« Dans dix ans, 70 à 80 % de la législation adoptée le sera sous influence européenne », déclarait Jacques Delors, ancien président de la Commission européenne (1985-1995), lors d’une interview rapportée par plusieurs médias en 1988. L’approche de Jacques Delors est particulièrement intéressante dans la mesure où elle pourrait soulever de nombreuses questions : l’influence du droit européen sur le droit français, est-elle réellement l’expression de la volonté générale ? L’application du droit européen, est-elle toujours respectueuse des principes constitutionnels français ? Comment la France parvient-elle à préserver sa souveraineté nationale face à une législation européenne de plus en plus contraignante ?
C’est au cours du XXe siècle que le droit français de la fonction publique commence progressivement à être influencé par certaines dispositions du droit européen. Celui-ci comporte le droit primaire, désignant l’ensemble des traités signés et ratifiés par les Etats membres (Traité de Bruxelles 1975 ; Traité de Maastricht ou TUE 1992 ; Traité de Lisbonne 2007 etc…) (sans oublier d’évoquer la Convention européenne des droits de l’homme). Il comporte également le droit dérivé, qui se définit comme l’ensemble des normes adoptées par les Institutions européennes qui peuvent avoir un caractère obligatoire (directives, règlements et décisions). Pour veiller à sa prompte exécution, la Cour de Justice de l’Union Européenne (CJUE ex-CJCE) – créée en 1952, a vocation à trancher les litiges relatifs au droit de l’UE, et affirme à plusieurs reprises, sa primauté vis-à-vis des juridictions nationales (CJCE, 1964, Costa c. Enel) – (CJCE, 1978, Simmenthal) – (CJCE, 1990, Factortame). Cette primauté est manifestement incontestable au sein des trois versants de la fonction publique civile (art. L.3 Etat ; L.4 Territoriale et L.5 Hospitalière) du Code Général de la Fonction Publique (CGFP), mais également vis-à-vis des autres agents publics, ne relevant pas du présent code, en vigueur depuis le 1er mars 2022.
Historiquement, la notion de fonctionnaire prend une réelle dimension contemporaine principalement pendant la Révolution française et sous le Second Empire. En tant que délégués de l’Etat, les fonctionnaires exercent sous l’autorité du gouvernement, sans influence du droit européen sur leur fonction, puisqu’aucun texte n’avait été établi à cette époque (XVIIIe au XIXe siècle). En ce qui concerne leurs droits et obligations, c’est durant la période de collaboration qu’un premier « faux » statut de la fonction publique apparaîtra, à savoir, le statut DARLAN de 1941. Ce dernier sera abrogé et « heureusement » par le gouvernement provisoire dirigé par le Général de Gaulle, avec le statut de 1946, puis remplacé par celui de 1959, avant d’aboutir au statut général de la fonction publique en 1983 sous la présidence de François Mitterrand.
Aujourd’hui, la fonction publique française connaît plusieurs évolutions, qui ne découlent pas uniquement du droit national. Le droit européen y participe fortement en apportant des améliorations significatives. Par conséquent, ces nombreuses avancées feront l’objet d’une problématique à savoir : en quoi l’influence du droit européen a-t-il permis d’observer une évolution au sein de notre fonction publique ?
Dans cet argumentaire, nous apporterons certes, des éléments de langage, mais nous essayerons également d’apporter des solutions juridiquement applicables face aux multiples enjeux que peut soulever ce sujet. Pour traiter cette question, nous étudierons en première grande partie, l’influence majeure du droit européen sur la transformation positive de la fonction publique française (I). Dans une seconde grande partie, nous parlerons de l’empirisme de la fonction publique de l’emploi défendu par le droit de l’Union Européenne (II).

I – L’influence majeure du droit européen sur la transformation positive de la fonction publique française
Si les nouvelles dispositions du droit européen vis-à-vis de notre fonction publique, restent largement répandues, il n’en demeure pas moins qu’elle soit positive sur la situation des agents publics en leur garantissant plusieurs nouveaux droits.
