Ecrivain précoce, Mohamed Mbougar Sarr bat tous les records en obtenant le Prix Goncourt à seulement 31 ans. En attendant d’avoir, aussi, d’être fait Prix Nobel de littérature, il est le premier écrivain d’Afrique subsaharienne à être distingué par le plus prestigieux des prix littéraires français. Il a été couronné pour son roman, « La plus secrète mémoire des hommes » (éd. Philippe Rey).
« Je ressens beaucoup de joie. Tout simplement », a-t-il déclaré à la presse à son arrivée à Drouant. « Il n’y a pas d’âge en littérature. On peut arriver très jeune, ou à 67 ans, à 30 ans, à 70 ans et pourtant être très ancien », a-t-il ajouté.
Trois autres auteurs étaient finalistes du plus ancien prix littéraire français, qui récompense depuis 1903, « le meilleur ouvrage d’imagination en prose, paru dans l’année » et écrit par un auteur d’expression française. Il s’agissait de Christine Angot avec Le Voyage dans l’Est (Flammarion), Sorj Chalandon avec Enfant de salaud (Grasset) et Louis-Philippe Dalembert avec Milwaukee Blues (Sabine Wespieser).
Plus jeune lauréat depuis Patrick Grainville en 1976, Mohamed Mbougar Sarr est le premier écrivain d’Afrique subsaharienne à être consacré par le plus prestigieux des prix littéraires et le plus jeune lauréat depuis Patrick Grainville en 1976.
Le succès va lui peser sur les épaules pendant quelque temps avant de redevenir lui-même.
Né en 1990, fils d’un médecin de Diourbel, dans le Centre du Sénégal, il se révèle excellent élève et avide lecteur. Quand on lui demande s’il a ressenti une certaine pression de ses parents pour réussir en tant qu’aîné de six frères, il répond : « Non, pas nécessairement ! J’ai envie de, simplement, donner le meilleur exemple qui soit à mes frères ». Il intègre la filière d’élite des garçons de son pays, le prytanée militaire de Saint-Louis-du-Sénégal.
Beaucoup de métiers lui viennent en tête, médecin, footballeur, militaire, journaliste, avocat, professeur… Et à l’heure des études supérieures, ce surdoué choisit une autre filière d’élite, les classes préparatoires littéraires en France, dans un lycée de Compiègne près de Paris. Elle l’amènera dans une des plus prestigieuses « grandes écoles » françaises, l’Ecole des hautes études en sciences sociales. Ses recherches portaient sur la grande voix de la littérature africaine et chantre de la « négritude », Léopold Sedar Senghor. « Je n’ai pas terminé ma thèse, parce que j’ai commencé à beaucoup écrire à ce moment-là, et que la fiction l’a emporté », confie-t-il. Il vit aujourd’hui à Beauvais, au Nord de Paris.
Son entrée en littérature s’est faite dès ses 24 ans, avec « Terre ceinte », publié par une maison dont le catalogue l’avait formé, Présence africaine, fondée dans les années 50 par un autre Sénégalais, Alioune Diop, et dirigée, aujourd’hui, par son épouse d’origine camerounaise, Christiane Diop. Suit Silence du coeur en 2017.
Venir « d’une marge »
Philippe Rey, éditeur à l’expertise reconnue pour la littérature francophone, l’a convaincu de le rejoindre pour les troisième et quatrième, « De purs hommes » (2018) et « La plus secrète mémoire des hommes » (2021). Sur ce livre qui explore le destin d’un écrivain sénégalais maudit inspiré du Malien, Yambo Ouologuem (1940-2017), Prix Renaudot en 1968, Philippe Rey, connu pour son exigence, s’est montré particulièrement attentif. D’après lui, Mohamed Mbougar Sarr, après avoir exploré si finement toute la littérature africaine, tenait le sujet qui allait le faire percer. Il n’y avait qu’à travailler, retravailler encore ce texte.
