OUATTARA ET POUTINE : Les limites du populisme et de la démagogie

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Le vocable “populisme”, qui vient du mot latin “populus” (peuple), a une connotation péjorative. Dire d’un homme politique qu’il est populiste, c’est le délégitimer ou le disqualifier en faisant peser sur lui un double soupçon de démagogie et d’opportunisme. On pense que le politicien populiste ne s’adresse au peuple que pour le flatter, qu’il traîne comme un boulet deux qualités ou vices (c’est selon) que Machiavel prête au prince : être un “grand simulateur et dissimulateur”. Aristote mettait déjà en garde contre le démagogue qui n’a pas d’autre objectif que de “séduire le peuple en dénonçant une partie de la population et en faisant des promesses faciles à l’adresse des indigents” (cf. Les Politiques, livre V).

Les politologues ont coutume de distinguer entre populisme de gauche et populisme de droite. Il ne s’agira pas de développer cette distinction ici. Nous nous contenterons de souligner avec Fabrice Flipo que le populisme de gauche tente de renverser l’oligarchie tandis que le populisme de droite cherche à la renforcer”. Flipo ajoute que “le populisme de droite utilise le mensonge et la séduction, bref la démagogie et l’illusionnisme, promettant aux électeurs ce qu’ils ont envie d’entendre” (cf. F. Flipo, Les grandes idées politiques, Bréal, Levallois-Perret, 2015). Pour sa part, l’Américain Kurt Weyland estime que, chez le populiste, les idées sont moins importantes que les actes qui traduisent l’opportunisme (cf. K. Weyland, “Clarifying a contested concept : Populism in the study of Latin American Politics”, Comparative Politics, 34/I, 2001, p. 14).

L’un des plats les plus prisés par les Ivoiriens s’appelle le “garba”. C’est un mélange de thon frit et d’attiéké qui est une sorte de couscous fait à base de manioc. Pourquoi “garba” ? Du temps d’Houphouët, Dicoh Garba était ministre de la Production animale. C’est lui qui, dans les années 1970, aurait commencé à valoriser la pêche du thon. Le garba est le plat fétiche des étudiants qui ne peuvent pas s’offrir trois repas par jour.

Quand Patrick Achi (Premier ministre) et Belmonde Dogo (ministre de la Solidarité et de la Lutte contre la pauvreté)  mangent le garba à Yamoussoukro, le 25 février 2022, quel message veulent-ils envoyer aux Ivoiriens qui souffrent de la cherté de la vie ? Est-ce pour nous dire qu’ils partagent leur sort, qu’ils sont avec eux ?

Manger le garba en plein marché est une comédie qui est loin d’amuser les laissés-pour-compte et gagne-petit de Yopougon, Abobo, Adjamé, Koumassi et Port-Bouët. C’est même une moquerie et une insulte au petit peuple qui n’a pas les moyens de se soigner à la Pisam ou en France quand il est malade.

Si le gouvernement dirigé par Patrick Achi veut être pris au sérieux, il sait ce qu’il doit faire : réduire le nombre de ses ministres, diminuer les prix des denrées de première nécessité, faire disparaître ces institutions inutiles et budgétivores que sont le Sénat, la Médiature, la Haute autorité pour la bonne gouvernance, revoir à la baisse le salaire des ministres, députés, Pca et Dg, supprimer l’exorbitant budget de souveraineté, demander à Dramane Ouattara d’arrêter de se promener avec l’avion présidentiel, etc. Dans certains pays (Autriche, Bulgarie), des ministres et députés ont renoncé à un ou deux mois de salaire pour manifester leur solidarité avec leurs compatriotes qui avaient du mal à joindre les deux bouts. D’autres pays sont allés plus loin en interdisant le cumul d’emplois parce qu’ils jugeaient injuste et indécent le fait qu’un même individu soit ministre, député et maire pendant que des milliers de diplômés sont en quête du premier emploi. Voilà ce que devraient faire des gens qui prétendent aimer leur pays et travailler pour le peuple. Ce que les petites gens attendent, ce n’est pas que “les en-haut-de-en-haut” descendent à leur niveau (habiter dans des quartiers insalubres et non éclairés, manger le garba, etc.) mais que ces derniers les aident à avoir une vie meilleure. Manger le garba une fois en passant, c’est verser à la fois dans le populisme, la manipulation et la démagogie. Il serait toutefois erroné de penser que Patrick Achi est le plus grand démagogue dans notre pays. Il y a quelqu’un qui lui dame le pion sur ce terrain, je veux parler de celui qui promit que la Côte d’Ivoire atteindrait l’émergence en 2020. Or non seulement le pays continue de courir après l’émergence mais il vient d’entrer dans le club des pays pauvres très endettés (PPTE). Qu’est-ce qui n’a pas marché pour qu’il passe subitement du paradis à l’enfer ? Mystère.