- Une première amélioration significative résultant de la Convention européenne des droits de l’homme
La Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales, plus communément appelée, Convention européenne des droits de l’homme (CEDH), est entrée en vigueur le 3 septembre 1953. La France l’a définitivement ratifiée en 1981. La CEDH est considérée comme étant le pilier moteur résultant de l’évolution des droits fondamentaux au sein de la fonction publique française. Pour une illustration concrète, c’est dans cette philosophie que son article 6 § 1 portant principe d’un procès juste et équitable, donne plein droit à un fonctionnaire subissant une audition disciplinaire devant une Commission administrative paritaire (CAP), d’avoir la présence d’un avocat, mais également de témoins. Notons également qu’une jurisprudence du Conseil d’Etat est allée encore plus loin en tirant le droit à la publicité des auditions ou audiences (Conseil d’Etat, 23 février 2003, L’Hermitte) ou encore le droit d’obtenir la communication des procès-verbaux d’auditions des personnes entendues (Conseil d’Etat, 28 janvier 2021, M.D.C / Ministre de l’Education nationale). La Haute juridiction précise également, toujours en vertu de l’article 6 § 1 que le droit dont dispose un agent de consulter son dossier, dans le cadre d’une action engagée contre lui, inclut également la possibilité de consulter les témoignages recueillis lors de l’enquête administrative. Pour un second exemple découlant toujours de cet article 6 § 1 concerne la condamnation de la Belgique pour une durée excessive d’une procédure civile. En effet l’article 6 § 1 de la CEDH impose aux Etats signataires d’organiser leur système judiciaire de manière à ce que leurs tribunaux puissent connaître des contestations sur les droits et obligations de caractère contentieux dans un délai raisonnable. Pour une autre illustration, cette fois-ci plus lointaine, mais toujours liée à la CEDH, concerne la complicité des crimes contre l’humanité des Juifs commis par Maurice Papon pendant la Seconde Guerre Mondiale (1939-1945). En 1983, le Tribunal populaire réclamait vivement que des sanctions exceptionnelles dépassant le cadre législatif soient infligées à M. Papon, tel que la peine de mort ou le droit de lui infliger temporairement des traitements inhumains et dégradants, comme la torture (ce qui allait totalement à l’encontre de l’article 4 de la Charte des droits fondamentaux de l’UE). Toutefois, en 1997, les avocats de Maurice Papon, décident d’invoquer l’article 7 de la CEDH devant la Cour d’assises de Gironde, lequel disposant, qu’aucune personne ne peut être condamnée à une peine sans qu’une disposition légale et applicable à son cas ne soit en vigueur. On observe donc une autre déclinaison positive de la CEDH vis-à-vis d’un ancien haut commis de l’Etat. Pour illustrer un autre impact positif de la CEDH sur notre fonction publique, nous pourrions aussi évoquer son article 10, garantissant le droit à la liberté d’expression et d’opinion à tous les individus dont les agents publics. Cependant, ce droit doit être concilié avec les exigences de neutralité (Cour européenne des droits de l’homme, 26 novembre 2015, Ebrahimian), de laïcité, et de réserve. Pour énumérer une autre amélioration résultant toujours de cette Convention, il est primordial de souligner l’importante décision de la Cour européenne des droits de l’homme du 2 octobre 2014, « Mattely contre la France », qui donne la possibilité aux militaires de créer des associations et groupements professionnels, ce qui leur permettra par exemple de déposer des recours contre les actes réglementaires relatifs à la condition militaire (Conseil d’Etat, 26 septembre 2018, Association de défense des droits militaires). Cette nouvelle disposition découle directement de l’article 11 de la CEDH portant sur la liberté de réunion et d’association. Enfin, il s’agit d’évoquer en dernier lieu, l’article 14 de la CEDH, portant sur l’interdiction de discrimination, codifié à l’article L.131-1 du CGFP. En effet, les lois antérieures de la fonction publique, dont celle du 6 août 2019 relative à la transformation de la fonction publique, met en place plusieurs mesures pour avoir plus de parités entre les femmes et les hommes dans l’accès à l’emploi public. Mais, je pense à titre personnel que le respect de cet article 14 connaît encore plusieurs manquements au sein de la fonction publique française. Pour appuyer mon propos, nous pourrions prendre pour exemple, l’arrêté du 5 août 2021 relatif aux cycles de formations dénommés « Prépa Talents » préparant aux concours d’accès à certaines grandes écoles ou organisme assurant la formation de fonctionnaires ou de magistrats de l’ordre judiciaire. L’article 14 de la Convention interdit