Certes, des jeunes ont parlé à Emmanuel Macron “sans craine ni tremblement” (Sören Kierkegaard) et l’un d’entre eux, d’une manière subtile, a même souhaité le départ des bases militaires françaises du continent ainsi que l’abandon du franc CFA ; certes, le numéro un français a avoué que “des habitudes ont été prises, des systèmes ont été protégés pour les intérêts financiers de grandes entreprises de pays, côté européen, même après la décolonisation, ou pour bouger des dirigeants et pour les supprimer quand ils gênent les affaires” mais peut-on affirmer, sérieusement et objectivement, que ce sommet fut celui de la rupture dans la relation entre la France et ses anciennes colonies ? Pour nous, la réponse est “non” et nous le démontrerons en dévoilant, dans un premier temps, deux gros mensonges d’Emmanuel Macron. Nous reviendrons ensuite sur sa volonté de ne pas faire repentance pour les crimes de son pays en Afrique. Nous terminerons par deux remarques.
Macron soutient que le pillage de nos ressources naturelles par des entreprises occidentales et l’élimination des présidents africains qui refusent de se soumettre à l’Occident ont disparu. Selon lui, “il n’y a pas un pays où on le fait aujourd’hui. On ne supprime plus les dirigeants, ce n’est pas vrai.” On peut se demander ici quand commence et s’arrête le “aujourd’hui” de Macron : Le bombardement, le kidnapping, l’humiliation en mondovision de Laurent Gbagbo et sa déportation à La Haye ont-ils eu lieu au 20e siècle ? Le soutien de la France à des régimes violents et incompétents, la validation des 3e mandats anticonstitutionnels (sur notre photo, Macron est ami ami avec deux violeurs de la constitution : Condé et Ouattara) et les successions dynastiques à la tête de l’État ne se sont-ils déroulés que sous Chirac, Sarkozy et Hollande ?
Le président français promet 4 millions d’euros pour le développement du sport en Afrique et 30 millions d’euros pour “aider les acteurs du changement sur les questions de bonne gouvernance et de démocratie”. C’est un autre mensonge car, si la promesse est tenue, l’Afrique francophone recevrait en réalité une infime partie de ses avoirs de réserve de change déposés dans les comptes d’opérations contrôlés par le Trésor français (500 milliards d’euros chaque année), montant qui est largement supérieur aux 10 milliards d’euros que l’Afrique reçoit chaque année de la France, ce qui signifie que, depuis 1960, c’est l’Afrique qui aide massivement la France et non l’inverse. Macron croit qu’il suffit de promettre aux Africains un peu de leur propre argent pour leur faire oublier les méfaits de la Françafrique. Il se trompe lourdement car, pour un bon nombre de jeunes, l’Afrique a besoin, non pas qu’on lui donne l’aumône, des conseils ou des leçons, mais que ceux qui l’occupent et pillent ses richesses la quittent le plus tôt possible avec leur monnaie nazie et leurs bases militaires qui ne servent qu’à protéger les valets et sous-préfets qu’ils ont mis au pouvoir.
Enfin, ce qui montre que rien n’a changé dans la relation entre la France et les pays africains, c’est le refus de Macron de demander pardon pour les crimes coloniaux et néocoloniaux commis par la France sur le continent africain. Plutôt que de faire montre d’arrogance, la “patrie des droits de l’homme” gagnerait à suivre l’exemple de l’Allemagne qui, quoique plus puissante et plus respectée que la France, présenta des excuses à la Namibie pour le massacre des Hereros en 1904. Il n’y a pas de mal à battre sa coulpe comme Heidemarie Wieczoreck-Zeul, ministre allemande de la Coopération et du Développement, qui déclarait le 14 août 2004 ceci : “Nous, Allemands, acceptons notre responsabilité morale et historique, et la culpabilité des Allemands à cette époque. J’ai un grand respect pour vos ancêtres qui sont morts pendant le soulèvement (Herero). Ceux qui ne se souviennent pas du passé sont aveugles face au présent. L’Allemagne a appris les amères leçons du passé. Au nom de Dieu, je vous demande de nous pardonner.” Les Britanniques qui, en juin 2013, reconnaissaient leur responsabilité et annonçaient des indemnisations pour les 90.000 Mau-Mau (Kenya) tués entre 1952 et 1960 rabaissaient-ils leur pays ? Non !
