Le discours du chef de la diplomatie togolaise à la 80e Assemblée Générale des Nations-Unies restera mémorable dans les annales de l’organisation. Il est d’une violence sans pareille dans sa capacité à mettre tous les anciens pays colonisateurs devant leurs crimes d’hier et la responsabilité qu’on attend d’eux aujourd’hui. Prononcé par le professeur, Robert Dussey, au nom du président, Faure Gnassingbé, empêché, ce discours a d’abord surpris car personne ne l’attendait et n’y pensait, sauf, à Lomé où il a été concocté. Car si on savait que la capitale togolaise est devenue peu à peu le lieu indiqué où les Africains réfléchissent à leur question mémorielle et ce depuis quelques années, on était loin d’imaginer que les réclamations allaient être portées jusqu’à la place de l’Afrique sur la carte du monde. Et pourtant, démonstration a été brillamment faite de la tromperie sur la marchandise. En effet, l’Afrique devrait occuper une place beaucoup plus importante sur la carte du monde et cela n’ayant volontairement jamais été le cas, les Africains demandent réparation à cette supercherie et tout de suite. Voici les passages les plus importants du discours du ministre togolais des Affaires étrangères prononcé à la tribune des Nations-Unies, au nom de son président, Faure Gnassingbé.
Comme vous le Saviez, l’Union africaine a choisi pour thème pour l’année 2025 « Justice pour les Africains et les personnes d’ascendance africaine par les réparations ». C’est à la lumière de cette ardente soif de justice qu’il faut comprendre le combat actuel de l’Afrique pour les réparations. L’Afrique, réclame la justice et son pendant la réparation. L’Afrique réclame justice pour avoir été humainement pillée et humiliée à travers l’esclavagisation de ses fils et ses filles pendant plus de quatre siècles. Plus de 20 millions d’Africains ont été arrachés à leurs familles et déportés vers les Amériques où ils ont été mis en esclavage. Les âmes de ces millions d’hommes sont en attente de justice.

L’Afrique réclame justice pour avoir été désorientée et profondément perturbée dans sa trajectoire historique par près d’un siècle de colonialisme. L’Afrique réclame justice pour avoir payé de son sang et de ses ressources la prospérité d’autres continents. L’Afrique réclame justice parce qu’entre 80 et 90% de son patrimoine culturel se trouve aujourd’hui dans des musées étrangers. L’Afrique réclame justice parce que des restes humains africains demeurent entre les mains des étrangers en dehors du continent en violation des lois sacrées de l’Humanité. L’Afrique réclame justice parce que sa contribution significative à la victoire sur les ténèbres du fascisme au 20e siècle a été négligée lors de la fondation des Nations Unies en 1945. L’Afrique réclame justice parce qu’elle a été exclue pendant 80 ans des instances décisionnelles du monde. L’Afrique réclame justice parce que le Conseil de Sécurité est assis sur le droit de ses peuples à une juste et équitable représentativité en son sein.
Soyez rassuré, l’Afrique n’est pas tournée vers le passé. Nous n’invoquons pas la mémoire de l’esclavage et de la colonisation pour ressasser la douleur. Nous le faisons pour construire un avenir de justice et d’équité.
