COTE D’IVOIRE : La philosophie du ventre version Simplice Dion

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Dimanche, 20 juillet 2025, sur le plateau de « NCI 360 », l’enseignant de philosophie, Simplice Dion, a surpris et choqué bon nombre de téléspectateurs en s’adonnant à une entreprise d’encensement politique à peine voilée. « Cet homme-là, Alassane Ouattara, quand vous le regardez, ce n’est pas quelqu’un à qui on donne des ordres… Ce n’est pas le genre d’homme. Mais, c’est surtout quelqu’un qui a compris comment fonctionne le monde actuel. C’est ce qui rend sa gouvernance phénoménale », a-t-il déclaré sans sourciller. Il faut croire que la philosophie, discipline noble s’il en est, peut aussi être détournée à des fins bassement opportunistes. Comment comprendre autrement qu’un enseignant, censé cultiver l’esprit critique, puisse se livrer à une telle apologie aveugle du pouvoir en place, au mépris des faits, de l’éthique et de l’intérêt général ?

Une réalité socio-politique loin d’être “phénoménale”

Avant de reprendre ce mot – phénoménale – que Dion utilise avec tant d’aisance, encore faudrait-il s’interroger : que recouvre réellement cette gouvernance qu’il célèbre ? Est-ce celle d’un Etat où la Constitution est piétinée, où le pouvoir exclut systématiquement ses adversaires politiques, où les médias publics sont caporalisés, où marches et meetings de l’opposition sont interdits, et où la démocratie est réduite à un simulacre ?

Est-ce ce qu’il appelle comprendre « comment fonctionne le monde actuel » ? Dans ce cas, le monde actuel serait celui de la répression, de l’autoritarisme et de l’impunité — à moins que Dion n’ait trouvé dans cette nouvelle normalité un confort personnel suffisant pour y renoncer à toute dignité intellectuelle.

Pendant que les sanctions injustes s’abattent sur les pays de l’Alliance des Etats du Sahel (AES) — Mali, Niger, Burkina Faso — pour avoir voulu sortir de la tutelle française, le philosophe, Dion, trouve sage et moderne de rester dans l’alignement occidental. Ces pays, en quête de souveraineté réelle, se voient punis pour leur audace, pendant que certains « penseurs » applaudissent ceux qui acceptent la dépendance en échange de quelques postes et avantages.

La misère du peuple, l’enrichissement des élites

Au-delà des mots, la Côte d’Ivoire d’Alassane Ouattara offre un visage bien loin de celui d’un modèle de réussite. La vie devient de plus en plus chère, les logements sont détruits pour faire place à des projets immobiliers réservés à une élite ou à des intérêts étrangers, l’impunité règne en maître, notamment, pour ceux qui détournent les fonds publics. Que dire de l’école ivoirienne, jadis citée en exemple, aujourd’hui, plongée dans une crise telle qu’aucune université ivoirienne ne figure parmi les 100 meilleures du continent africain ?

L’espace public est envahi par la drogue, la jeunesse est abandonnée à elle-même, et les familles peinent à nourrir leurs enfants dans un pays qui affiche pourtant des taux de croissance économique flatteurs. C’est donc cela, selon Dion, la gouvernance « phénoménale » d’un homme à qui l’on ne donne pas d’ordres ? Qu’on me permette d’en douter.

Quand le philosophe devient courtisan

Il ne s’agit pas ici de nier le droit à chacun d’exprimer son opinion, encore moins, d’ignorer les éventuelles réussites d’un régime. Mais, il est profondément malhonnête — et intellectuellement malpropre — de fermer les yeux sur la réalité pour tresser des lauriers à un dirigeant dans le seul but de conserver des privilèges. Simplice Dion n’est pas un philosophe dans la tradition de Socrate, Descartes, Kwame Nkrumah ou même Fabien Eboussi Boulaga. Il est un larbin d’Etat, dont la pensée est dictée non par la vérité ou la justice, mais par le ventre et l’ambition personnelle.

Son poste de vice-président de l’Université Félix Houphouët-Boigny n’est pas innocent dans ce tableau. Ces fonctions sont souvent attribuées non pas sur la base du mérite académique ou de l’engagement éthique, mais, à des individus dociles, prêts à servir le régime au lieu de servir la vérité. Cette corruption morale de la pensée n’est pas seulement triste ; elle est dangereuse pour la jeunesse, pour le monde universitaire, pour la démocratie elle-même.

Simplice Dion ouattariste pur jus.

La philosophie enchaînée

Le drame de l’Afrique, ce n’est pas seulement la mauvaise gouvernance. C’est aussi — et peut-être surtout — la trahison des intellectuels, ces hommes et femmes censés éclairer le peuple, mais qui préfèrent briller dans les salons du pouvoir. Quand la philosophie devient un encensoir au service des puissants, elle perd son âme. Simplice Dion a dit ce qu’il a dit, en pleine conscience de ses intérêts, et sans doute, en pensant que cela renforcerait sa position auprès du régime. Mais les qualificatifs qu’il a employés — et qui auraient pu faire sourire dans une œuvre de fiction — sont en réalité les mots d’un affamé et d’un larbin, déconnecté des souffrances du peuple. Ils ne décrivent pas la gouvernance d’un homme d’Etat éclairé, mais, le zèle d’un courtisan en quête de reconnaissance. L’histoire, tôt ou tard, jugera. Et, dans ce jugement, les philosophes du ventre n’auront pas bonne presse.

Jean-Claude Djéréké 

Est professeur de littérature à l’Université de Temple (Etats-Unis).

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