PRESIDENTIELLE EN COTE D’IVOIRE : Violer la Constitution (comme le fait Ouattara), c’est agir contre la Paix

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Les archevêques et évêques de Côte d’Ivoire, au terme de leur 113e Assemblée plénière à Agboville (13-17 juin 2019), constataient que “progressivement s’install[ait] dans notre pays un climat de peur et de terreur”, estimaient que “les prochaines élections [devaient] être transparentes, crédibles et pacifiques pour que tous acceptent les résultats comme expression de la volonté de la majorité des Ivoiriens” et appelaient “le pouvoir exécutif à garantir aux personnes et aux institutions, notamment, la Commission électorale indépendante (CEI), une totale indépendance [car], “si l’arbitre est à la fois joueur et arbitre, la fin de la compétition est déjà connue”. Les prélats regrettaient aussi le fait que des “armes circulent encore dans notre pays”.

Excepté le RDR, qui ne peut que recourir à la fraude et à la violence pour conserver le pouvoir, tout le monde s’accorde aujourd’hui à admettre que l’élection présidentielle du 31 octobre 2020, si elle a lieu, ne sera ni transparente, ni crédible, ni pacifique. C’est dire que rien n’a changé dans le comportement du gouvernement après le message de l’épiscopat catholique ivoirien que nous saluâmes parce qu’il posait le bon diagnostic sur le malade mais aussi et surtout parce que les choses étaient dites sans langue de bois. Monsieur Ouattara a même empiré la situation puisque, en décidant de briguer un troisième mandat, ce qu’interdit notre Loi fondamentale, il a braqué contre lui la grande majorité des Ivoiriens qui sont descendus dans la rue partout dans le pays depuis le 13 août 2020 pour protester contre cette candidature illégale et qui n’entendent pas arrêter les manifestations pacifiques malgré les agressions à l’arme blanche des enfants drogués et la répression des policiers. Si le climat social est tendu en ce moment et si le pays court le risque de l’embrasement, c’est donc uniquement à cause du RDR et de son président (sur notre photo, le sourire moqueur d’Alassane Ouattara).

Nos évêques, en tenant le langage de la vérité au régime en juin 2019, s’étaient réconciliés un peu avec le peuple ivoirien qui n’avait pas compris leur silence et leur passivité face à l’ingérence militaire de la France dans notre pays en 2010-2011 et face aux crimes de Ouattara (2011-2019). L’on s’attendait en 2020 à ce qu’ils continuent sur cette lancée en demandant clairement et fermement à Ouattara de se retirer de la course à la présidence de la République pour que la paix revienne dans le pays car c’est cette candidature illégale qui non seulement pose problème mais risque d’approfondir la division sociale et de brûler le pays. Malheureusement, c’est silence radio de leur côté comme s’ils se refusaient à se prononcer sur une question aussi cruciale alors que leur position est urgemment attendue.

Le seul qui soit sorti de sa réserve est Mgr Touabli Youlo. Le 17 septembre 2020, en effet, l’évêque d’Agboville profita d’une rencontre avec la jeunesse catholique pour donner son avis sur la situation socio-politique du moment. Si son adresse invite les candidats à accepter la victoire de celui qui sera élu au soir du 31 octobre, elle reste, en revanche, muette sur le 3e mandat de Ouattara, sur les candidats injustement écartés de la course par le Conseil constitutionnel inféodé au pouvoir exécutif et sur la Commission électorale aux ordres de Ouattara. Je ne crois pas que cette façon de parler soit une bonne manière d’être un artisan de paix car ce n’est pas l’acceptation d’une victoire entachée de fraude et d’injustice qui nous apportera la paix mais une élection inclusive, équitable et transparente. En d’autres termes, celui qui exclut les candidats susceptibles de le battre après avoir violé la Constitution, c’est celui-là qui expose le pays à la guerre, c’est lui qui est contre la paix, et, si nous aimons vraiment ce pays, nous n’avons pas besoin de tourner autour du pot pour le faire savoir. Pour parodier Albert Camus, je dirais donc que Touabli ajoute au malheur de la Côte d’Ivoire en mal nommant les choses.