Pour illustrer mes propos, je voudrais commencer en vous montrant une carte du monde. Une carte qu’on a tous étudiée à l’école. On l’appelle un planisphère, en langage technique on l’appelle la projection de Mercator, du nom d’un cartographe Flamand, Gerardus Mercator. Et sur cette carte qu’on utilise tous, il y a un gros problème. La projection Mercator, héritée du XVIᵉ siècle, réduit le continent d’environ moitié tout en grossissant l’Europe et l’Amérique du Nord. L’Afrique s’étend sur plus de 30 millions de km², soit trois fois la superficie des Etats-Unis. Pourtant, sur nos cartes du monde, elle paraît à peine plus vaste. Avec une superficie d’environ 30,3 millions de km² (11,7 millions de miles carrés), y compris les îles adjacentes, elle couvre 20 % de la superficie terrestre de la Terre et 6 % de sa superficie totale. Avec près de 1,4 milliard d’habitants en 2021, elle représente environ 18 % de la population mondiale. La taille de l’Afrique est minimisée intentionnellement. Elle est minuscule de la même taille que le Groenland ou la Russie et pourtant c’est faux quand on pense à la taille réelle du continent et de ses 54 pays. L’Afrique seule peut contenir les Etats-Unis, la Russie, l’Inde, la France, la Grande Bretagne, la Chine etc… C’est pourquoi le Togo en soutien à l’Union africaine appelle à corriger la représentation de l’Afrique sur les cartes du monde. Avec la campagne que je demande aux Nations-Unies de soutenir « Correct the MAP ». Il faut décoloniser la géographie. Il faut une nouvelle cartographie politique de l’Afrique. |
Vous comprenez également pourquoi, lors du deuxième Sommet Afrique-Caraïbes, tenu le 7 septembre à Addis-Abeba (Ethiopie), l’Afrique et les Caraïbes ont réaffirmé leur détermination à mettre leur partenariat fraternel et transcontinental au service de la justice réparatrice pour les Africains et les personnes d’ascendance africaine, et ont souligné la nécessité d’avancer vers « la création d’une Décennie de l’Union africaine pour la justice pour les Africains et les personnes d’ascendance africaine (2026-2036) par le biais des réparations ». Je tiens ici à saluer nos frères et sœurs des Caraïbes qui ont saisi le sens de ce combat : vous avez compris qu’en nous unissant pour la cause des réparations, nous la ferons progresser plus efficacement. C’est là aussi l’essence du panafricanisme, un panafricanisme pour la justice et pour la cause des réparations. C’est cette même soif de justice qui a poussé le Togo à soumettre aux instances délibérantes de l’Union africaine l’initiative qui a conduit à la décision adoptée par la Conférence des chefs d’Etat et de gouvernement de notre organisation continentale, le 16 février. 2025, pour qualifier l’esclavage, la déportation et la colonisation de crimes contre l’humanité et de génocide contre les peuples d’Afrique. Cette décision marque un tournant majeur pour l’Afrique et les peuples d’ascendance africaine, car elle contredit la logique selon laquelle ce sont les descendants des auteurs qui dictent les termes du débat et nomment leurs crimes, plutôt que les héritiers légitimes des peuples qui ont subi ces crimes dans leur chair. |
Les Nations-Unies ne doivent pas rester indifférentes à la justice réparatrice puisque les crimes et les injustices passés non réparés, où qu’ils soient, fournissent du carburant aux crises et conflits de notre temps et alimenteront ceux à venir. Les crises actuelles se nourrissent des injustices du passé non soldées, parce que les peuples ont la mémoire de leurs blessures. La réparation des crimes et des injustices du passé fait partie des recettes qu’il nous faut pour repacifier le monde et les relations entre les civilisations. L’Afrique, en tant que continent de résilience et d’espoir, incarne cette nécessité de justice réparatrice. La reconnaissance des injustices du passé, en particulier, à travers des actions concrètes en faveur des réparations constitue une étape indispensable pour établir une paix durable et une cohésion sociale. C’est pourquoi, du haut de cette tribune et avec gravité, je voudrais interpeller l’opinion publique universelle sur la nécessité d’avoir le courage d’affronter la question des réparations. |

