NIGERIA : Les illuminés de Boko Haram et apparentés déclarent la guerre au cinéma

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Elle n’a fait que tenir la main d’un homme dans le clip d’un chanteur nigérian du « Sud », mais, pour l’association des cinéastes du « Nord », c’en était, déjà, trop : la célèbre actrice, Rahama Sadau, a été « bannie à vie ».
« Rahama ne pourra plus jamais jouer de sa vie dans un film de Kannywood à cause de son comportement immoral permanent », a expliqué Salisu Mohamed, président de l’Association des cinéastes du Nord du Nigeria (Motion Pictures Practitioners of Nigeria – MOPPAN).

Le cinéma nigérian, deuxième plus grande industrie cinématographique au monde en nombre de productions, est comme son pays : coupé en deux.

Dans le Sud chrétien et évangéliste, Nollywood présente des femmes cinquantenaires richissimes, qui courtisent les amis de leur fils, des couples qui se déchirent parce que le mari a fauté avec la bonne ou de jeunes étudiantes, qui séduisent leur professeur avec leur décolleté plongeant.

Dans le Nord musulman, Kannywood (du nom de la capitale nordiste, Kano) parle d’amour, de vengeance et de trahison, mais, les similarités s’arrêtent là : il faut respecter les codes de l’islam.

Lorsque 12 Etats du Nord ont instauré la charia en 1999, il avait été entendu que le cinéma dans son ensemble serait interdit. « Mais l’industrie employait déjà des milliers de personnes », explique Carmen Mc Cain, chercheuse américaine spécialiste du cinéma et de la musique Hausa.

Après plusieurs scandales, les associations locales ont trouvé un compromis en encadrant l’industrie et en introduisant des règles de conduite chez les acteurs, et parmi elles : les hommes et les femmes n’ont pas le droit de se toucher.

« Mais participer aux films de Nollywood est une preuve de reconnaissance » pour les acteurs du Nord, poursuit la chercheuse. « Et l’industrie veut s’exporter, mais, elle est toujours sous la pression d’une société conservatrice ».

« La question aujourd’hui, c’est de savoir si les acteurs de Kannywood peuvent jouer dans des productions du Sud. »

Dans ce clip de l’artiste Classic, intitulé « I Love You », Rahama, la « reine de Kannywood », incarne une vendeuse de fruits et légumes au marché, dont l’artiste tombe, éperdument, amoureux.
Rien de comparable avec les clips, habituellement, tournés à Lagos (Sud), où les femmes « twerkent » en bikini et prennent des douches au champagne.

Mais, dans « I Love You », Classic frôle l’épaule de la jeune fille, lui prend la main dans un champ en fleurs, et croque dans le fruit défendu : une petite aubergine verte en vente sur son étal au marché.
Pour la MOPPAN, c’en était trop. Après de nombreuses mises en garde et des suspensions de plusieurs mois infligées à Rahama, l’Association des cinéastes lui interdit de tourner dans des films produits dans le Nord.

« Nous sommes heureux que les cinéastes aient enfin ouvert les yeux », a déclaré Salisu Idris, un imam de Kano. « Cela fait longtemps qu’on leur demande de nettoyer cette industrie, qui encourage l’immoralité chez les jeunes. »

Début août, après un intense lobbying auprès du gouvernement, la communauté musulmane radicale de Kano avait empêché la construction d’un centre cinématographique de 10 millions de dollars.
L’acteur vedette, Ali Nuhu, était, alors, monté au créneau, en rédigeant un texte au vitriol dans un journal local : « Le pays Hausa (groupe ethnique de 60 millions de personnes qui s’étend sur tout le Sahel) ne va pas devenir plus islamiste que l’Arabie Saoudite ou l’Iran. »

Mais, sur ce nouveau scandale qui enflamme la Toile, Ali Nuhu, n’a rien posté à ses 96.500 abonnés Twitter. Et pour cause : lui aussi est dans la ligne de mire des conservateurs.
« Ali Nuhu fait l’amour avec Jackie Appiah dans un film de Nollywood, il devrait être traité de la même manière » que Rahama, écrit un internaute.

La jeune actrice de 24 ans a posté, mercredi, 5 octobre, une longue lettre d’excuse, où elle « demande pardon ». Mais ajoute « que toucher quelqu’un, dans mon travail, est inévitable ».

Cette saga ne devrait que la rendre, encore, plus célèbre, alors que le pays attend, avec impatience, sa performance dans une série produite par Ebony TV, chaîne du « Sud », mais, diffusée sur tout le continent.
Dans « Les fils du Calife » (« Sons of the Califate »), trois jeunes Hausa, profusément, riches, se disputent la place du nouvel émir. Sans que la série ne se déroule, officiellement, à Kano, tout rappelle la capitale millénaire de l’islam, où les complots, la corruption, les trahisons et les assassinats alimentent les fantasmes sur les riches familles aristocrates du Nord.

De quoi rendre fous les radicaux islamistes… Qui ne peuvent, cependant, pas sanctionner les productions du Sud.

Avec AFP

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