de discriminer un individu pour tout type de critères, mais l’arrêté du 5 août 2021, semble en dire le contraire en permettant aux étudiants boursiers les plus méritants et aux demandeurs d’emploi de pouvoir accéder à ces classes préparatoires. Les personnes ne touchant pas de bourse universitaire ou ayant un emploi actif, ne peuvent malheureusement pas bénéficier de ces dispositions. Pourtant, il convient de rappeler que même l’article 6 de la DDHC, dispose que : « tous les citoyens sont admissibles aux emplois publics, sans autre distinction que celle de leurs vertus et de leurs talents ». Par conséquent, une question légitime se pose :dans quelle mesure l’arrêté du 5 août 2021 respecte-t-il les principes de non-discrimination énoncés à l’article 14 de la CEDH et à l’article 6 de la DDHC ?En réalité, malgré les déclinaisons positives de la CEDH vis-à-vis de notre fonction publique, il est important de savoir que l’application de ces dispositions résulte principalement du bon vouloir des Etats signataires. Bien que cela n’ait rien à voir avec la fonction publique, on pourrait prendre l’exemple de l’arrêt de condamnation de la Cour européenne des droits de l’homme, que la France a refusé d’exécuter concernant un terroriste (affaire Abdelhamid Hakkar). La décision de ne pas exécuter l’arrêt de la CEDH a suscité de vives critiques émanant de divers acteurs, notamment du Comité des ministres du Conseil de l’Europe, ainsi que de plusieurs éminents juristes français, qui y ont vu une atteinte grave à la primauté du droit européen et au respect des normes internationales. Pour se défendre, le Conseil d’Etat dit ainsi que les arrêts de la CEDH ont une valeur « essentiellement déclaratoire ». Pour remédier à ces conflits, le rapport d’information du Sénat n°194, du 4 décembre 2024, fait état de plusieurs propositions visant à résoudre ces contradictions.
Outre l’influence de la Convention européenne des droits de l’homme sur notre fonction publique, le droit de l’UE contribue également à cette transformation positive.
B. Une seconde amélioration amplifiée et consolidée par le droit de l’Union européenne
Bien que la Convention européenne des droits de l’homme joue un rôle déterminant sur les droits fondamentaux des agents publics, notamment, en évoquant des principes de non-discrimination et d’égalité, il est important de noter que le droit de l’UE apporte des avancées encore plus approfondies, bien qu’elles soient parfois très nuancées (cf. la décision en date du 26 octobre 1999, Angela Sidar, de la CJCE devenue CJUE, justifiant ainsi l’exclusion des femmes de certaines unités combattantes). Nous pourrions souligner en premier lieu, l’impact de la libre circulation des travailleurs, que beaucoup d’eurosceptiques voient comme une « malchance », tandis que d’autres préfèrent l’observer comme une chance considérable, offrant la possibilité aux Etats membres, y compris la France, d’en exploiter pleinement le potentiel, notamment, dans les pays confrontés à un manque de services publics. C’est dans cette perspective que la décision du 9 septembre 2003, de la Cour de Justice des Communautés Européennes (CJCE) « arrêt Burbaud », que sont remises en cause les règles de la fonction publique française. Elle estime que la directive européenne du 21 décembre 1988 sur la reconnaissance des diplômes européens, s’applique y compris, à la fonction publique. Dès lors, l’objection tirée de l’obligation de réussite à un concours tombe, en raison de l’atteinte portée au principe de libre circulation des personnes diplômées, la requérante étant diplômée de l’Ecole nationale de la santé publique de Lisbonne. Malgré cette déclinaison positive, je pense à titre personnel que la décision de la CJCE est nettement critiquable, d’autant plus que ce n’est en aucun cas, l’idéologie historique de notre fonction publique. Lorsque Michel Debré, l’un des pères de la Constitution, et, qui, par ailleurs, a créé l’ENA (Ecole nationale d’administration) en 1945 (aujourd’hui INSP – Institut national du service public – depuis 2021), c’était pour former des fonctionnaires, qui pourraient servir l’Etat en toute loyauté et en toute circonstance. C’est d’ailleurs pour cette raison que les premières promotions de l’ENA ont été nommées « France-Combattante » et « Union-Française », pour rappeler aux futurs hauts-fonctionnaires que leur devoir est d’abord de défendre la République, au-delà de la servir – (pour aussi faire référence à Jean Zay, ancien Ministre de l’Education nationale, assassiné dans sa cellule en 1944, après avoir rédigé une lettre aux Français, dont l’une des phrases les plus marquantes demeure : « La République à payer du reniement des fonctionnaires l’une de ses plus fâcheuses défaillances, elle avait négligé de surveiller