Aujourd’hui, l’Afrique tient debout à la face du monde et réclame réparation. Réparer les crimes du passé, c’est réparer l’Histoire. Et réparer l’Histoire, c’est lever les obstacles pour plus de justice et d’équité dans le monde ; c’est démanteler les systèmes fondés sur l’exploitation, qui continuent d’influencer et de structurer la vie de plusieurs peuples ; c’est sauver le monde de l’oubli et perpétuer la mémoire des millions de personnes ; c’est agir au présent pour corriger les préjudices du passé ; c’est libérer le monde de la discrimination et du racisme ; c’est sortir du « piège sans fin » de l’exclusion et du déni de justice. Parmi les réparations que l’Afrique attend du monde, il y a, outre celles de la Traite Atlantique et de la colonisation, les réparations devant impliquer une reconfiguration des systèmes commerciaux mondiaux et des réformes économiques et financières globales, la restructuration de la dette, des réparations structurelles pour une juste et équitable représentativité dans les instances internationales. |
Les réparations ne consistent pas seulement en une compensation matérielle. Elles doivent aussi prendre la forme d’investissements durables dans l’éducation, dans les infrastructures, dans la santé, dans la science et la technologie, qui permettront à l’Afrique de rattraper les retards accumulés et de libérer pleinement son potentiel. Dans la Résolution Pacte pour l’Avenir adoptée l’année dernière par les chefs d’Etat et de gouvernement, représentant les peuples du monde, réunis ici à New York au siège de notre institution, nous avions ensemble souligner l’urgente nécessité de réformer le Conseil de sécurité pour le rendre plus représentatif et adapté au monde tel qu’il est aujourd’hui, Il nous faut passer à l’action. La réforme du Conseil de sécurité est une question de réparation d’un préjudice historique faite à l’Afrique et à d’autres peuples du monde. |
La réforme du Conseil de sécurité, avec l’octroi de sièges permanents à l’Afrique, est un impératif de dignité et de justice. Mais cette réforme doit aller de pair avec la reconnaissance que les inégalités mondiales actuelles sont enracinées dans des injustices historiques. Refuser de les aborder, c’est perpétuer un multilatéralisme inachevé. La réforme des institutions multilatérales que réclament les peuples d’Afrique depuis des décennies, et qui se fait avec insistance et plus ardemment en ces temps de fortes perturbations mondiales, doit donc être comprise comme une demande de réparation en compensation de la marginalisation de l’Afrique au sein des institutions multilatérales. |
Cet aspect de la réparation, très spécifique et constituant l’une des composantes essentielles de la réparation globale que l’Afrique est en droit d’attendre du monde, sera au cœur du 9e Congrès panafricain de Lomé portant sur « Renouveau du panafricanisme et rôle de l’Afrique dans la réforme des institutions multilatérales : Mobiliser les ressources et se réinventer pour agir ». J’invite toute la communauté africaine et ses partenaires ainsi que toutes les bonnes volontés éprises de justice à faire de ce rendez-vous un succès historique. Par la réparation, nous réussirons à renouveler la confiance des peuples dans les institutions multilatérales, en commençant par les Nations-Unies. La réparation nous permettra de nous projeter ensemble dans une humanité réconciliée avec elle-même. Rendre justice aux peuples meurtris par des crimes et des injustices historiques, c’est contribuer à réparer le monde au grand bonheur de tous. |

L’Afrique a été laissé de côté au cours des quatre-vingt dernières années dans la gouvernance mondiale. Il est grand temps de réparer cette injustice. Très rarement, l’Histoire offre des occasions aussi propices comme celles qu’elle nous offre aujourd’hui pour changer la marche du monde.
Après tant d’injustices historiques contre l’Afrique, le moment est venu de les réparer dans la perspective d’une éthique de la repentance et de la reconstruction d’une nouvelle relationalité. Ce combat que nous menons, n’est pas seulement un combat africain. Il s’agit d’un combat pour l’humanité. Un combat pour que jamais plus les injustices du passé ne dictent les inégalités du présent.
C’est pourquoi nous demandons aux Nations-Unies à son tour et pour sa crédibilité de qualifier la traite transatlantique, la colonisation, l’esclavage, la déportation comme non seulement des crimes contre l’humanité mais et surtout de GENOCIDE contre les peuples d’Afrique.
Génocide, Génocide,
Génocide, Génocide,
Génocide, Génocide.
Je vous remercie.