L’Afrique continue d’être le théâtre de scènes politiques où des présidents s’accrochent au pouvoir malgré les lois, les constitutions et les principes démocratiques. Si les projecteurs se braquent souvent sur ces dirigeants jugés « assoiffés de pouvoir », il serait malhonnête de ne pas évoquer le rôle actif – ou à tout le moins complice – que jouent certains segments de la population. Une partie du peuple, au lieu d’exiger le respect des règles démocratiques, supplie parfois les dirigeants de rester, les érige en demi-dieux, en pères de la nation éternels, comme si le destin du pays dépendait d’un seul homme. Ce phénomène, loin d’être anodin, reflète une pathologie démocratique profonde : la personnification du pouvoir et l’instrumentalisation de la voix populaire pour justifier l’injustifiable.
I. Quand le peuple réclame ce qu’il devrait dénoncer
Les 20 et 21 juin 2025, lors du congrès du Rassemblement des Houphouëtistes pour la démocratie et la paix (RHDP) en Côte d’Ivoire, Patrick Achi (sur notre photo en train de pérorer à la tribune du 2e Congrès du RHDP), ancien premier ministre, implore le président, Alassane Ouattara, de se représenter à l’élection présidentielle d’octobre : “Ne nous abandonnez pas. Si vous ne voulez pas le faire pour nous, faites-le à cause de Dieu.” Cette phrase, lourde de signification, résume à elle seule le glissement opéré dans certaines sociétés africaines où l’appel au divin devient un argument politique pour justifier la transgression des règles constitutionnelles.
Pourtant, Alassane Ouattara avait, déjà, enfreint, en 2020, la Constitution qui limitait les mandats présidentiels à deux. Malgré cela, des voix se sont élevées non pour dénoncer cette violation, mais, pour l’encourager à continuer, y compris parmi des enseignants d’université, censés être les garants du savoir et de l’éthique publique.
II. Le mythe de l’homme providentiel, une illusion dangereuse
Ce culte du chef n’est pas propre à un pays ou un régime. A travers le continent, la rengaine est toujours la même : “Président, nous te voulons encore au pouvoir, tu travailles bien, tu es le meilleur candidat.” Ces éloges, parfois creux, relèvent davantage de la flatterie intéressée que d’un véritable jugement politique. Dans certains cas, le bilan du président est médiocre : hôpitaux délabrés, écoles sans enseignants, routes impraticables, chômage endémique. Pourtant, les appels à la réélection affluent.
Pourquoi donc cette contradiction ? Pourquoi les populations réclament-elles la reconduction de dirigeants qui n’ont pas véritablement amélioré leur quotidien ? La réponse est simple : l’intérêt personnel l’emporte souvent sur l’intérêt général. Les partisans de ces chefs d’Etat ne défendent pas toujours un projet politique ou une vision de société, mais, les avantages, les postes, les marchés, les nominations qu’ils espèrent obtenir ou conserver. La loyauté se monnaye, et le silence devient complice.
III. Le respect du mandat : une leçon démocratique oubliée
L’une des grandes leçons de la démocratie est que “nul n’est indispensable”. L’histoire des nations prouve que les hommes passent, mais, les institutions demeurent. L’exemple de Barack Obama est souvent cité à juste titre. Lorsqu’il quitte la présidence des Etats-Unis, il est encore jeune, populaire, et porteur d’idées. Pourtant, il choisit de respecter la Constitution qui limite les présidents à deux mandats. Il aurait pu modifier la loi ou chercher un subterfuge, mais, il ne l’a pas fait, parce qu’il savait que la force d’une démocratie repose sur le respect des règles, pas sur le charisme d’un homme.

Ce contraste est révélateur. Dans certains pays africains, les Constitutions sont devenues des textes malléables, modifiables à souhait pour satisfaire les ambitions d’un individu. Le peuple, au lieu de défendre ces textes comme les piliers de sa souveraineté, les foule aux pieds en soutenant ceux qui les violent.
IV. Vers une nouvelle conscience citoyenne
Il est temps que les peuples africains prennent conscience de leur rôle dans le maintien ou la rupture de ces cycles autoritaires. L’heure est venue de mettre fin à l’égoïsme politique. On ne soutient pas un président uniquement parce qu’il est de notre ethnie, de notre religion, ou parce qu’il nous accorde des faveurs personnelles. Il faut avoir le courage de dire non, même à celui qu’on admire, lorsque son mandat est terminé ou lorsqu’il ne respecte pas les lois du pays.
La démocratie n’est pas un buffet où l’on choisit ce qui nous arrange. C’est un ensemble de principes qui s’appliquent à tous, sans exception. Si nous voulons des écoles, des hôpitaux, des routes, de la justice et de la paix, nous devons d’abord exiger le respect des institutions. Cela commence par dire non à la présidence à vie, non à la déification des dirigeants, non à la voix qui prétend parler au nom de Dieu pour maintenir un homme au pouvoir.
Conclusion
Les peuples africains doivent cesser de se comporter en complices de leur propre servitude. La démocratie est un combat de chaque jour, et elle commence par le courage de tenir tête aux puissants. Il faut désapprendre l’obéissance aveugle, refuser l’idolâtrie politique et remettre l’intérêt collectif au centre des priorités. Certes, « vox populi, vox Dei » mais la voix qui appelle un dictateur ou un incompétent à rester au pouvoir n’est pas la voix de Dieu. Elle est celle de la peur, de la résignation, de l’intérêt personnel. Et tant que cette voix dominera, les promesses de liberté, de progrès et de dignité resteront de vains mots sur un continent en quête de renaissance.
Jean-Claude DJEREKE
Est professeur de littérature à l’Université de Temple (Etats-Unis).