Tchad-RCA

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La guerre ?

Les affrontements entre les soldats de l’armée tchadienne et un groupe de « mercenaires » en territoire centrafricain le 6 août dernier est, au-delà de toutes les affirmations officielles, une petite démonstration de force du président tchadien vis à vis de son homologue de Bangui qui n’en finit pas d’héberger des dissidents de son régime.

Les 22 morts (dont deux soldats tchadiens et 20 assaillants selon N’Djaména) causés par cet affrontement sont résolument les victimes supplémentaires d’ un « réglement de compte » entre deux présidents qui se détestent depuis l’année dernière après avoir passé presque une décennie à entretenir des relations quasi-familiales, en s’appelant publiquement « mon frère et ami … »

Plusieurs fois, Idriss Deby a fait savoir à son homologue centrafricain qu’il n’est pas content de la présence de plus en plus visible de rebelles tchadiens dans l’extrême nord de la RCA. Bangui a toujours nié les faits et argué qu’il ne s’agit que d’un groupe de « paramilitaires » recrutés par ses soins pour lutter contre des brigands de grand chemin (appelés Zaraguina) qui écument le septentrion centrafricain en rançonnant les voyageurs. Les autorités centrafricaines présentent d’ailleurs ces bandits comme étant des anciens militaires tchadiens. Mais les réalités qui entourent cette « querelle de pauvres » sont un peu plus profondes. Selon des sources concordantes, Idriss Deby aurait tout intérêt à allumer le feu dans cette zone frontalière où de plus en plus de dissidents de son régime s’amassent avec armes et bagages, sous l’oeil bienveillant de Ange-Félix Patassé. La dernière goutte qui aurait fait déborder le vase est le cas du lieutenant Abdelkerim Tchéré, ex-chef de service du secrétariat du ministère tchadien de la Défense. Cet officier a rejoint la bande d’Abdoulaye Miskine avec sept autres compagnons d’armes à la fin du mois de juillet dernier.

Qui est Abdoulaye Miskine ? C’est un ancien lieutenant du rebelle sudiste Laokein Bardé, massacré en 1998 par les soldats de Deby après un accord de paix signé et violé aussitôt (une pratique constante au Tchad). Miskine a alors fui en RCA et s’est tenu à carreau dans la brousse centrafricaine jusqu’au jour où Ange-Félix Patassé décide de faire la guerre à ces Zaraguina. Il embauche ce rebelle comme patron d’une force spéciale, placé directement sous ses ordres.

C’est tout sauf une coïncidence si cette force a pris forme juste après la fuite au Tchad en novembre 2001 du général François Bozizé, accompagné d’une centaine de soldats. Cet ex-chef d’état major de l’armée centrafricaine est accusé par le régime de Bangui d’avoir fomenté un coup d’état. Patassé a reclamé à plusieurs reprises « l’extradition » du putschiste mais Idriss Deby a toujours opposé une fin de non recevoir à cette demande.

Du, coup la tension est montée en flèche entre les deux hommes d’Etat et s’est illustrée par la cessation de propos dithyrambiques de Patassé à l’égard d’Idriss Deby, lui qui était si enclin à dire à toutes les occasions qu’il doit une fière chandelle au président tchadien. Celui-ci, en effet, avait dépêché des centaines de ses soldats à Bangui pour sauver le régime de Patassé en butte à de multiples mutineries de l’armée centrafricaine.

Au début du mois de mars dernier, le Tchad et la RCA étaient au bord de la rupture diplomatique quand la bande à Miskine a passé par les armes 11 Tchadiens faussement accusés d’être des Zaraguina. La rage d’en découdre avec ce voisin du sud était à son comble dans l’entourage de Deby. Mais l’engagement rapide en médiation du chef de l’Etat libyen, Mu’ammar Al-Kadhafi, mentor et protecteur respecté des deux antagonistes a temperé quelque peu les ardeurs des va-t-en guerre du côté tchadien.

Toutefois, sous forme d’expéditions punitives, de groupes de civils armés ont franchi la frontière à plusieurs reprises pour raser quelques villages centrafricains, juste une semaine après l’exécution de ces 11 Tchadiens. Le cas le plus retentissant concerne le village de Mgbada, situé à une vingtaine de kilomètres de la frontière. Toutes les cases et tous les greniers de cette localité ont été incendiés à cette occasion. Le millier d’habitants a été dispersé dans la brousse.

C’est un signal fort et sournois adressé par le président tchadien à son homologue de Bangui, comme pour lui dire qu’il peut frapper sous plusieurs formes et à tout moment. Il n’hésite d’ailleurs pas à proférer de menaces à peine voilées par la voix de son ministre de l’Information, Moctar Wawa Dahab, qui a déclaré plusieurs fois, à propos, que  » le Tchad se réserve le droit de réagir en temps opportun ». Ce moment attendu semble être venu car la concentration des troupes tchadiennes à la frontière avec la RCA à l’heure actuelle est un indice qui ne trompe pas.

De sources bien informées, le général Bozizé pourrait servir de pion à Deby dans des actes de déstabilisation du régime Patassé à partir du Tchad. Cet officier demeure toujours populaire au sein des forces armées centrafricaines (FACA). Ce qui n’est pas le cas du président actuel qui se protège contre sa propre armée en ayant recours aux soldats libyens depuis le coup d’état ourdi par un autre général, l’ex-chef d’Etat André Kolingba, le 28 mai 2001. Très récemment, une colonne de soldats centrafricains fidèles au général Bozizé ont attaqué le village centrafricain de Kabo (dans le nord de la RCA) dans la nuit du 10 au 11 août. Cette localité est restée de très longues heures sous le contrôle des assaillants.

Dans les deux capitales, les voix offcielles s’élèvent pour prêcher la paix et rappeler les liens séculaires qui existent entre les peuples tchadiens et centrafricains. Mais aucune action concrète n’est prévue pour désamorcer la « bombe » que chacun cache contre l’autre. Et la médiation du dirigeant libyen, actionnée par son ministre de l’Intégration africaine, Ali Triki, puis par le secrétaire général de la Communauté des Etat Sahélo-sahariens (Comessa), Mohamed Al Madani Al Azhari, ne rapproche pas encore les protagonistes de ce conflit. Cette personnalité vient de séjourner en RCA et au Tchad sans reel succès. En bon diplomate, cependant, il s’est déclaré optimiste à l’issue de ses entretiens à Bangui et à N’Djaména avec les deux chefs d’Etat. Mais ce 11 août, un communiqué diffusé par les autorités centrafricaines mentionne le report sine die du Sommet de réconciliation prévu à la fin du mois d’août à Khartoum au Soudan.

Les accrochages du 6 août risquent d’être un prélude à une longue série d’affrontements mêlant rebelles et armées régulières des deux pays. Ce risque est vraisemblable à la lumière des propos répétitifs d’Idriss Deby qui menace d’écraser par tous les moyens toute trace de rébellion dans cette région hautement stratégique pour son régime : le gisement de pétrole de Doba est à une centaine de kilomètres de la frontière avec la RCA. Et l’exploitation en cours de cette richesse assure à N’Djaména, pour le moment du moins, le soutien des puissances étrangères qui y comptent des intérêts importants par le biais de leurs firmes multinationales : la France avec Bouygues et les Etats-Unis avec Mobil et Chevron…

Pire, cette rébellion serait de trop pour Idriss Deby qui fait face depuis 1998 à une autre rébellion beaucoup plus organisée dans la partie septentrionale du pays, le fameux Mouvement pour le démocratie et la justice au Tchad (MDJT) de Youssouf Togoïmi, son ancien ministre de la Défense.

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