Et puis, affirmer que “la Côte d’Ivoire ne sombrera pas [parce que] c’est un pays béni de Dieu” n’a aucun sens. Dieu bénit tous les pays et pas seulement la Côte d’Ivoire. Ce pays ne sombrera pas si nous opposons une farouche résistance à Ouattara qui emploie les mêmes méthodes barbares qu’Augusto Pinochet dont la police politique, la DINA, avait recours en 1974 aux disparitions, aux assassinats et à la torture et faisait régner la terreur sur la société chilienne. 

Un évêque et un prêtre ont librement choisi d’être des bergers. Or, déclare Jésus, le berger par excellence, “le bon berger donne sa vie pour ses brebis” (Jean 10, 11). On n’est pas berger pour les honneurs et l’argent mais pour défendre les brebis contre les loups ou contre les ravisseurs. En 1942, lorsque les Juifs étaient persécutés, Mgr Jules Saliège, ancien archevêque de Toulouse, prit leur défense. Mieux encore, il faisait partie, avec le dominicain Bruckberger et les jésuites Gaston Fessard et Pierre Chaillet, des ecclésiastiques français qui refusèrent la collaboration avec Hitler. Après la Libération, Mgr Saliège fut créé cardinal et reçut son chapeau de cardinal à Toulouse des mains du nonce apostolique Roncalli, futur pape Jean XXIII et successeur de Valerio Valeri dont le général avait demandé le départ. Le chef de la France libre obtint aussi l’exclusion de 7 évêques qui s’étaient compromis avec les Nazis (cf. Jacques Duquesne, “Les catholiques français sous l’occupation”, Paris, Fayard, 1986). Le 2 janvier 2018, alors que Joseph Kabila voulait faire plus de deux mandats, Mgr Laurent Monsengwo prit fait et cause pour la Constitution de la RDC en déclarant haut et fort : “Il est temps que les médiocres dégagent et que règnent la paix et la justice.”

On est d’accord qu’un pays a besoin de paix pour se développer mais une paix stable et durable est-elle possible sans la liberté de pensée, d’expression, de manifester, d’association, etc. ? Dans notre pays, seuls les militants du RDR ont le droit de manifester, de tenir des réunions, de s’exprimer dans les médias publics, de faire campagne avec l’argent et les véhicules de l’Etat. Tout se passe comme si les autres Ivoiriens n’avaient droit qu’au silence. Or, “le silence d’une société tyrannisée est un silence de cimetière qui, à plus ou moins long terme, engendrera inévitablement la révolte”, avertit Shirin Ebadi, Prix Nobel de la paix 2003 et avocate iranienne (cf. “Le Temps” site d’information suisse, du 11 mars 2005). Notre pays peut-il parvenir à la paix sans justice, ni vérité ? Jusqu’à présent, seul un camp, celui de Laurent Gbagbo, fut jugé. Et, Dieu merci, l’ancien président fut acquitté. Qui est donc l’auteur des fameux 3.000 morts ? Pourquoi l’autre camp ne fut-il jamais inquiété ? Le rapport de la CDVR sur la crise qu’a connue notre pays ne fut jamais dévoilé. Pourquoi ? Que craignait celui à qui il fut remis pour qu’il le garde dans les tiroirs ? La paix n’est-elle pas un leurre quand la Constitution est violée par celui-là même qui est censé la protéger et la respecter scrupuleusement ? Je ne puis, par conséquent, emboucher la même trompette que ceux qui se bornent à dire : “Nous voulons la paix ou évitons-nous une autre guerre !” Aujourd’hui, la paix est en danger dans notre pays par la faute d’un seul individu. Cet à cet individu qu’il convient de parler si on est sérieux et si on ne veut pas que le pays bascule dans le chaos. C’est de cet individu qu’il convient de se désolidariser ouvertement, même si on a reçu de lui hier argent, bons d’essence et cadeaux car le pays est plus important que les hommes et partis politiques. Il faut en outre convaincre les candidats retenus on ne sait sur quelle base de ne pas participer à cette mascarade électorale et leur faire comprendre que celui qui bravera l’interdiction, non seulement légitimera un faussaire mais sera perçu comme un ennemi de la Patrie et sera traité comme tel, le moment venu. Mais, ne pas accompagner Ouattara ne veut pas dire le laisser aller tout seul à l’élection. Il s’agit d’empêcher la tenue du scrutin et d’imposer une transition politique qui mettrait tout à plat et préparerait une vraie élection.

Jean-Claude DJEREKE
est professeur de littérature à l’Université de Temple (Etats-Unis).

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