Quoi qu’il en soit, je ne crois pas que le souci majeur des Ivoiriens aujourd’hui soit le pseudo-dialogue politique de Ouattara. Je doute fort qu’ils aient envie de savoir qui est digne d’être considéré comme le leader de l’opposition ou qui sera candidat à l’élection présidentielle de 2025. Leur préoccupation première est une baisse des prix des denrées alimentaires. Les personnes qui aspirent à revenir au pouvoir ou à gouverner le peuple devraient donc commencer par défendre les intérêts dudit peuple, se battre pour lui, prendre des risques pour lui mais le combat pour l’amélioration des conditions de vie de la population incombe-t-il uniquement aux partis de l’opposition ? Non. Les consommateurs ont leur partition à jouer. Qu’attendent-ils alors pour prendre leurs responsabilités ? Jusqu’à quand laisseront-ils les démagogues au pouvoir à Abidjan les appauvrir et les clochardiser ?

Quand on quitte l’Afrique, on s’aperçoit que le continent n’a pas le monopole du populisme et de la démagogie. Les pays européens avaient promis de riposter si la Russie attaquait l’Ukraine mais à quoi avons-nous assisté, le 24 février 2022 ? Aucun pays de l’Otan n’était aux côtés des Ukrainiens. Ceux-ci n’eurent droit qu’à des messages de compassion et de soutien. Dans sa dernière allocution, Zelensky a déploré que son pays ait été lâché par ses “amis” à un moment où il avait le plus besoin d’eux. Voici un extrait de cette allocution : “Le sort de notre pays est en train de se décider. Je leur demande : Êtes-vous avec nous ? Ils répondent : Avec vous. Mais ils ne sont pas prêts à nous prendre dans l’Alliance avec eux. Aujourd’hui, j’ai demandé à 27 dirigeants européens si l’Ukraine ferait partie de l’Otan. Tout le monde a peur ! Ils ne répondent pas.” Les Américains ont peur, eux aussi. Et pourtant, leur président avait assuré qu’il défendrait “le moindre pouce de territoire de l’Otan”. Américains et Européens ont peur parce que Poutine avait averti que “ceux qui tenteraient d’interférer avec nous doivent savoir que la réponse de la Russie sera immédiate et entraînera des conséquences que vous n’avez encore jamais connues”.

Ceux qui ont abandonné Zelensky et son peuple en rase campagne accusent aujourd’hui Poutine de violation du droit international et d’agression. Si on veut leur clouer le bec, il suffirait cependant de leur rappeler l’invasion et la destruction de l’Irak, de la Libye, de l’Afghanistan et de la Côte d’Ivoire. Ne se souviennent-ils plus qu’un accord signé en 1991 entre Bush père et Gorbachev stipulait que l’Ukraine, la Pologne, la Roumanie et d’autres pays de l’Europe de l’Est n’avaient pas vocation à intégrer l’Otan ? Ont-ils déjà oublié que, en octobre 1962, les Soviétiques retirèrent leurs missiles nucléaires de Cuba à la demande des États-Unis ?

Au lendemain des bombardements russes en Ukraine, les Européens ont annoncé des sanctions économiques mais quel est l’intérêt de telles sanctions quand le maire du Kremlin a fini de faire ce qu’il voulait faire ? Politiciens et journalistes occidentaux parleront et parleront encore, parce que le verbiage creux est le seul domaine où ils excellent vraiment, mais ils ne pourront rien faire contre le brave et courageux Poutine, ce qui montre que la démagogie a des limites.

Jean-Claude DJEREKE

est professeur de littérature à l’Université de Temple (Etats-Unis).

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