leur recrutement, d’assurer elle-même leur formation, ils ne l’ont pas défendue »). Par conséquent, deux questions se posent : Les ressortissants européens (à l’image de Mme Burbaud), n’ayant pas été formés en France et n’ayant pas inculpé nos valeurs, seront-ils en mesure de défendre la République face à ses adversaires ou en cas de crise ? Comment la France peut-elle encore garantir la pérennité de son modèle historique de formation et de recrutement au sein de sa fonction publique ? Aujourd’hui, la « pseudo-dictature » du droit de l’UE fait encore l’objet de multiples contestations au sein du débat public (cf. le débat du 27 mai 2024 sur France 2 – Gabriel Attal contre Jordan Bardella, concernant le recrutement de fonctionnaires à des postes sécuritaires stratégiques au sein du Ministère de l’Intérieur – priorité nationale et interdiction de recruter des ressortissants européens). Au-delà de cette longue parenthèse, la décision « Burbaud » de la CJCE est certes positive, mais il est indéniable que cette même décision pourrait soulever d’autres problématiques qui incombent à chaque pays. Pour une seconde illustration, un peu moins exhaustive, nous pourrions également citer l’importante décision, Schultz-Hoff, de la Cour de Justice de l’Union Européenne en date du 20 janvier 2009. En effet, cette décision donne la possibilité pour un fonctionnaire de reporter sur l’année suivante, ses congés annuels non pris, en raison d’un arrêt-maladie pour une période de quinze mois. On observe donc une autre déclinaison positive du droit de l’UE sur notre fonction publique. Pour conclure avec une dernière illustration positive du droit de l’UE, il s’agit d’évoquer la directive du 4 novembre 2003 relative à l’aménagement du temps de travail, qui garantit la protection de la sécurité et de la santé des travailleurs de l’Union. Elle définit à l’article 2 la notion de temps de travail comme : « toute période durant laquelle le travailleur est au travail, à la disposition de l’employeur et dans l’exercice de son activité ou de ses fonctions ». C’est dans cette optique que la présente directive établit plusieurs règles, y compris pour les agents publics, telles que l’obligation d’avoir des périodes de repos, l’attribution obligatoire de congés annuels de quatre semaines, ou encore sur la durée de travail maximal de 48 h par semaine, bien qu’il y ait des exceptions, concernant certains secteurs de la fonction publique. Cela a été le cas pour les militaires, avant que la CJUE n’admette qu’en date du 28 janvier 2021 que : « les militaires relèvent du champ d’application de la directive 2003/88, fixant plusieurs dispositions ayant droit » (dont le rapport de conclusion de Henrik Saugmandsgaard, avocat général près la CJUE). Cependant, malgré cette déclinaison positive du droit de l’UE sur nos militaires, l’Assemblée du contentieux du Conseil d’Etat a dû pendant un moment, résisté en date du 17 décembre 2021, et a même cherché à tirer, dans le sens du réalisme et des intérêts nationaux, le meilleur parti possible des exceptions à l’applicabilité de la directive listées par l’arrêt de la CJUE, soulignant en particulier que sont exclues les « activités qui sont exécutées dans le cadre d’événements exceptionnels », les « activités présentant un lien d’interdépendance avec des opérations militaires et pour lesquelles l’application de la directive se ferait au détriment de ces opérations », ainsi que, « les activités qui ne se prêtent pas à un système de rotation des effectifs eu égard aux hautes qualifications des militaires en question ou à leurs tâches extrêmement sensibles ». Néanmoins, j’approuve à titre personnel la riposte du Conseil d’Etat, dans la mesure où nos militaires sont essentiels, car ceux-ci, étant déployés sur plusieurs théâtres de guerre à travers le monde, et peut-être un jour en Ukraine (cf. l’allocution télévisée pas très rassurante du Président de la République en date du 5 mars 2025). Mais notons également que sans l’armée française, c’est sans doute toute la sécurité de l’Europe – voire du monde qui serait en danger. Par conséquent, je pense qu’il est légitime d’affirmer – du moins de penser, que l’application de la directive 2003/88 sur nos forces armées, reviendrait, en réalité, à tout désorganiser et risquerait de nuire encore plus à la sécurité de notre pays. Toutefois, il convient de rappeler que l’application de cette directive vis-à-vis des militaires, connaît des limites. Par exemple, sur le fait qu’il soit possible pour un Etat de déclencher l’article 4 § 2 du TUE, qui consacre le droit à un Etat membre de disposer d’une certaine liberté en matière de sécurité intérieure, lui permettant ainsi de conserver toute sa souveraineté nationale (réponse à notre question en introduction).
