RESEAUX SOCIAUX AU MAROC : Entre émotion collective et régression sociétale

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Une véritable calamité que ces réseaux sociaux au Maroc ! En l’espace de quelques jours, l’opinion publique s’est successivement passionnée pour trois affaires d’une insignifiance sociétale relative, mais d’une portée émotionnelle considérable. D’abord, un mariage fastueux dans le Nord, étalé sur les réseaux sociaux et suscitant débats et indignations. Ensuite, l’union controversée de la fille d’une chanteuse populaire avec un homme déjà marié, qui a de nouveau enflammé les discussions virtuelles. Enfin, tout récemment, le cas d’un ancien agent d’exploitation de la RAM (Royal Air Maroc), prétendument, ruiné et réduit au statut de sans-abri à cause de son ex-épouse, accusée de lui avoir soutiré neuf millions de dirhams grâce à une procuration.

Relayée à outrance, cette dernière affaire s’est muée en véritable feuilleton à la turque, mobilisant internautes, influenceurs et même certains médias à scandale. On multiplie les entretiens avec l’intéressé, ses anciennes connaissances, ses deux ex-épouses : les uns accusent, les autres se défendent. L’épouse incriminée saisit la justice, et la sphère numérique se transforme en tribunal parallèle où chacun rend son propre verdict.

Cette effervescence illustre à quel point les Marocains demeurent, dans l’espace numérique, prisonniers d’un mode de réception émotionnel. Le sentiment prime sur la raison, la réaction sur la réflexion. Cette régression vers un stade presque primitif de la communication collective mérite une analyse psycho-sociale approfondie.

Le phénomène trouve son origine dans plusieurs facteurs. D’abord, dans le modèle éducatif traditionnel où l’oralité l’emporte : l’enfant est nourri d’histoires émouvantes, souvent dramatisées, transmises sans distance critique. Ce goût pour le récit sensationnel se transpose aujourd’hui dans l’espace numérique, où le colportage virtuel remplace les conversations de quartier. S’y ajoutent une faible culture médiatique et un manque d’esprit critique, rendant les individus particulièrement vulnérables aux récits victimaires ou scandaleux.

Ainsi, les réseaux sociaux ne se contentent plus de refléter la société : ils amplifient ses penchants les plus archaïques, transformant le vécu individuel en spectacle collectif. Ce constat appelle une réflexion urgente sur l’éducation médiatique, la formation du jugement critique et la responsabilisation des usagers dans la construction de l’opinion publique.

Conclusion

Face à cette dérive émotionnelle amplifiée par les réseaux sociaux, il devient urgent d’interroger la manière dont la société marocaine consomme et interprète l’information. La viralité, devenue norme, favorise la superficialité du jugement et l’immédiateté de la réaction. Le citoyen connecté, abreuvé d’images et de récits fragmentaires, tend à substituer l’émotion à la raison, la rumeur à la vérification, la compassion éphémère à la réflexion durable.


Cette dynamique révèle une crise plus profonde : celle de la socialisation numérique. Là où l’école, la famille et les médias traditionnels avaient pour mission de former l’esprit critique, les plateformes sociales exacerbent au contraire la quête de reconnaissance et la logique du spectacle. On n’échange plus pour comprendre, mais pour exister à travers la réaction, le partage ou le jugement moral.

L’enjeu dépasse donc la simple critique des réseaux : il s’agit d’un défi de civilisation. Former des citoyens capables de distance, de discernement et de mesure devient une nécessité éducative et culturelle. Sans cette évolution, la société risque de demeurer prisonnière d’un cercle vicieux où chaque scandale virtuel remplace le précédent, dans une succession infinie d’indignations collectives aussi bruyantes qu’éphémères

En somme, l’ère numérique n’a pas seulement transformé la communication ; elle a redéfini la manière même dont nous percevons le réel. Et tant que l’émotion primera sur la raison, le débat public restera un théâtre d’ombres, où le vacarme remplace la pensée.

Par Docteur Lahcen Benchama

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