COTE D’IVOIRE : Nécessité d’une recomposition sincère de l’opposition (Pas d’isolement politique)

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La récente rencontre entre Laurent Gbagbo et Affi N’Guessan a fait couler beaucoup d’encre. Pour certains observateurs, ces retrouvailles entre les deux anciens compagnons de lutte politique représentent une lueur d’espoir dans un paysage oppositionnel fragmenté. Ils y voient le début d’une union tant espérée par des militants lassés par les divisions intestines et les luttes de leadership. Le geste est fort symboliquement : Deux figures majeures de l’ex-FPI (Front populaire ivoirien) assises autour d’une même table, dans une atmosphère qui se veut cordiale. Cela pourrait annoncer une volonté de mettre fin aux querelles intestines et de faire front commun face à un pouvoir de plus en plus hégémonique et belliqueux.

Cependant, une autre lecture – plus critique – de cette rencontre existe. D’aucuns y voient, moins, un désir sincère de rassembler l’opposition qu’un calcul stratégique de Laurent Gbagbo pour isoler deux figures importantes : Simone Ehivet et Ahoua Don Mello (notre photo). Ces derniers, qui se positionnent, désormais, comme des voix dissidentes, incarnent un renouveau possible de l’opposition ivoirienne. Selon cette analyse, Gbagbo, dont la candidature a été écartée, chercherait à éviter que d’autres réussissent là où lui a échoué. Son rapprochement avec Affi serait, donc, moins, un acte d’unité qu’un réflexe de survie politique.

Une occasion manquée en 2021

Pour plusieurs analystes politiques, si Laurent Gbagbo était véritablement animé par une volonté d’unir l’opposition, c’est en 2021, à son retour de La Haye, qu’il aurait dû prendre l’initiative. Son retour avait suscité un immense espoir parmi les partisans de l’opposition et bien au-delà. L’image du père de famille revenu au bercail après un long exil judiciaire portait une charge émotionnelle et symbolique forte. Beaucoup espéraient qu’il rassemblerait l’ex-majorité présidentielle, instaurerait un dialogue franc avec les autres leaders et enclencherait une dynamique d’union pour faire face aux dérives autoritaires du régime Ouattara. Mais, cette occasion fut manquée. Gbagbo préféra asseoir son propre parti, le PPA-CI (Parti des peuples africains – Côte d’Ivoire), en parallèle d’autres forces d’opposition. L’opposition, au lieu de se réorganiser, se fragmenta davantage. Pendant ce temps, le pouvoir consolidait son emprise : Des opposants furent arrêtés, des manifestations interdites, des voix muselées. Et tout cela sans grande réaction de la communauté (dite) internationale ni de mobilisation unitaire sur le terrain. Résultat : L’opposition a perdu de sa crédibilité, de son efficacité et de sa capacité à proposer une véritable alternative.

Simone Ehivet Gbagbo et Ahoua don Mello.

Aujourd’hui, alors que la candidature controversée d’Alassane Ouattara vient d’être validée, nombreux sont ceux qui jugent la tentative d’union tardive. Le train est-il déjà passé ? Peut-on encore bâtir une opposition solide et crédible à quelques mois d’une nouvelle élection cruciale ?

Croire encore au sursaut

Malgré ce constat pessimiste, il est impératif de ne pas céder au fatalisme. Tout n’est pas perdu, les jeux ne sont pas faits. En effet, l’histoire politique ivoirienne nous a appris que tout peut basculer très rapidement. Ce qu’il faut aujourd’hui, c’est un regard tourné vers l’avenir et non vers le passé. L’heure n’est plus aux calculs mesquins ni à la nostalgie des gloires d’hier. Il faut faire preuve d’audace.

Simone Ehivet Gbagbo et Ahoua Don Mello incarnent cette audace. Loin d’être naïfs ou marginaux, ce sont deux figures politiques aguerries, aux convictions claires et au patriotisme avéré. Leur engagement pour la souveraineté nationale, la justice sociale et la réconciliation nationale doit être salué, soutenu et amplifié. Contrairement à ceux qui les soupçonnent de vouloir accompagner un système décrié, ils représentent peut-être l’alternative que le peuple attend. Une alternative sincère, portée par des hommes et des femmes nouveaux, mais, expérimentés, qui ne se contentent pas de critiquer, mais proposent.

Le pays a besoin de figures capables de dépasser les rancunes, de rompre avec les vieilles habitudes et d’initier un dialogue vrai, profond, national. Le rejet de la candidature de Laurent Gbagbo peut être vu non comme une fin, mais comme un tournant. Une défaite salutaire, qui apaise les egos et ouvre la voie à une nouvelle génération de leaders.

Simone Ehivet à l’autorisation d’utiliser le nom de Gbagbo.

Pour une opposition décomplexée et rassembleuse

Dans la tradition catholique, on parle de « felix culpa » – cette « heureuse faute d’Adam » qui aurait permis la venue d’un rédempteur. Transposée au contexte politique ivoirien, cette expression pourrait s’appliquer au rejet de la candidature de Gbagbo. Peut-être fallait-il cela pour que l’homme revoie ses certitudes, redescende de son piédestal, se reconnecte au réel. Il est des défaites qui enseignent plus que des victoires. Il est temps de se souvenir que nul n’est invincible, que la politique n’est pas un trône héréditaire et que la grandeur d’un homme politique se mesure à sa capacité à passer le relais quand il le faut.

Le moment est venu pour tous les acteurs politiques de jeter à la rivière, non seulement, la rancune, mais aussi, l’arrogance et la suffisance. Les caricatures, les anathèmes, les divisions stériles ont assez duré. Le peuple attend des solutions, pas des querelles d’ego. Le pays a besoin d’une opposition unie, mais pas autour d’un culte de la personnalité. Il veut une opposition unie autour d’un projet clair, inclusif, tourné vers l’avenir.

Simone Ehivet et Ahoua Don Mello, loin d’être de simples options de rechange, pourraient être les piliers d’un renouveau. Il faut les soutenir non par défaut, mais par conviction. Leur courage, leur constance et leur vision méritent d’être considérés avec sérieux. Le moment est venu d’avoir le courage de soutenir des patriotes sincères, et non ceux qui ont trop longtemps joué les équilibristes.

Jean-Claude DJEREKE

est professeur de littérature à l’Université de Temple (Etats-Unis).

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