A présent, il s’agira d’étudier les influences positives du droit de l’UE sur l’emploi au sein de la fonction publique.

II – L’empirisme de la fonction publique de l’emploi défendu par le droit de l’Union européenne
Le droit de l’UE joue un rôle important sur les droits professionnels des agents. De plus, le droit de l’UE semble orienter le modèle de notre fonction publique vers un nouveau modèle de contractualisation.
- Une nouvelle conception positive de l’emploi et du développement de la carrière
La problématique tant juridique que politique est fondamentale pour l’avenir de notre fonction publique. En effet, comme nous l’observons, se pose la question d’une mutation possible vers une fonction publique de l’emploi, axée sur les conventions collectives et non sur un statut légal et réglementaire comme en France. Cependant, cette nouvelle dynamique européenne est observée en premier lieu, par la CDIsation au sein de notre fonction publique. Initialement, il est important de savoir que le renouvellement des Contrats à durée déterminée (CDD), ne pouvait se faire automatiquement pour les agents contractuels. Cela devait être justifié par un intérêt direct du service, par exemple, pour motif purement budgétaire (C.A.A de Nantes, 20 juillet 2021, Ministre de la Justice / M.E). Par conséquent, cela favorisait la situation juridique précaire de l’agent contractuel en CDD. Cependant, depuis une directive-cadre européenne du 19 juin 1999, si la personne publique souhaite continuer avec le même agent contractuel, alors au bout de six ans pleins d’exercice, la personne publique est dans l’obligation de lui proposer un Contrat à durée indéterminée (CDI). Cette directive-cadre européenne du 19 juin 1999, a été transposée par une loi nationale du 26 juillet 2005. On pourra donc observer l’influence certaine du droit de l’UE à travers cette directive-cadre, qui aura pour objectif de lutter contre l’emploi précaire au sein de la fonction publique. Cependant, il faut faire attention et nuancer cet aspect positif du droit de l’UE vis-à-vis des collectivités territoriales. En effet, en première lecture, cette directive-cadre du 19 juin 1999 s’oppose en toute logique au principe de libre administration des collectivités territoriales (article 72 Constitution), car rappelons la primauté du droit de l’UE vis-à-vis du droit national (introduction). Mais en réalité, cela est beaucoup plus complexe. Comme nous l’expliquent les avocates au Barreau de Bordeaux, Me Claire JACQUIER et Me Alix LEVRERO, dans un article du 11 avril 2024, un CDD conclu pour une durée qui conduit, en cours d’exécution du contrat, à dépasser la durée maximale d’emploi de six années, ne se transforme pas tacitement en CDI (Conseil d’Etat, 30 septembre 2015, Courtois, n°374015). S’agissant des dispositions du CGFP, la fonction publique de l’Etat (article L. 332-4) et la fonction publique hospitalière (article L.332-17) prévoient que : « lorsque les services accomplis atteignent la durée de six ans avant l’échéance du contrat en cours, celui-ci est réputé être conclu à durée indéterminée ». Par conséquent, cela veut donc dire que les CDD des agents relevant de la fonction publique de l’Etat et de la fonction publique hospitalière peuvent se transformer tacitement en CDI. En revanche, s’agissant des agents contractuels de la fonction publique territoriale, l’article L. 332-11 du CGFP, prévoit l’hypothèse qu’il y ait un accord mutuel entre les parties prenantes en prévoyant que ces dernières « peuvent, d’un commun accord, conclure un nouveau contrat à durée indéterminée ». Ainsi, et contrairement aux fonctions publiques de l’Etat et hospitalière, le CGFP n’avait ni autorisé, ni interdit, la transformation du CDD en CDI. La décision du Conseil d’Etat est donc venue apporter une clarification très importante, dont il convient d’en reprendre les mots : « Dans l’hypothèse où ces conditions d’ancienneté sont remplies par un agent territorial avant l’échéance du contrat, celui-ci ne se trouve pas tacitement transformé en contrat à durée indéterminée. Dans un tel cas, les parties ont la faculté de conclure d’un commun accord un nouveau contrat, à durée indéterminée, sans attendre cette échéance. Elles n’ont en revanche pas l’obligation de procéder à une telle transformation de la nature du contrat, ni de procéder à son renouvellement à son