiqué public, a dénoncé une « manœuvre politicienne de nature à soulever une polémique inutile au niveau de l’exécutif » : « le cabinet à la Primature marque sa surprise quant à la méthode utilisée pour son interpellation au sujet de l’affaire Maka Gbossokotto ». Le pouvoir de Bangui est embarrassé par cette affaire qui ternit encore plus son image, au point que François Bozizé, en personne, a cru bon récemment de préciser que « contrairement aux affirmations du Groupement des éditeurs de la presse privée indépendante centrafricaine, et de certaines radios internationales, il n’est en rien concerné par cette affaire qui oppose deux citoyens et dans laquelle il n’est intervenu à aucun moment ».
Ces différentes affaires montrent qu’en matière de presse, le bon exemple vient plutôt du Togo. Qui eut crû que le Togo fasse aussi bien que l’Afrique du Sud dans un domaine aussi sensible ? Le gouvernement respecte à la lettre les 22 engagements qu’il a pris vis-à-vis de Bruxelles en avril dernier. Il appartient maintenant à l’Union européenne, à son tour, de savoir apprécier, à sa juste valeur, les efforts importants qui sont fournis par les autorités togolaises, en remettant en marche, progressivement, le dispositif de coopération suspendu depuis 1993.

Jean-Paul Tédga

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