« J’ai eu beaucoup de chance, d’avoir été soutenu : ce n’est pas le cas de tous les écrivains africains. Ni de tous les écrivains tout court ! Je suis bien conscient qu’être un écrivain africain publié en France peut être compliqué, comme pour tous ceux qui viennent d’une marge. Mais, c’est en train de changer. Que la littérature africaine reste largement à connaître, c’est aussi une chance pour elle », estimait l’écrivain en septembre.
Mohamed Mbougar Sarr devant un nuage de reporters et de caméras : le bonheur !
Mohamed Mbougar Sarr a, aussi, été primé pour le courage de ses opinions. C’est vrai qu’à son âge, on peut être considéré comme un « sans souci » qui dit ce qu’il veut, au nom de la démocratie et de la liberté d’expression, sans se soucier des qu’en dira et des qu’adviendra-t-il. Dans un Sénégal hyper religieux et contrôlé à 95% par des confréries musulmanes, son ouverture d’esprit sur l’homosexualité a de quoi étonner même le président, Macky Sall, qui opposa une fin de non recevoir sur cette question au président, Barack Obama, lors de sa visite officielle de 24 heures au Sénégal, en juin 2013. Il avait inscrit cette question dans son agenda de travail avec Macky Sall, qui l’avait zappée. Très respectueusement, le président du Sénégal lui fit savoir que bien qu’ouvert sur le monde, le Sénégal récusait, totalement, de telles mœurs qui étaient à l’antipode du vivre-ensemble des Sénégalais.
C’est à ce niveau où on note la relative insouciance de Mohamed Mbougar Sarr, qui ne prend pas de gants pour condamner et même stigmatiser le double comportement de certains Sénégalais adeptes de l’homosexualité, qui refusent d’en faire état au grand jour.
« En somme, un bon homosexuel au Sénégal est soit un homosexuel qui se cache, soit un amuseur public, soit un homosexuel mort. Pourtant, il y a des sortes de carnavals où les hommes se déguisent en femmes, et inversement. Cela pourrait nourrir une réflexion sur les genres, leur influence et leur porosité. Mais les personnes qui pourraient s’intéresser à ces sujets ne le font pas à cause de la pression sociale.
Essayer ne serait-ce que de réfléchir à l’homosexualité, c’est s’exposer à un danger. C’est se rendre compte qu’on est moins radical qu’on le voudrait et donc qu’on est dans le péché. Alors les gens se rangent derrière les lieux communs : « Ils sont malades, il faut les soigner », « Ils l’ont choisi et le font par provocation », etc. Ces paroles empêchent de se demander : « Est-ce que je n’ai pas un ami, un fils, un frère dont je sais ou sens qu’il est homosexuel ? Dois-je arrêter de lui parler ? »
Malheureusement, le pouvoir religieux a une emprise très forte sur les esprits. Même les hommes politiques ou les universitaires doivent avant tout faire allégeance au pouvoir religieux. Si la situation de l’homosexualité au Sénégal doit évoluer, les religieux se défendront très fortement. On ne fera pas l’économie d’un moment extrêmement violent, dans les débats ou dans les actes » (fin des propos tenus par le nouveau Prix Goncourt en 2018 en France).
Le choix du nouveau Prix Goncourt est très clair. Il prend faits et cause pour cette nouvelle société non réglementée et surtout non cadrée, où la liberté est sans limite. On peut se demander si le courage suicidaire de ce jeune Sénégalais n’a pas joué en sa faveur dans le choix final et rapide du Goncourt ? En effet, il n’y a vraiment pas eu match dans la mesure où il a obtenu 6 voix sur 10 dès le premier tour. Aurait-il obtenu les mêmes faveurs avec une conception rétrograde de l’homosexualité conformément aux préceptes religieux défendus par les confréries musulmanes du Sénégal ?
Remettons les choses en place : Il est honnête et surtout très juste de penser que le mariage est une affaire qui se conclut entre les personnes de sexe différent et que l’homosexualité est par essence contre-nature. La bible et le coran, livres de sagesse par excellence, ne trahissent pas l’homme en prônant la même chose.