échéance ». En réalité, cette interprétation du Conseil d’Etat, est pour de nombreux juristes en droit public, dont Joseph ASPIRO, un véritable moyen de préserver le principe de libre administration des collectivités territoriales. Pour sortir du cadre européen, notons rapidement qu’il existe des lois de régularisation ou de lutte contre la précarisation des contrats, comme nous l’illustre la Loi Sauvadet du 12 mars 2012, permettant par exemple de titulariser un agent contractuel sur un poste de fonctionnaire. Par conséquent, une question se pose : quel est l’intérêt de passer un concours pour devenir fonctionnaire ? Pour y répondre à titre personnel et de façon non-exhaustive, je pense que, dans un avenir proche, la notion de fonctionnaire pourrait en grande partie disparaître, et que notre fonction publique sera majoritairement composée de contractuels, avec environ 90 % d’agents sous contrat. C’est une hypothèse fortement probable, au vu des besoins des services, d’avoir davantage de personnel, dans certaines zones en manque de service public. Pour rester dans ma réflexion personnelle, les individus qui aspirent à devenir des hauts-fonctionnaires, devront toujours se former dans les grandes écoles (INSP, ENP, EHESP, ENAP…) pour ainsi briguer des postes de préfet, inspecteur, commissaire de police ou encore de recteur d’académie. Les individus n’aspirant pas à la haute fonction publique pourraient passer par la simple contractualisation. Mais rappelons encore une fois, que notre vision concernant l’avenir de notre fonction publique, n’a rien d’exhaustive. En réalité, la CDIsation des contrats dans la fonction publique n’est pas une mauvaise initiative, bien au contraire. Elle présente plusieurs avantages, notamment, en facilitant, par exemple, l’accès à la fonction publique. Cette nouvelle approche du droit de l’UE, devrait également permettre de résoudre de nombreuses problématiques au sein de nos services publics.
Ce nouveau modèle européen, qui favorise de plus en plus la contractualisation, crée des similitudes entre les droits des fonctionnaires et les droits des agents contractuels.

B – Une influence certaine quant au rapprochement du statut de contractuel avec celui de titulaire
Le droit de l’UE contribue fortement à rapprocher la notion de fonctionnaire, avec celui du contractuel. Pour une première illustration, la décision de la Cour de Justice de l’Union Européenne, dans sa décision du 18 décembre 2014, Federatie Nederlandse Vakbeweging contre Staatssecretaris van Financiën, admet qu’un agent contractuel peut bénéficier des mêmes droits qu’un fonctionnaire. Cette décision met en lumière plusieurs droits fondamentaux s’agissant des travailleurs publics. Elle demeure comme étant l’une des premières jurisprudences européennes faisant pour la première fois un rapprochement directe entre le statut de fonctionnaire avec celui du contractuel en matière de droits sociaux et d’égalité de traitement. Pour une seconde illustration, notons également l’importante décision de la Cour de Justice de l’Union Européenne du 20 juin 2019 Ustariz Arostegui, qui rapproche substantiellement le régime juridique du contractuel à celui du fonctionnaire, concernant des missions comparables, notamment, en matière de rémunération ou de primes ne pouvant pas exclure les contractuels. De plus, il convient d’ajouter que pour la première fois, le Conseil d’Etat admet de contrôler le respect du principe d’égalité entre fonctionnaires et contractuels. Ainsi, le Conseil d’Etat annule le décret du Premier Ministre, qui se refusait d’inclure les assistants d’éducation dans la liste des bénéficiaires d’une indemnité versée aux personnels exerçant en réseau d’éducation prioritaire (Conseil d’Etat, 12 avril 2022, Fédération Sud Education). Le haute juridiction précise également que le principe d’égalité s’impose aussi aux régimes d’indemnités à la différence des traitements. Ainsi, nous avons de véritables similitudes entre les droits du fonctionnaire avec les droits du contractuel. De plus, il est important de souligner que le Conseil d’Etat, décide d’aller encore plus loin dans son approche en disant que si l’agent contractuel en CDI est licencié pour cause de remplacement par un titulaire, alors la personne publique doit obligatoirement chercher à reclasser cet agent (Conseil d’Etat, 25 septembre 2013, Sadlan).