Pour conclure, je voudrais faire deux remarques. La première a trait aux intellectuels africains que certains internautes rendent responsables des malheurs du continent après que l’historien camerounais Achille Mbembe eut accepté de copiloter le sommet de Montpellier. Ils sont qualifiés de corrompus et de vendus. Cette généralisation me semble irrecevable parce que tous les Africains ayant fait des études supérieures ou travaillant à l’université comme enseignants ou chercheurs ne sont pas pourris, complexés, traîtres ou truqués. Se trouvent en Afrique et dans la diaspora africaine des intellectuels lucides, patriotes et libres. Ceux-là, les plus nombreux d’ailleurs, Eboussi les appelle “les intellectuels authentiques” parce qu’ils “ont résisté aux séductions de l’intégration, ont refusé de se renier, de se truquer, sont restés sur la brèche, entre le passé et l’avenir, entre deux mondes… sont demeurés des êtres réels, des humains”. Eboussi poursuit : “Il y faut une double rupture avec la servilité et la complaisance avec les mythes de l’altérité et de l’identité. Ce deuxième degré de courage fait du paria conscient un solitaire absolu et peut entraîner pour lui bien des privations et des tracas. En un sens, il est du côté des vaincus.” Cet intellectuel authentique ou paria conscient, le philosophe camerounais l’oppose au “pseudo-intellectuel [qui] veut s’intégrer dans les réseaux administratifs, entrer dans les circuits où se stockent et se redistribuent les biens rares, les honneurs et les plaisirs”. Et Fabien Eboussi de conclure : “Comme tout parvenu, le pseudo-intellectuel africain est un être qui ne s’accepte pas, qui élude la confrontation sérieuse avec lui-même et avec le modèle auquel il s’est identifié au mépris de soi et des siens. Il n’est nulle part, à force de vouloir être partout. Vis-à-vis des siens, il se croit la mission de les éclairer, de les refaire comme du dehors, en vertu des connaissances et de l’autorité qu’il a acquises auprès des détenteurs de la modernité. Il adopte, sans les situer, tous les discours humanistes de l’universalité, et en use comme d’un instrument de jugement péremptoire. Cela lui fait faire l’économie de s’investir dans l’exploration du réel, pour n’avoir plus qu’à subsumer le particulier sous le général ou à accuser le réel et la vie qui refusent de se laisser enfermer dans des cadres préconçus, des concepts oublieux de leur engendrement et des problèmes dont ils sont les solutions. La violence et la méconnaissance vis-à-vis de là où il vient lui sont consubstantielles : la honte de soi l’accompagne sourdement. Vis-à-vis des autres, c’est la complaisance qui domine, l’absence du sens critique et historique.” (cf. ‘Lignes de résistance’, Yaoundé, Clé, 1999, pp. 36-42). On voit ainsi que, pour Eboussi, les intellectuels ne sont pas d’abord les détenteurs d’un parchemin et/ou d’un titre académique, ni des agitateurs d’idées mais ceux qui, en plus d’épouser la cause et les combats du peuple, “mettent leur tête sur le billot en assumant la difficile tâche de protester pendant que d’autres se taisent prudemment ou n’ouvrent la bouche que pour flatter les détenteurs du pouvoir” (Melchior Mbonimpa , « Un intellectuel organique ? » dans Ambroise Kom, ‘Fabien Eboussi Boulaga, la philosophie du Muntu’, Paris, Karthala, 2009, p. 175).
La seconde remarque concerne la légitimité de cette causerie entre Macron et les jeunes qui, de notre point de vue, ne représentent qu’eux-mêmes : Siègent-ils au Parlement de leur pays ? Ont-ils été mandatés par la jeunesse africaine ? Au nom de qui parlent-ils ? Quel est leur pouvoir de décision ? Qui a pris en charge leurs billets d’avion, hébergement et repas ? Ne savent-ils pas que la jeunesse chinoise, russe, indienne ou coréenne n’a jamais eu une causerie de ce genre avec un dirigeant britannique, espagnol, portugais ou allemand ? Les jeunes qui ont discuté avec Macron devraient comprendre la chose suivante : un esclave ne demande pas à son maître de l’affranchir mais se libère lui-même. C’est en Afrique que nous devons briser le joug de l’occupation et de l’exploitation qui pèse sur nos pays depuis 1960. La jeunesse peut faire beaucoup dans ce combat à condition qu’elle se concerte et qu’elle mutualise ses idées et stratégies. La République centrafricaine et le Mali ont commencé à se libérer de la tutelle française, ce qui provoque panique et colère chez les dirigeants français. Consciente que sa présence sur le continent est de plus en plus contestée par la jeunesse africaine, la France espère éteindre le feu en invitant des jeunes triés sur le volet, en proférant menaces et insultes mais c’est peine perdue parce que “le coassement des grenouilles n’empêche pas l’éléphant de boire” (proverbe africain).
La France a beau remplacer “Françafrique” par “Afrique France”, elle a beau effrayer les autorités maliennes ou dénigrer la Russie, elle aura du mal à empêcher l’Afrique de prendre son destin en main. Les Africains sérieux et lucides n’étaient pas présents à Montpellier parce qu’ils avaient conscience que se rendre à Montpellier, c’est aller à Canossa, que la France ne reculerait pas sur les problèmes de fond (fermeture des bases militaires françaises, disparition du franc CFA, non-immixtion dans les affaires internes) et que cette mascarade “ne servirait qu’à renforcer la domination économique des pays riches et, en particulier, celle de la France sur les pays du continent africain” (CGT).
Jean-Claude DJEREKE
est professeur de littérature à l’Université de Temple (Etats-Unis).