Parmi toutes ces influences européennes vis-à-vis de la fonction publique française, traiter la seule question de l’impact du droit européen sur l’évolution de notre fonction publique, ne peut en aucun cas suffire pour étudier en profondeur les spécificités de cette transformation positive à l’égard des agents. Dans cet argumentaire, il aurait été également très intéressant d’évoquer les nombreuses craintes qui ne relèvent pas directement du droit européen, mais plutôt de la gestion, à savoir, s’il y a une privatisation ou pas de la fonction publique ? Il est vrai que la question sur la privatisation n’est pas une obligation imposée par le droit européen, mais il n’en demeure pas moins que ce nouveau modèle de gestion qui tend à se développer en France, peut soulever de nombreuses interrogations à l’image de celle-ci : l’avenir de la fonction publique française s’orientera-t-elle vers une plus grande culture de la performance et de résultat, s’inspirant ainsi du modèle et des pratiques du secteur privé (New Public Management) ?
Marc Aurélien TEDGA
Titulaire d’un BTS Systèmes numériques informatiques et réseaux (Académie de Versailles).
Titulaire d’une Licence 3 en Administration publique parcours Etat à l’IPAG de l’Université de Poitiers (Centre universitaire de Paris-Nanterre).
Titulaire d’une Licence 3 Professionnelle en Droit public, parcours Administrations des collectivités territoriales à la Faculté de Droit de l’Université Paris-Saclay (Vice-major de promotion 15/20).
Est étudiant en Master 1 en Administration publique, parcours Gouvernance et Gestions publiques à l’IPAG de l’Université Paris-Nanterre.
IMPORTANT : Sur le plan juridique le plagiat est une atteinte au droit d’auteur. Conformément à l’article L.122-4 du Code de la propriété intellectuelle « toute représentation ou reproduction intégrale ou partielle faite sans le consentement de l’auteur ou de ses ayants droit ou ayants cause est illicite. Il en est de même pour la traduction, l’adaptation ou la transformation, l’arrangement ou la reproduction par un art ou un procédé quelconque ».
BIBLIOGRAPHIE
I – Ouvrage généraux
- François-Xavier FORT, « Droit et obligations dans la fonction publique », Dalloz, 2022/2023
- TAILLEFAIT Antony, « Droit de la fonction publique », Dalloz, publié en 2022
II – Ouvrages spécialisés
- Alix LEVRERO et Claire JACQUIER, « Pas de CDIsation tacite dans la fonction publique territoriale », Seban Avocats, publié le 11 avril 2024
- Jean-Baptiste JACQUIN, « Le Conseil d’État précise les cas où le droit européen peut être contourné », Le Monde, publié le 17 décembre 2021
- Jean-Éric SCHOETTL, « Le Conseil d’État juge applicable aux militaires la directive européenne sur le temps de travail », Revue politique et parlementaire, publié le 20 juin 2022
- Jean-Julien PERRIN, « Congés payés et maladie : le point sur la saga de la directive européenne du 4 novembre 2003 », La revue Fiduciaire,publié le 5 mai 2016
- Laurent Michon, « Livret droit de la fonction publique »,distribué à notre classe le 7 janvier 2025
- Marie-Christine de Montecler, « le principe d’égalité entre fonctionnaires et contractuels », Dalloz, publié le 20 avril 2022
III – Sources internet
- BFMTV, « Allocution d’Emmanuel Macron », publié le 5 mars 2025 (https://www.youtube.com/watch?v=CINrLeFJBu4)
- France 2, « Débat entre Gabriel Attal, Jordan Bardella et Olivier Faure », publié le 27 juin 2024 (https://www.youtube.com/watch?v=w6kUa0RlQhY)
- Public Sénat, « Documentaire sur l’ENA : pourquoi tant de haine ? », publié le 11 avril 2021 (https://www.youtube.com/watch?v=gjv15p9IBNE)
IV – Textes juridiques et jurisprudences administratives
- Arrêté du 5 août 2021 relatif aux cycles de formation dénommés « Prépas Talents »
- C.A.A de Nantes, décision « Ministre de la Justice / M.E », en date du 20 juillet 2021
- Charte des Droits fondamentaux de l’Union Européenne, « Article 4 portant interdiction sur la torture ou de traitements inhumains et dégradants », adoptée le 7 décembre 2000
- CJCE, décision « Angela Sidar », en date du26 octobre 1999
- CJCE, décision « Burbaud », en date du 9 septembre 2003
- CJCE, décision « Costa c. Enel », en date du 15 juillet 1964
- CJCE, décision « Factortame », en date du 19 juin 1990
- CJUE, décision « Federatie Nederlandse Vakbeweging contre Staatssecretaris van Financiën », en date du 18 décembre 2014
- CJUE, décision « Schultz-Hoff », en date du 20 janvier 2009
- CJCE, décision « Simmenthal », en date du 9 mars 1978
- CJUE, décision « Ustariz Arostegui », en date du 20 juin 2019
- CJUE, décision relative aux militaires et l’application de la directive européenne 2003/88/CE », en date du 28 janvier 2021
- Constitution, « Article 72 portant principe de la libre administration des collectivités territoriales », en vigueur depuis la loi constitutionnelle n°2003-276 du 28 mars 2003
- Conseil d’État, « Association de défense des droits militaires », en date du 26 septembre 2018
- Conseil d’État, « Courtois », en date du 30 septembre 2015
- Conseil d’État, « Fédération Sud Éducation », en date du 12 avril 2022
- Conseil d’État, « L’Hermitte » en date du 23 février 2003
- Conseil d’État, « M.D.C / Ministre de l’Éducation nationale », en date du 28 janvier 2021
- Conseil d’État, « Sadlan », en date du 25 septembre 2013
- Cour européenne des droits de l’homme, « Abdelhamid Hakkar », en date du 1995
- Convention européenne des droits de l’homme, « Article 6 portant principe d’un procès équitable », adoptée le 3 septembre 1953
- Convention européenne des droits de l’homme, « Article 7, pas de peine sans loi », adoptée le 3 septembre 1953
- Convention européenne des droits de l’homme, « Article 10 relatif à la liberté d’expression », adoptée le 3 septembre 1953
- Convention européenne des droits de l’homme, « Article 11 relatif à la liberté de réunion et d’association », adoptée le 3 septembre 1953
- Convention européenne des droits de l’homme, « Article 14 portant sur l’interdiction de discrimination », adoptée le 3 septembre 1953
- Cour européenne des droits de l’homme, décision « Ebrahimian », en date du 26 novembre 2015
- Cour européenne des droits de l’homme, « Mattely contre la France », en date du 2 octobre 2014
- Déclaration des droits de l’homme et du citoyen, « Article 6 portant principe de non-discrimination à l’accès aux emplois publics », adoptée le 26 août 1789
- Décret n°2015-1087 du 28 août 2015 portant régime indemnitaire spécifique en faveur des personnels exerçant dans les écoles ou établissements relevant des programmes « Réseau d’éducation prioritaire renforcé » et « Réseau d’éducation prioritaire »
- Directive-cadre européenne 1999/70/CE, concernant l’emploi, en date du 19 juin 1999
- Directive européenne 2003/88/CE, relative à l’aménagement du temps de travail, qui garantit la protection de la sécurité et de la santé des travailleurs de l’Union, en date du 4 novembre 2003
- Directive européenne 89/48/CEE, relative à la reconnaissance des diplômes d’enseignement supérieur, en date du 21 décembre 1988
- Loi n°2005-843 du 26 juillet 2005 portant diverses mesures de transpositions du droit communautaire à la fonction publique
- Loi n°2012-347 du 12 mars 2012 relative à l’accès à l’emploi titulaire et à l’amélioration des conditions d’emploi des agents contractuels dans la fonction publique, à la lutte contre les discriminations et portant diverses dispositions relatives à la fonction publique
- Loi n°2019-828 du 6 août 2019 relative à la transformation de la fonction publique
- Traité sur l’Union Européenne ou Traité de Maastricht, « l’article 4 § 2 donnant possibilité à un État membre de retrouver sa liberté en matière de sécurité intérieure », entrée en vigueur le 7 février 1992 (TM) et le 1 novembre 1993 (TUE)